Nos jeunes lecteurs ont peut-être entendu parler de la campagne entreprise dernièrement par l'Espagne contre les tribus kabyles du Maroc. Ils ont sans doute vu des gravures représentant les divers épisodes de cette expédition, et beaucoup d'entre eux ont dû désirer posséder des détails précis sur le peuple marocain, actuellement en lutte contre les Espagnols, ainsi que des renseignements sur l'origine du conflit.
Le Maroc est, la plupart d'entre vous le savent déjà, un Etat de l'Afrique septentrionale borné: au nord par la Méditerranée et le détroit de Gibraltar; à l'ouest par l'océan Atlantique; au sud et au sud-est par le désert du Sahara; au nord-est par l'Algérie. La chaîne de montagnes de l'Atlas le traverse de l'ouest au nord.
Il est gouverné par un sultan, souverain absolu de son peuple, respecté presque comme un chef religieux et dont la volonté impériale constitue la seule loi de ses sujets. Cette souveraineté est d'ailleurs souvent illusoire, puisque le sultan ne peut se faire obéir des bandes de Kabyles nomades toujours en révolte contre son autorité, et vivant en pillards.
Le pays est divisé administrativement en amalats, commandés par des amils ou caïds, qui représentent le sultan.
La capitale du Maroc est Fez; cette ville, qui occupe, dans l'intérieur des terres, une position géographique excellente, est la plus peuplée du territoire marocain. Le mot Fez signifie "hache"; il a été donné comme nom à la résidence des sultans, parce qu'en fondant la ville, en 793, on trouva sur son emplacement, dans le sol, une hache de pierre qui provenait sans doute des âges préhistoriques. Les principales autres villes du Maroc sont: Maroc, Méquinez et sur les bords de la mer, Tanger, Tétouan et Mogador. Quant à Ceuta et Melilla, ports méditerranéens qui sont situés sur le territoire marocain, on ne peut les compter au nombre des villes faisant partie de l'Etat du Maroc, puisqu'elles appartiennent aux Espagnols.
Melilla, que l'Espagne possède depuis 1496, n'était anciennement qu'une prison pour les forçats et pour les soldats chargés de les surveiller. Il était alors dangereux de s'éloigner des remparts, car les Kabyles qui habitent le Rif (région montagneuse située à peu de distance du littoral) s'amusaient à tirer à la cible sur les sentinelles. Il n'en est plus ainsi aujourd'hui; la ville est bâtie avec un certain confort et protégée par des fortifications; mais les derniers événements ont prouvé qu'elle n'est pas toujours à l'abri des attaques des Arabes pillards.
C'est en effet à Melilla que sont survenus dernièrement des troubles qui ont de nouveau appelé l'attention publique sur le Maroc. Les Espagnols, jugeant les fortifications de la ville insuffisantes pour les protéger contre les bandes de Kabyles insoumis, sur lesquelles le sultan n'a aucune action, résolurent de construire un fort avancé. Mais il paraît que les constructions nécessaires pour ce fort étaient relativement voisines d'un cimetière maure. Le fanatisme religieux des tribus pillardes se réveilla, et quelques combats meurtriers s'engagèrent entre elles et les Espagnols. C'est pendant l'une de ces batailles que fut tué le général espagnol Margallo. La situation ne s'est pas encore modifiée; le gouvernement espagnol négocie avec le sultan du Maroc pour obtenir le châtiment des coupables et une réparation pécuniaire importante; on ne peut prévoir encore de quelle manière se terminera cet incident qui pourrait être gros de conséquences au point de vue de la situation politique de l'Europe, pour des raisons qu'il serait trop long de vous indiquer ici, et qui, d'ailleurs, ne vous intéresseraient que médiocrement.
Les habitants du Maroc qui ne résident pas dans les villes et qui ne vivent pas en bandits dans les montagnes, sont généralement groupés dans des douars, associations de quinze ou vingt familles, souvent unies entre elles par un lien de parenté. Chaque famille possède sa tente particulière. Ces douars sont donc des sortes de villages composées de tentes disposées en ligne parallèles et généralement formées d'un grand morceau d'étoffe tissé en fibre de palmier nain, en laine de chèvre ou en poil de chameau, soutenues par deux bâtons unis ensemble au moyen d'une traverse de bois formant le toit. D'autres tentes ont la forme conique, comme celle que représente la gravure ci-dessous.
