Maisons d'Haussonviller, village d'Alsaciens-Lorrains en Algérie.
La Société de protection des Alsaciens-Lorrains, présidée par le comte d'Haussonville, qui s'est consacré de tout cœur à cette oeuvre patriotique et sainte, avait fait établir dans le parc du Trocadéro, lors de l'exposition de 1878, trois types de maisons rurales. Ce sont les types adoptés dans les villages qu'elle a commencé à créer en Algérie pour les émigrants de nos anciennes provinces françaises de l'est.
Notre gravure donne le type moyen, la maison à trois pièces, ayant coûté 3.464 francs. En ôtant le demi-étage, on a le type le plus petit, celui de la maison basse à deux pièces, cuisine et chambre, du prix de 2.579 francs. En complétant ce demi-étage, on a la maison d'un étage revenant à 4.188 francs. On pourra transformer le type à deux pièces en type à trois ou quatre. Un appentis, le même pour les trois types, adossé au mur de derrière, abrite les bœufs et le fourrage; il a 3 mètres sur 4 m 20 dans oeuvre et coûte 255 francs. Un petit grenier est aménagé sous les toits; une cave, dont la trappe est dans la chambre à coucher, règne sur toute l'étendue de la maison. Le rez-de-chaussée est élevé de trois marches au dessus du sol naturel, ce qui rend l'habitation plus saine et a permis de donner plus d'élévation à la cave (1 m 90) sans occasionner trop de frais pour le creusement. La porte d'entrée ouvre dans la cuisine, où se trouve l'escalier de l'étage supérieur, et qui est percée d'une fenêtre donnant sur le jardin. La chambre du rez-de-chaussée a vue par un petit œil de bœuf sur les animaux logés dans l'appentis. Chaque maison présente une façade de 8 m, 80 sur une profondeur de 5 mètres pour le petit type et de 7 m, 50 pour le grand. Toutes sont bâties en pierre, carrelées et plafonnées; l'intérieur est blanchi à la chaux.
C'est bien conçu. Il y a commodités, convenances et surveillance facile. C'est bon marché, mais un peu exigu; suffisant toutefois pour une famille pendant les premières années d'exploitation.
La concession des terres attribuées à chaque famille a d'abord été de 26 à 27 hectares dont un en vigne et 30 ares de jardin. Ces terres appartiennent en toute propriété aux colons sous certaines conditions de remboursement et de continuité de résidence. La Société s'était réservé à l'origine de donner par la suite aux familles nombreuses et laborieuses un supplément de terrain; elle a été conduite à le faire plus tôt qu'elle ne le prévoyait, pour permettre de faire reposer les champs, moins fertiles qu'on ne les avait supposés; elle a donc porté à 30, 35 et même 50 hectares pour quelques familles.
Le village est à 82 kilomètres à l'est d'Alger, dans la province de ce nom, à l'embranchement de la route d'Alger à Dellys et de celle d'Alger à Tizi-Ouzou et Fort-National; les voitures publiques y circulent journellement. Le pays est salubre, les eaux sont abondantes et de bonne qualité.
Le gouvernement de l'Algérie a pris à sa charge: rues, conduites d'eau, fontaines, lavoirs, abreuvoirs; construction de mairie, d'église, d'écoles et du presbytère; délimitation du territoire, lotissement des terres selon les instructions de la Société de protection. A celle-ci restent les avances à faire pour les dépenses suivantes: construction de maisons, choix et transport des familles, achats des animaux et des instruments de culture, semences, mobilier, enfin entretien et nourriture des émigrants jusqu'à la première récolte. Elle compte que le remboursement pourra s'effectuer sur une période de six à huit ans à partir de la fondation. Le prix des maisons devait d'abord être compris dans ce remboursement; mais, depuis, elle s'est décidée à en faire don aux familles qu'elle juge définitivement fixées.
C'est du mois de juin 1873 au mois de novembre suivant que le village a été créé, aménagé, peuplé, sur un emplacement où rien n'existait. Il a reçu dans cet intervalle de temps 40 familles composées de 170 personnes.
En avril 1878, la Société a fait connaître qu'un second village, celui de Boukhalfa, commencé par M. Dollfus, ancien maire de Mulhouse, non loin du premier, dans la province d'Alger et sur la même route de Dellys, avait été achevé et peuplé comme celui que nous venons de décrire et qui s'appelait d'abord Azib-Zamoun. Ce nom arabe a été remplacé depuis par celui d'Haussonviller. C'était justice, et l'hommage était dû bien légitimement. Ces deux créations récentes étaient composées au moment de l'Exposition universelle, de 90 maisons où la Société avait installé 90 familles, dont 66 étaient définitivement acclimatées et fixées sur le sol africain. Les dépenses de toutes natures, celles indiquées plus haut et celles qui en avaient été la suite obligée, s'élevaient à 750.000 francs.
Si l'on veut bien se figurer les difficultés de l'entreprise, les embarras de détail, les soucis, les oublis, les mécomptes, les exigences, les disparités de caractères, les réclamations, les prétentions, qui fourmillent dans toute colonisation et surtout dans une création si prompte faite en bloc, pour laquelle il a fallu transporter par terre, par mer, et encore par terre, d'une contrée septentrionale de la France sous le climat brûlant de l'Algérie, une population de vieillards, d'enfants, de femmes, d'adultes, dont un grand nombre étaient dénués d'habits, de vivres et d'argent, on reconnaîtra que le succès a demandé, chez les fondateurs, des miracles d'énergie et de prudence, de bienveillance et de fermeté, d'activité ardente et de labeur patient.
Le choix des emplacements de village a été fait par MM. d'Haussonville et Guynemer dans un voyage expressément accompli pour cet objet; les constructions sont dues à MM. Billiard et Dérotrie, des ponts et chaussées; les éléments d'installation ont été préparés à Alger par M. Pierre Lacroix, agent de la Société dans cette ville; les achats agricoles ont été opérés par M. Darru, professeur d'agriculture, et M. Delamotte, vétérinaire militaire; les gouverneurs Gueydon et Chanzy, le commandant Riff, les membres du comité d'Alger; tous, directeurs, administrateurs, ingénieurs, chefs et agents, ont rivalisé de zèle, de courage et d'entrain.
Un troisième village, le camp du Maréchal, placé à l'entrée de la Kabylie, sur la même route de Dellys, est en voie de formation. C'est une nouvelle dépense de trois cent mille francs, qui réclame une nouvelle intervention du public.
Si jamais contribution volontaire a dû soutenir une société méritante, c'est certes celle-ci. La colonisation algérienne par les émigrés de l'Alsace-Lorraine est une oeuvre à portée double. Philanthropique pour nos malheureux compatriotes, dont elle adoucit les pertes et calme les souffrances morales, elle est encore éminemment patriotique, et sert merveilleusement les intérêts de la patrie en activant la colonisation de l'Algérie.
Magasin pittoresque, 1879.
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