L'art de se faire aimer de son mari.
Une de mes lectrices m'adresse de sérieux reproches: "Pourquoi, madame, avez-vous traité l'art de se faire aimer de sa femme? La belle difficulté vraiment pour un homme de gagner le cœur d'une femme qui n'a pensé qu'à son futur mari depuis son adolescence et qui ne demande qu'à lui donner son cœur; traitez donc l'art de se faire aimer de son mari; nous savons toutes que les époux sont grognons, blasés, capricieux, rebelles à l'attendrissement; dites-nous s'il existe un moyen de se les attacher?"
Mais certainement ce moyen existe, il est efficace et capable de fixer même l'époux rébarbatif que le sort paraît avoir dévolu à ma lectrice.
Beaucoup de jeunes femmes ont le tort de limiter à leur seule beauté et à leurs charmes toute la tiédeur attirante du nid; c'est une illusion qui fausse leur ligne de conduite. Certainement un mari prend plaisir à voir sa femme élégante, gracieuse, jolie; mais il se blase vite sur ces qualités de parade pour réclamer les vertus de la maîtresse de maison.
Pourquoi vous irriter de cette tendance? Votre beauté, si éclatante soit-elle, ne peut prétendre à surpasser toutes les autres; et si, par impossible, vous réalisiez cet idéal, par le seul fait que vous demeurez semblable à vous même, vous lui paraîtrez bientôt monotone. Une femme très coquette risquerait même d'irriter son mari, car un homme ne tolère pas longtemps le gaspillage d'argent ou de temps; il lui suffit que sa femme soit propre, soignée, pour les heures de loisirs ou d'intimité.
Mais pour le courant ordinaire de la vie, il réclame surtout d'elle un soin minutieux et intelligent du ménage, de la cuisine, des enfants, des relations; il la veut maîtresse de maison irréprochable, sans défaillance, sans nervosité, sans plainte. Car ce n'est pas assez pour un mari de posséder une épouse qui soit tour à tour ménagère habile, femme du monde, mère dévouée, il aime à lui voir remplir sa tâche avec une humeur égale et un vaillant sourire.
Enfin, il a besoin d'être plus particulièrement l'objet de ses soins, il veut être la plus chère de ses occupations et il est infiniment doux à son orgueil de "seigneur et maître" de sentir qu'il est le pivot autour duquel se déploie son activité, il lui plait d'être le centre de tous ses travaux; il aime à constater que sa femme a toujours, comme but final de ses efforts, la pensée de lui être agréable ou de lui rendre service. Dans la matinée, elle se fait cuisinière pour satisfaire sa gourmandise; à midi, elle est accueillante, aimable, elle le distrait, l'entoure de prévenances; quand il part, elle brosse ses habits, refait le nœud de sa cravate, l'embrasse, lui souhaite bonne chance dans ses affaires.
J'entends d'avance ma lectrice se plaindre:
- Vraiment, votre moyen est étrange, je ne vois dans ce tableau qu'une femme exploitée par un égoïsme masculin; croyez-vous qu'un mari ainsi entouré sera aimable, empressé, songera même de temps en temps à me rapporter un bouquet de violettes?
- Pardon, lui répondrai-je, vous m'avez demandé l'art de se faire aimer de son mari, je vous le donne infaillible; maintenant, vous réclamez, je crois, l'art de se faire gâter de son mari; celui-là est moins utile; tous les moyens que je pourrais vous citer sont transitoires et incertains; d'ailleurs, cette science n'est pas nécessaire à votre bonheur.
Votre mari vous aime profondément, voilà l'essentiel; si son affection est mêlée d'une pointe d'égoïsme, tant mieux, elle n'en sera que plus durable. Qu'importe le bouquet de violettes qu'il oublie! Si vous y tenez beaucoup, réclamez-le-lui gentiment; ces attentions délicates supposent des subtilités de tendresse qu'on ne rencontre pas très souvent, même chez les meilleurs époux.
Mme Elise.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 14 juin 1903.
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