En hiver la toile est tendue jusqu'à terre et fixée de telle manière que l'eau ni le vent ne peuvent y pénétrer. Au contraire, pendant l'été, l'étoffe est relevée, laissant circuler l'air sous la tente, ce qui fait que ces habitations primitives sont plus fraîches en été et mieux closes en hiver que les maisons mauresques des villes, dont souvent les portes et les fenêtres ne sont formées que par de simples ouvertures sans aucun système de fermeture. Une espèce de séparation en joncs divise la tente en deux parties: d'un côté dorment le père et la mère; de l'autre les enfants et les autres membres de la famille.
Dans presque tous les douars, il y a une tente réservée à un maître d'école, entretenu par les habitants du village, et à qui les enfants viennent réciter leurs leçons et montrer leurs devoirs lorsqu'ils savent écrire. Mais la plupart des jeunes garçons désertent de bonne heure l'école pour aller travailler avec leurs parents et oublient vite ce qu'ils ont appris. Il n'y en a qu'un petit nombre qui étudient sérieusement, afin de pouvoir compléter leurs études dans une ville et devenir taleb, c'est à dire écrivains ou notaires.
L'existence que les Marocains mènent dans ces douars est des plus simples. "A l'aube, dit M. de Amicis qui a étudié à fond le Maroc, tous se lèvent, disent leur prière, traient les vaches, font le beurre et boivent le lait aigre qui reste. Pour boire ils se servent de coquilles qu'ils achètent aux habitants de la côte. Puis les hommes vont travailler dans la campagne et ne reviennent que le soir. Les femmes vont puiser de l'eau, chercher du bois, moudre le grain, tissent les étoffes grossières dont elle se vêtent elles et leurs maris, font les cordes des tentes en fibre de palmier nain, portent à manger aux hommes de leur famille et préparent le couscousou pour le soir."
Le couscousou est un plat essentiellement arabe, dont il est fort probable que vous ne feriez pas votre nourriture ordinaire. C'est un mets composé de fèves, de courges, d'oignons et d'autres légumes variés, tantôt sucré, tantôt poivré, qu'on mange quelquefois, les jours de réjouissance, avec de la viande. Il paraît que pour apprécier ce plat, il faut être habitué à la cuisine arabe; il répugne au goût délicat des Français.
Le costume des hommes et des femmes, au Maroc, ne consiste qu'en une chemise de toile de coton, un manteau et un haïk, une sorte de vêtement très léger formé d'une pièce d'étoffe non taillée. Aussi les Marocains trouvent-ils étranges les costumes des Européens, et surtout leurs gants, "cette seconde peau de la main, comme disent les enfants arabes, que les chrétiens se mettent ou s'enlèvent à leur gré, sans ressentir la moindre douleur".
Dans les villes, les Marocains vivent dans un état de demi- civilisation, sans doute supérieur à celui des douars et des nomades. Cependant ce peuple indolent et peu intelligent ne semble pas capable de se développer et de comprendre les bienfaits d'une civilisation raffinée. Ce qui ne l'empêche pas d'être plein d'orgueil et de mépriser les autres peuples, et surtout les chrétiens, dont ils ne prononcent jamais le nom sans l'accompagner d'épithètes injurieuses.
Les Marocains sont cupides et avides de cadeaux. Ils disent, sous la forme proverbiale: "Du vinaigre donné est plus doux que du miel acheté". Physiquement, ils sont bien constitués et les maladies sont très rares chez eux; cela tient sans doute à la pureté du climat, bien qu'il soit très chaud en été, et au genre de vie qu'ils mènent, le plus souvent en plein air.
L'industrie et le commerce sont très peu développés au Maroc. Cependant les Marocains fabriquent différents objets d'une forme artistiques assez originale, tels que des plats en cuivre ciselé, des poignards damasquinés, des coussins en velours brodés d'or, d'argent et de soie. A Fez se trouve le siège principal de l'industrie marocaine; c'est là qu'on fabrique en plus grande quantité les fez, coiffures obligées des musulmans, les ceintures de taffetas damassé, de brillantes étoffes de soie et d'or, et surtout qu'on prépare les fameuses peaux de chèvres qu'on appelle maroquin.
Ernest Laurent.
Mon Journal, Revue Hebdomadaire Illustrée pour les Enfants, 20 janvier 1894.
