De l'emploi du temps.
On a beau nous dire que le temps est l'étoffe dont la vie est faite, nous ne nous rendons pas bien compte que quand nous perdons une heure, c'est une heure de notre vie que nous gaspillons, et que nous devrions en être visiblement avare; mais il y a malheureusement dans la vie une illusion perpétuelle: ce que nous voyons toujours devant nous, ce n'est pas le présent, c'est l'avenir.
Nous disons trop souvent: "A demain les affaires sérieuses, ce que nous ne faisons pas aujourd'hui, nous le ferons demain." Mais demain viendra-t-il ? Demain, c'est le grand ennemi d'Aujourd'hui; c'est lui qui paralyse nos forces et nous réduit à l'impuissance en favorisant chez nous l'inaction.
La première règle de toutes pour bien employer le temps, c'est de se lever de bonne heure. Il y a un proverbe qui dit: "Se lever tôt donne santé, fortune et sagesse.", assurément les trois choses les plus précieuses du monde.
Comment se lever tôt donne-t-il la santé? C'est aux médecins de l'expliquer. Cependant tout le monde sait que la fraîcheur du matin inspire une énergie, une activité qu'on ne possède jamais le soir. C'est le matin que les oiseaux chantent, que la nature s'éveille; il faut faire comme la nature, c'est la règle par excellence.
Comment se lever tôt est-il la fortune? J'ai fait à ce sujet une grande découverte que je vais vous communiquer. Qu'est-ce que la richesse? C'est du travail accumulé. Pour travailler, il faut avoir du temps; pour avoir du temps, il faut se lever de bonne heure. Qu'est-ce qu'une journée de travail? Ordinairement, on l'évalue à dix heures, de huit heures du matin à huit heures du soir, avec deux heures pour la nourriture et le repos. Eh bien, celui qui se lève à sept heures a par mois trente heures de plus et à la fin de l'année 365 heures de plus dont il dispose, par conséquent plus d'un mois de travail utile. L'année, pour l'homme qui se lève à sept heures, a treize mois, à supposer que pour celui qui se lève à huit heures elle en ait douze; mais pour celui qui se lève à six heures, elle en a quatorze; elle en a quinze pour celui qui se lève à cinq heures. En d'autres termes, vous vivez d'autant plus longtemps que vous vous levez plus matin. La fortune va chez les gens qui se lèvent de bonne heure; l'occasion passe en courant, il faut la prendre aux cheveux; mais quand on est dans son lit, on ne prend rien.
Le second moyen, c'est de ne jamais remettre au quart d'heure qui suit ce qui est à faire à présent.
Le duc de Wellington, qui était le général en chef de l'armée d'Angleterre et qui était célèbre par son activité, poussait cela si loin que, recevant chaque matin des milliers de lettres, il répondait à chaque lettre sur la lettre même, en laissant à ses secrétaires le soin d'expédier les réponses; de telle sorte que cet homme qui avait à administrer l'armée anglaise avait sa correspondance à jour tous les matins.
Ne rien ajourner, tel est le secret par excellence pour qui sait le prix du temps. Quand on remet au lendemain, on ne pense pas que chaque jour et chaque heure apporte une besogne nouvelle.
On réussit ici-bas, non par un effort extraordinaire, mais par un travail constant, assidu, réglé. C'est l'ordre qui amène à sa suite la fortune. Or le premier principe de l'ordre, c'est de ne jamais avoir rien d'arriéré; l'ordre, c'est l'économie du temps; une maison où il n'y a pas d'ordre est une maison destinée à périr. De même que dans une maison bien tenue la bonne ménagère ne laisse jamais rien traîner, de même, dans vos études, il ne faut jamais rien laisser en arrière.
Un troisième moyen est de ne jamais faire qu'une chose à la fois; cela est très important. Il y a une foule de gens qui pensent à une foule de choses à la fois; ceux-là se créent des embarras dont ils ne peuvent plus sortir. L'homme véritablement distingué, c'est celui qui peut concentrer toute son attention sur une chose et oublier le reste; le concentration, c'est la grande force de l'esprit humain. Tous les grands généraux, les grands savants, les grands hommes d'Etat, qui ont paru dans le monde, ont été des hommes qui savaient ne faire qu'une chose à la fois.
Un autre conseil, c'est d'être, autant que possible, de bonne humeur. La mauvaise humeur fait perdre du temps. On ne change pas les choses; elles ne s'inquiètent point de nous. Quand on est en face d'une besogne qui déplaît, il faut l'attaquer franchement, et y mettre de la bonne humeur. Avec de la bonne humeur, on vient à bout des choses les plus difficiles, et on n'empoisonne pas la vie, qui a bien assez de douleurs inévitables pour qu'on ne s'en crée pas d'imaginaires. Les esprits chagrins sont presque toujours envieux et impuissants. Les hommes d'action, les vrais maîtres de l'heure présente, n'ont pas de temps à perdre; ils prennent résolument leur parti et ne s'attardent pas à pleurer.
En résumé, se lever matin, ne jamais remettre au lendemain ce qu'on peut faire le jour même, ne faire qu'une chose à la fois, et être de bonne humeur, telles sont les règles principales à suivre. Il est entendu qu'il faut que ce que l'on fait soit utile.
Magasin Pittoresque, 1879.
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