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mardi 12 novembre 2013

Les carnets de madame Elise.

Conseils à un jeune homme.

Un de nos jeunes lecteurs m'adresse une requête pleine de courtoisie, j'en conviens, mais dans laquelle perce un réel mécontentement.

"Pourquoi, madame, vous occuper avec une sollicitude si exclusive des jeunes filles? Elles sont déjà par elle-même très adroites et très fines; vos nombreux conseils les arment de façon redoutable; votre causerie sur l'art de trouver un mari a dû leur être bien précieuse.
Pensez donc un peu à nous, leurs faibles adversaires; nous avons besoin qu'on nous guide dans la conquête de ces âmes compliquées.
Sous prétexte qu'il y a plus de jeunes filles à marier que de jeunes gens désireux de se marier, sous prétexte aussi que nous avons l'initiative de la demande et qu'il leur faut attendre notre décision, on estime généralement que nous tenons le beau rôle.
C'est une erreur, car il ne me suffit pas, à moi, d'être accepter comme un pis-aller, d'être admis seulement pour dissiper le cauchemar du bonnet de Sainte-Catherine; je désire être apprécié et choisi entre un grand nombre de jeunes filles également flattée de ma recherche.
Donnez-nous donc, madame, trois ou quatre indications précises qui nous assurent, dans le monde, des succès de personne."

Je veux bien aider de mon expérience ce jeune ambitieux; il a d'autant plus besoin de mes conseils qu'en réclamant trois ou quatre préceptes rigides, il avoue une ignorance totale des chinoiseries menues et complexes de cet art fait de nuances, de demi-mesures, de souplesse.
Occupons-nous d'abord de l'extérieur; un jeune homme doit être impeccable de la raie de ses cheveux au pli de son pantalon; mais pour ne pas avoir l'air fat, il doit oublier toute la peine qu'il a prise pour soigner sa toilette et garder, dans cette tenue élégante, une aisance, une bonne grâce, une simplicité qui en augmentent le prix; de la sorte, il a l'air d'une personne de bonne famille, bien mis par habitude et qui en attache aucune importance. Avec cela, il sait s'incliner avec une gravité respectueuse devant une femme, il est catalogué "de bonne éducation". C'est un grand point.
Maintenant, il faut donner une idée agréable de son caractère; dans le monde, on apprécie fort la gaieté et l'entrain; s'il est un centre joyeux, on s'approche volontiers de lui et on en garde, dans la suite, un charmant souvenir.
Les parents, eux, ne se contentent pas d'un cotillon bien conduit; un père parfois s'approche du jeune homme et l'interroge sur des questions plus sérieuses: que son langage soit calme, mesuré, qu'il laisse percer une mâle énergie et l'ardeur au travail, en quelques phrases adroites et confiantes.
Qu'il ne révèle pas ses petites vertus ménagères qui rendent vite un homme ridicule; connaître trop bien le prix des denrées, la confection des plats témoignent d'un "vieux garçonnisme" inquiétant, présage d'une tyrannie domestique.
Car le jeune homme ne doit pas oublier que nos parents français ne donnent pas leur fille, ils adoptent leur gendre; cette interprétation spéciale du mariage oblige le prétendant à leur plaire. Dans la suite, il pourra être plus intransigeant sur l'autonomie de son ménage, mais dans la suite seulement.
Il ne reste plus qu'à révéler son cœur, c'est une qualité très appréciée; pour cela, on parle de la famille en termes émus; on plaint les opprimés, de temps à autre, avec chaleur; on a un sourire tendre, un regard affectueux, on défend ses amis.
Par tous les moyens le jeune homme attentif aura de grands succès, cela n'est pas douteux; la suprême habileté consiste à ne pas les souligner, à feindre même de les ignorer et de conserver une modeste simplicité.
J'espère bien que mon aimable correspondant constatera très prochainement l'efficacité des conseils de

                                                                                                              Madame Elise.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 1er mars 1903.

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