Bouguereau.
A seize ans M. Bouguereau vendait de l'huile, de l'huile d'olive; à dix-huit ans, il faisait de la peinture à l'huile; aujourd'hui, il est "dans les huiles". Une pareille vie est un bel exemple de persévérance et de travail. J'ajouterai: et de propreté, car j'ai entendu dire que pour mieux les nettoyer, M. Bouguereau léchait ses peintures!
Son âme candide se reflète sur l'émail impeccable de ses tableaux, et l'on devine qu'il ne fut jamais troublé par les passions: à vingt et un ans, il écrivait dans son journal intime,
"Je désire les émotions, et cependant il est préférable qu'il n'en soit pas ainsi: les études demandent le calme et la réflexion." Ce n'est pas d'un style excellent, mais, n'est-il pas admirable de voir tant de raison chez un jeune artiste?
La cause en est peut être dans l'éducation religieuse que reçut M. Bouguereau. Confié d'abord à son oncle, curé de Montagne, petite ville de Saintonge, il fut envoyé ensuite au collège de Pons, dirigé par un prêtre. Plus tard, lorsqu'il fut admis à suivre les cours de l'Ecole des Beaux-Arts de Bordeaux, il se rendait, de six à huit heures du matin, à l'Ecole, et rentrait travailler au bureau de son patron, négociant en vins, qui le payait 25 francs par mois. C'était bien maigre, aussi essayait-il de se procurer encore un peu d'argent en faisant des lithographies coloriées pour décorer les boites de pruneaux d'Agen et les pots de confiture des épiciers.
Les impressions de jeunesse laissent une trace ineffaçable. M. Bouguereau a décoré des pots de confiture: il serait téméraire d'affirmer qu'il ne pense jamais à ses débuts, que même le souvenir ne l'en poursuit pas malgré lui, et qu'il ne croit pas quelquefois encore, en peignant ses grandes toiles, travailler pour une grande boite de pruneaux!
M. Bouguereau est un sage: il a beaucoup étudié et il a reconnu que la nature avait des défauts; il a donc supprimé de la nature toutes les imperfections, comme il a supprimé de sa vie tout ce qui pouvait l'embarrasser et la compliquer.
Il ne va jamais dans le monde ni au théâtre; il se couche de bonne heure après avoir lu quelques instants. Levé à sept heures, il travaille jusqu'à midi et déjeune dans son atelier avec un potage et deux œufs; puis il fume une pipe et se remet au travail jusqu'à sept heures, en s'interrompant seulement à quatre heures pour prendre un second potage. A sept heures, il dîne, et ce programme s'exécute invariablement depuis soixante dix ans; c'est ainsi que M. Bouguereau est devenu millionnaire, en faisant des tableaux qu'on achète 100.000 francs...en Amérique.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, 7 juin 1903.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire