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lundi 4 novembre 2013

Légende polynésienne.


La caverne des époux.

Au Sud-sud-ouest des îles Samoa, on trouve en plein Pacifique, et coupé par le 20e parallèle austral, l'archipel Tong ou "des amis". Une des nombreuses îles de ce groupe, nommée Hoonga, qui n'est, à vrai dire, qu'un vaste îlot, possède une grotte aussi belle que singulière, au sujet de la découverte de laquelle, les naturels racontent l'histoire suivante...qui est tout simplement un délicieux petit roman sauvage.

Il y a bien longtemps de cela, un jeune chef de l'île de Vavao chassait la tortue marine sur le rivage de Hoonga. Une proie colossale fuit devant lui. Debout dans son canot, son bon harpon armé d'un os de raie tout prêt à ses pieds, il pagaie avec rage. La bête se dirige tout droit vers une falaise à pic; il va donc l'atteindre car il lui coupe la retraite... Ô stupeur! la tortue géante plonge, et le regard du chasseur, perçant aisément l'eau profonde et transparente, la voit pénétrer dans la muraille sous-marine ...et disparaître! Est-ce un enchantement?...et l'amphibie aux rudes écailles est-il quelque génie des ondes? L'intrépide jeune homme le saura!
Son arme au point, il plonge résolument. Devant lui un porche béant et sombre s'ouvre, effrayant, dans le mur granitique. Grand nageur, comme tous ses compatriotes, le jeune chef au cœur d'or et aux muscles d'acier, y pénètre sans que ses artères ...en battent plus vite. Plus il avance, plus au dessus de sa tête la voûte du rocher s'exhausse. Un dernier coup de talon et il respire l'air libre au sein d'une pénombre vague, étrange, pleine de tiédeur et de mystères.
Il fait quelques brasses dans l'obscurité relative; ses pieds touchent un sable fin; sa main rencontre un rocher poli sur lequel il se hisse et s'assied.
Peu à peu, son œil subtil s'accoutume à la nuit incomplète qui l'entoure: une douce lueur monte des flots sans rides, frappe une haute voûte remplie de doux étincellements, et sa voix lui revient aux oreilles, répercutée par cent échos tremblants.
Enfin il voit: la magie pressentie fait place en son âme à l'admiration respectueuse. Il est dans une grotte merveilleuse, et haute  d'une quinzaine de mètres, divisées en deux galeries et constellée de stalactites.
Le jeune homme remercie les dieux et la tortue, leur instrument, de la découverte qu'ils lui ont permise et dont, dans sa jeune et prudente sagesse, il gardera le secret au plus profond de son être.

Or, son île natale subissait le joug sanglant d'un chef supérieur, despote et cruel. Les peuples souffraient et gémissaient et le généreux jeune homme forma le dangereux projet de les débarrasser du monstrueux tyran. Il savait un autre vieux chef voisin, nommé Finoha, dans les mêmes dispositions de révolte. Il trama avec lui un complot vengeur.
Or, ce Finoha avait une fille de seize ans, belle comme une déesse, avec ses grands yeux pleins de flamme et ses longs cheveux ondulés tombant en flots d'ébène sur son buste nu de marbre sombre. De cette naïve et surhumaine beauté, le cœur du jeune chef était depuis longtemps l'esclave; mais sa voix n'osait formuler sa tendre souffrance, car il était trop petit seigneur pour oser prétendre à sa main.
Sur ces entrefaites, le vieux Finoha fut soupçonné par le méchant chef supérieur qui résolut de les faire périr lui et les siens. le jeune homme surprend le sinistre projet quelques instants avant son exécution. Il ne peut songer à soustraire son complice au sort qui l'attend, mais il sauvera au moins sa bien-aimée ou périra avec elle.
Il vole à sa demeure;
- On vient pour faire périr celle que j'adore: fuis avec celui qui t'aime et veut aux dépens des siens sauver tes précieux jours!
- Oui, répond avec élan la belle fille qui chérit aussi en secret son sauveur.
Il enlève, étreint son délicat fardeau et va la mettre hors de toute atteinte dans la féerique caverne que lui seul connaît. Là, il la visite chaque jour, la comblant de riches présents, de provisions recherchées et de serments d'éternelle jeunesse. Sa bien-aimée devient son épouse, et la grotte merveilleuse un temple de bonheur.
Deux mois se passent. Le jeune chef est à son tour soupçonné par le tyran, bien que de plus douces occupations lui aient enlevé toute velléité de révolte. Il résolut de fuit secrètement avec ses guerriers et matabooles. Il leur donne l'ordre de s'embarquer avec leur famille et leurs biens, sous prétexte d'une longue expédition aux îles Fidji; et comme, au moment de prendre la mer par une nuit sombre, ses compagnons lui disent:
- Chef, partirez-vous sans prendre une femme à Tonga?
Il répond:
- Les dieux propices m'en enverront une au cours du voyage.
Les hommes se mettent à rire de ce qu'ils prennent pour une extravagance et font force pagaie pour quitter la dangereuse Vavao et gagner le large.
A l'aube, la flottille passe devant Hoonga. Le chef fait approcher de la côte, plonge...et ne reparaît pas!
Ses guerriers alarmés, poussent déjà des cris de désespoir, lorsque sa tête émerge victorieusement des flots, tandis que ses bras tendent à ses fidèles une jeune femme belle comme la chaste lune sortant, humide et éclatante, du sein des mers de l'Orient!
Ils crient au miracle et se prosternent devant la créature idéale qu'ils croient une déesse... Mais lorsqu'ils osent la mieux regarder, l'erreur cesse: ils reconnaissent la fille de Finoha et comprennent!...
Au bout de deux ans d'exil, le tyran de Vavao mourut et le jeune et heureux couple, suivi de ses féaux sujets, rentra vivre paisible et glorieux sur l'île natale.
Depuis ce temps la caverne de l'île Hoonga est religieusement vénérée de tous les jeunes insulaires de l'archipel des Amis.

                                                                                                             G. de Wailly.

Journal des Voyages, dimanche 31 mars 1889.

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