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samedi 31 mars 2018

Alfred de Musset, boulevardier.

Alfred de Musset, boulevardier.


Nous reproduisons une curieuse estampe, qui figure à l'exposition de la bibliothèque Saint-Fargeau et représente le boulevard de Gand à l'époque romantique. 


Le boulevard de Gand, aujourd'hui boulevard des Italiens.
(Les obélisques devant les Bains Chinois, au coin de la rue de la Michodière.)

C'est une bien amusante image. Ce boulevard fameux ne ressemblait guère au boulevard des Italiens, tel qu'on peut le voir aujourd'hui. Il était plus pittoresque, bordé de constructions moins grandioses. Un certain air débraillé y régnait (regardez bien la gravure) : trottoirs mal alignés, pavés raboteux, boutiques inégales, arbres aux frondaisons indisciplinées. Pourtant ce lieu à demi rustique servait de rendez-vous à toutes les élégances: les lionnes y défilaient le matin dans leurs tilburys, suivies de leurs tigres;  les gandins y exhibaient leurs redingotes serrées à la taille, leurs pantalons gris perle, leurs gilets de velours, leurs joncs flexibles à pomme de vermeil; les rois de la chronique et du feuilleton s'assemblaient autour des tables du Café de Paris et sur le perron de Tortini. Balzac y devisait avec Dumas père, Méry avec Alfred de Musset*. Ce dernier adorait le boulevard. J'en eus la preuve, un jour que je causais avec sa sœur, Mme Lardin de Musset, dont les entretiens et les confidences m'ont laissé de si chers souvenirs.
A la dernière visite que je lui rendis, comme le cours de la conversation nous ramenait sur ces matières, après m'avoir dressé un gentil tableau du salon de Mme Jaubert, la marraine, où fréquentaient des bas-bleus et des princesses russes, toutes amoureuses de son blondin de frère, elle se leva, ouvrit le meuble de bois de rose qui contenait les manuscrits de Musset, trésor tenu soigneusement sous clé, elle en tira quelques feuillets, qu'elle se mit en devoir de me lire.
- Ces lignes, m'expliqua-t-elle, n'ont point paru.. Alfred les avait tracées pour servir de préface à sa nouvelle des Deux Maîtresses, puis il les supprima. Il s'y portraiture lui-même avec une surprenante fidélité. C'est sa verve, son tour d'imagination, sa silhouette; et ce sont ses goûts, ses façons paradoxales de louer des choses qu'il aimait peut être un peu moins qu'il ne le prétendait. Il mystifiait volontiers tous ceux qui prenaient ses paroles à la lettre. Il se "payait la tête des gens" comme vous dites dans votre affreux argot.
Ma vénérable amie me donna connaissance du morceau, que je jugeai typique et, malgré quelques négligences, digne d'être comparé aux meilleurs de Musset.
Je sollicitai la permission d'en copier les fragments essentiels. Je viens de retrouver, au fond d'un tiroir, cette copie... Je vous la livre... N'a-t-il rien été publié de ces pages? Sont-elles entièrement inédites? Je ne sais trop. Elles mettent effectivement en lumière le Musset mondain, épris de chic et d'élégance, disons le mot: un peu "snob", dont le profil m'avait été si souvent dessiné par sa sœur. Le poète commence par une description de ce célèbre boulevard de Gand:
" L'espace compris entre la rue Grange-Batelière et celle de la Chaussée-d'Antin, n'a pas, comme vous savez, madame, plus d'une portée de fusil de long.
"Ce petit espace, souillé de poussière et de boue, est, cependant, un des lieux les plus agréables qui soient au monde. C'est un des points, rares sur la terre, où le plaisir est concentré. Le Parisien y vit, le provincial y accourt; l'étranger qui y passe s'en souvient comme de la rue Tolèze à Naples, comme, autrefois, de la Piazetta à Venise. Restaurants, cafés, théâtres, bains, maisons de jeu, tout s'y presse; on a cent pas à faire: l'univers est là. De l'autre côté du ruisseau, ce sont les Grandes-Indes."
