Dans la mythologie grecque, les dieux et les déesses faisaient une grande consommation de parfums. Sophocle représente Vénus, la déesse du plaisir, se parfumant en se regardant dans un miroir. Ce fut une nymphe de Vénus, Oenone, qui apprit aux hommes l'usage des parfums. Les Athéniens se parfumaient déjà comme des petits maîtres. Ils connaissaient les essences de roses, de violettes. Les boutiques de parfumeurs étaient des lieux publics comme nos cafés: on y décrétait la mode, on y contait des histoires. A Athènes, on disait: "Allons au parfumeur", comme nous disons: "Allons au café".
L'Eglise adopta elle-même les parfums pour ses cérémonies religieuses. Chez les Gaulois, Clotilde, Brunehaut, Galoccinte relevait l'éclat de leurs charmes, nous dit Grégoire de Tours, par l'usage des parfums. Catherine de Médicis, Diane de Poitiers, la reine Marguerite de Navarre, la belle Gabrielle, la du Barry, Marie-Antoinette, Mme Tallien, l'impératrice Joséphine, toutes les grandes dames dont l'histoire a conservé le nom, avaient le culte des parfums et leurs parfums personnels. De nos jours les reines ont conservé la tradition.
La reine Wilhelmine.
La "petite reine", comme les Hollandais aiment à appeler leur jeune souveraine, a la foi la plus absolue en l'efficacité de l'eau de Cologne employée comme eau de toilette. Tous les matins, à son réveil, on lui apporte une litre entier d'eau de Cologne. En sa présence, on débouche la bouteille, elle en renifle le contenu, s'assure de sa force alcoolique au-dessus de la flamme d'une petite lampe, et ensuite, de sa propre main elle déverse le contenu odorant dans sa baignoire de marbre. Elle reste sept minutes dans son "tub" et de là, elle passe sous l'appareil de douche, et sa vieille servante lui fait une friction sur tout le corps. Wilhelmine a un teint éblouissant dont elle attribue tout l'éclat à sa façon toute spéciale de s'en occuper; elle ne se sert jamais ni de poudre, ni de savon, ni de pommade. Avant les dîners, bals ou réceptions, elle se frictionne la figure, le cou et les épaules avec une serviette éponge imbibée d'eau chaude. Ce régime-là ne put être adopté par la petite reine qu'après le sacre; jusqu'à ce moment, elle devait se soumettre en tout aux décisions de la reine Emma, et trois fois par jour, la pauvre petite reine devait se savonner impitoyablement la peau. Elle avait beau protester contre cette loi qu'elle appelait barbare, la tutelle maternelle pesait sur tout, même les détails les plus intimes de la toilette personnelle de Wilhemine. Une fois qu'elle eut atteint sa majorité et qu'elle fut réellement reine, elle s'empressa de bannir de sa table de toilette savons et lotions, et son teint n'en devint que plus rose et plus clair.
Elle passe moins de temps à sa toilette qu'aucune autre souveraine. Elle aime à babiller avec ses dames d'honneur pendant les heures qu'elle est censée, d'après l'étiquette royale, passer à sa toilette.
La tzarine.
La jeune impératrice de Russie adore les parfums, mais elle n'en veut admettre chez elle que de marques françaises. Elle dépense 100.000 francs par an chez l'un des plus grands parfumeurs parisiens, et ce n'est là qu'un seul parmi l'armée de fournisseurs qu'elle honore de sa clientèle. Sa table de toilette, toute en malachite avec des supports d'argent ciselé, est chargée d'une multitude effrayante de flacons, de bouteilles, de fioles contenant tous les parfums et les odeurs qui existent.
Des centaines de femmes et d'enfants sont employés tous les ans spécialement pour le service de l'impératrice dans les environs de Grasse, pour la cueillette des violettes. Rien n'est plus coûteux que ce parfum dont se sert Sa Majesté Impériale. Les violettes doivent être cueillies entre cinq et sept heures de l'après-midi, heure à laquelle les fleurs dégagent leurs plus fortes senteurs; chaque flacon est envoyé directement à l'Académie de chimie de Saint-Pétersbourg afin que les savants puissent vérifier sa force et sa qualité, avant de le présenter à l'impératrice. Cette souveraine aime à ce point les parfums que plusieurs fois par jour, on asperge ses appartements et les antichambres même du palais avec des essences et des parfums de fleurs tels que la jonquille, la tubéreuse, le narcisse, le jasmin et la violette.
Elle se sert de deux différentes espèces de savons dont personne ne connait la formule.
L'impératrice d'Allemagne.
L'impératrice d'Allemagne attribue tout l'éclat de ses merveilleuses épaules blanches à l'usage d'un savon spécial fait avec du blanc de baleine. Pour ses dents et sa bouche, elle se sert d'eau de menthe. Ses mouchoirs sont imprégnés de foin coupé et l'atmosphère de sa chambre à coucher est odoriférante grâce à des vaporisateurs d'eau de Cologne. Elle a la permission de son royal époux de se mettre de la poudre de riz, mais il ne lui permet point de se teindre les cheveux blanchis prématurément.
La reine de Roumanie.
La reine poète de Roumanie, Carmen Sylva, se glorifie de son opulente chevelure de neige. Elle a su courageusement prendre son parti de la perversité de la nature ne respectant rien, même une tête royale, et elle ne cherche point à teindre son argenté et vénérable diadème, qui lui sied d'ailleurs à ravir. Rien n'est plus beau que ces superbes cheveux blancs encadrant une figure dont le teint reste éblouissant, grâce à une lotion faite de plantes et d'herbes médicinales, cueillies dans les forêts de Roumanie. C'est la reine elle-même, chimiste à ses heures aussi bien que poète et écrivain, qui prépare ce merveilleux élixir pour la peau.
Elle se refuse absolument à communiquer son secret à aucune femme, malgré les supplications de toutes les dames de sa cour. On assure que c'est un vieux Bohémien de Bucharest qui lui a communiqué son secret lorsqu'elle n'était encore qu'une enfant. La princesse royale de Roumanie, sa belle-fille, qu'on appelait en Angleterre " la petite Marie d'Edimbourg", ne se sert pour son teint que de l'eau distillée avec des roses, ses parfums préférés sont le jasmin et l'héliotrope blanc.
La reine d'Espagne.
La reine régente d'Espagne s'était toujours, jusqu'au moment de la guerre hispano-américaine, servie de d'ylang-ylang pour parfumer son linge et ses mouchoirs; c'était par un sentiment de patriotisme qu'elle avait opté pour ce parfum, parce que les Philipines sont le pays d'origine de l'ylang-ylang. Après la cession des îles aux Etats-Unis l'ylang-ylang passa de mode; on y a substitué à la cour un parfum d'origine espagnole, dit eau d'Espagne. La reine Christine se sert d'un savon ayant un nom extraordinaire: "walerat", qui est aussi de fabrication espagnole; son eau de toilette est une préparation spéciale dans laquelle entre de l'eau de rose et de la noix de coco.
Gauthier le Botelier.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 22 février 1903.
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