En hiver la toile est tendue jusqu'à terre et fixée de telle manière que l'eau ni le vent ne peuvent y pénétrer. Au contraire, pendant l'été, l'étoffe est relevée, laissant circuler l'air sous la tente, ce qui fait que ces habitations primitives sont plus fraîches en été et mieux closes en hiver que les maisons mauresques des villes, dont souvent les portes et les fenêtres ne sont formées que par de simples ouvertures sans aucun système de fermeture. Une espèce de séparation en joncs divise la tente en deux parties: d'un côté dorment le père et la mère; de l'autre les enfants et les autres membres de la famille.
Dans presque tous les douars, il y a une tente réservée à un maître d'école, entretenu par les habitants du village, et à qui les enfants viennent réciter leurs leçons et montrer leurs devoirs lorsqu'ils savent écrire. Mais la plupart des jeunes garçons désertent de bonne heure l'école pour aller travailler avec leurs parents et oublient vite ce qu'ils ont appris. Il n'y en a qu'un petit nombre qui étudient sérieusement, afin de pouvoir compléter leurs études dans une ville et devenir taleb, c'est à dire écrivains ou notaires.
L'existence que les Marocains mènent dans ces douars est des plus simples. "A l'aube, dit M. de Amicis qui a étudié à fond le Maroc, tous se lèvent, disent leur prière, traient les vaches, font le beurre et boivent le lait aigre qui reste. Pour boire ils se servent de coquilles qu'ils achètent aux habitants de la côte. Puis les hommes vont travailler dans la campagne et ne reviennent que le soir. Les femmes vont puiser de l'eau, chercher du bois, moudre le grain, tissent les étoffes grossières dont elle se vêtent elles et leurs maris, font les cordes des tentes en fibre de palmier nain, portent à manger aux hommes de leur famille et préparent le couscousou pour le soir."
Le couscousou est un plat essentiellement arabe, dont il est fort probable que vous ne feriez pas votre nourriture ordinaire. C'est un mets composé de fèves, de courges, d'oignons et d'autres légumes variés, tantôt sucré, tantôt poivré, qu'on mange quelquefois, les jours de réjouissance, avec de la viande. Il paraît que pour apprécier ce plat, il faut être habitué à la cuisine arabe; il répugne au goût délicat des Français.
Le costume des hommes et des femmes, au Maroc, ne consiste qu'en une chemise de toile de coton, un manteau et un haïk, une sorte de vêtement très léger formé d'une pièce d'étoffe non taillée. Aussi les Marocains trouvent-ils étranges les costumes des Européens, et surtout leurs gants, "cette seconde peau de la main, comme disent les enfants arabes, que les chrétiens se mettent ou s'enlèvent à leur gré, sans ressentir la moindre douleur".
Dans les villes, les Marocains vivent dans un état de demi- civilisation, sans doute supérieur à celui des douars et des nomades. Cependant ce peuple indolent et peu intelligent ne semble pas capable de se développer et de comprendre les bienfaits d'une civilisation raffinée. Ce qui ne l'empêche pas d'être plein d'orgueil et de mépriser les autres peuples, et surtout les chrétiens, dont ils ne prononcent jamais le nom sans l'accompagner d'épithètes injurieuses.
Les Marocains sont cupides et avides de cadeaux. Ils disent, sous la forme proverbiale: "Du vinaigre donné est plus doux que du miel acheté". Physiquement, ils sont bien constitués et les maladies sont très rares chez eux; cela tient sans doute à la pureté du climat, bien qu'il soit très chaud en été, et au genre de vie qu'ils mènent, le plus souvent en plein air.
L'industrie et le commerce sont très peu développés au Maroc. Cependant les Marocains fabriquent différents objets d'une forme artistiques assez originale, tels que des plats en cuivre ciselé, des poignards damasquinés, des coussins en velours brodés d'or, d'argent et de soie. A Fez se trouve le siège principal de l'industrie marocaine; c'est là qu'on fabrique en plus grande quantité les fez, coiffures obligées des musulmans, les ceintures de taffetas damassé, de brillantes étoffes de soie et d'or, et surtout qu'on prépare les fameuses peaux de chèvres qu'on appelle maroquin.
Ernest Laurent.
Mon Journal, Revue Hebdomadaire Illustrée pour les Enfants, 20 janvier 1894.
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