Remarquez que tout cela est dit avec le plus grand sérieux, sans ironie apparente. Musset trouve des grâces réelles à ce boulevard poussiéreux et boueux... Maintenant le décor va s'animer. Nous connaissons le paysage, voilà l'habitant:
" Vous ignorez sûrement, madame, les mœurs de ce pays étrange qu'on a nommé boulevard de Gand. Il ne commence guère à remuer qu'à midi. Les garçons de café servent dédaigneusement quiconque déjeune avant cette heure. C'est alors qu'arrivent les dandys; ils entrent à Tortoni* par la porte de derrière, attendu que le perron est envahi par les Barbares, c'est à dire les gens de la Bourse. Le monde dandy, rasé et coiffé, déjeune jusqu'à deux heures, à grand bruit, puis s'envole à bottes vernies. Ce qu'il fait de sa journée est impénétrable: c'est une partie de cartes, un assaut d'armes; mais rien ne transpire au dehors, et je ne vous le confie qu'en secret."
Le boulevard de Gand, pendant le jour, est donc livré à la foule. Musset ressent pour elle un dédain qu'il ne dissimule pas. "Quelle pitié!", s'écrie-t-il. Mais si le snob méprise cette cohue, l'artiste y relève de savoureux détails qu'il croque prestement, du bout du crayon:
" Il n'en faut pas moins remarquer la taille fine de la grisette*, la jolie maman qui traîne son marmot, le classique fredon du flâneur, le panache de la demoiselle qui sort de sa répétition. A cinq heures, changement complet: tout se vide et reste désert jusqu'à six heures. Les habitués de chaque restaurant paraissent peu à peu et se dirigent vers leurs mondes planétaires. Le rentier retiré, amplement vêtu, s'achemine vers le Café Anglais*, avec son billet de stalle dans sa poche; le courtier bien brossé, le demi-fashionable vont s'attabler chez Hardy; de quelques lourdes voitures de remise débarquent de longues familles anglaises qui entent au café de Paris, sur la foi d'une mode oubliée; les cabinets du Café Douix, voient arriver deux ou trois parties fines, visages joyeux, mais inconnus."
La nuit tombe. Les boutiques s'allument. Autre aquarelle, non moins chatoyante:
" Devant le Club de l'Union, illuminé, les équipages s'arrêtent; les dandys sautillent ça et là, avant d'entrer au Jockey. A sept heures, nouveau désert. Quelques journalistes prennent le café pendant que tout le monde dîne. A huit heures et demie, fumée générale; cent estomacs digèrent, cent cigares brûlent; les voitures roulent, les bottes craquent, les cannes reluisent, les chapeaux sont de travers, les gilets regorgent, les chevaux caracolent... "
(Oh! que voilà, en quelques lignes, un merveilleux Gaverni! Mais continuons.)
" Le monde dandy s'envole de nouveau. Ces messieurs sont au théâtre et ces dames pirouettent.. La compagnie devient tout à fait mauvaise. On entend, dans la solitude, le crieur du journal du soir. A onze heures et demie, les spectacles se vident; on se casse le cou chez Tortoni pour prendre une glace avant de s'aller coucher. Il s'en avale mille dans une soirée d'été. A minuit, un dandy égaré, reparaît un instant; il est brisé de sa journée; il se jette sur une chaise, étend ses pieds sur une autre, avale un verre de limonade en bâillant, tape sur une épaule quelconque en manière d'adieu, et s'éclipse*. Tout s'éteint. On se sépare en fumant au clair de la lune. Une heure après, pas une âme bouge; et trois ou quatre fiacres patients attendent seuls, devant le Café Anglais, des soupeurs attardés qui ne sortiront qu'au jour."
Pourquoi le Parisien aime-t-il à ce point son boulevard? Quel plaisir y goûte-t-il? Quelle est exactement l'essence de ces délices? En d'autres termes, qu'y a-t-il dans l'intellect et la conscience du boulevardier? C'est le second point développé par Musset. Ici, il fait sonner ses gourmettes comme les carrossiers des beaux équipages qui longent le perron de Tortoni. Il hennit, il piaffe. On croit entendre, chez Mme Jaubert, le prince Phosphore de Cœur-Volant (c'est le surnom que lui avait attribué la bonne marraine) éblouir des fusées de son esprit l'altière comtesse de Kobergis, l'énigmatique Christine de Trivulse Belgiojoso, qui boivent dévotement ses paroles:
" Si je vous dis, madame, que, pour un jeune homme, il peut y avoir une extrême jouissance à mettre une botte qui fait mal au pied, vous allez rire. Si je vous dis qu'un cheval d'allure douce et commode, passablement beau, restera peut être entre les mains du marchand, alors qu'on se précipitera sur une méchante bête qui va ruer à chaque coin de rue, vous me traiterez de fou. Si je vous dis qu'assister régulièrement à toutes les premières représentations, manger des fraises avant qu'il y en ait, prendre une prise de tabac au rôti, savoir de quoi l'on parle et quelle est la dernière histoire d'une coulisse, parier n'importe sur quoi le plus cher possible et payer le lendemain, tutoyer son domestique et ignorer le nom de son cocher, sentir le jasmin et l'écurie, lire le journal au spectacle, jouer le distrait et l'affairé en regardant les mouches aux endroits les plus intéressants, boire énormément ou pas du tout, coudoyer les femmes d'un air ennuyé avec une rose de Tivoli à sa boutonnière, si je vous dis que c'est le bonheur suprême, que répondrez-vous?"
Il n'attend pas la réponse, il la fait lui-même. Et le gai bavardage va repartir:
" Une botte qui fait mal va presque toujours bien; un méchant cheval peut être plus beau qu'un autre; à une première représentation, s'il n'y a pas d'esprit dans la pièce, il y a du monde pour l'écouter; rien n'est si doux qu'une primeur quelconque; une prise de tabac fait trouver le gibier plus succulent; rire, parier et payer sont choses louables et permises à tous; l'odeur de l'écurie est saine et celle du jasmin délectable; tutoyer les gens donne de la grandeur; l'air ennuyé ne déplaît pas aux dames; et une femme qui vaut la peine qu'on aille au parterre, quel que soit le prix de la place, est assurément digne de faire le bonheur d'un homme distingué... Nous ne nous comprenons pas, n'est-il pas vrai,... 
Ce dernier cri sort du coeur. Musset juge à leur valeur les frivolités parisiennes; il ne saurait s'en passer; il les persifle et elles sont nécessaires à sa vie; on devine un fond d'amour à sa moquerie légère. ce côté de son tempérament, ce style cavalcadant, cravacheur, qui n'est que l'expression de la "blague" et de l'ironie boulevardières, nous les retrouvons dans la plupart de ses œuvres, dans ses chansons, dans ses contes, dans le préambule de Namouna, dans les tirades de Valentin "épatant" l'oncle Van Buck au premier acte de Il ne faut jurer de rien, dans les saillies d'Octave, dans les extravagances de Fantasio, dans les impertinences de Mme de Léry, dans les épigrammes que Perdican jette au nez de dame Pluche.
Musset est bien un fils de Paris... Du Parisien, il a l'humour indiscipliné, l'impatience du joug, quel qu'il soit, et qu'il déteste après se l'être donné. Plus romantique que Victor Hugo, il "bûche" le romantisme (rappelez-vous certains dialogues de Dupuis et Cotonet). Comme le Parisien, il abhorre la solennité pédante, l'emphase prudhommesque, travers haïssables, qu'il livre à la risée sous les traits du courtisan Mariani et du juge Tullio; il admet l'ivresse, mais à condition qu'elle soit spirituelle; il verse un doigt de champagne à Van Buck, un verre de lacrimachristi à Octave, et note en souriant leurs propos joyeux; mais il bafoue la pâteuse soûlerie de Bridaine et Blasius, ne prévoyant pas, hélas! qu'un jour il perdrait le droit de les railler. Comme le Parisien, il est "gobeur". Son scepticisme n'est qu'un vernis qui s'écaille. Il déborde de tendresse. Il fait les gros yeux aux amoureux transis, il les tourne en ridicule (relisez donc les conseils du vieux duc à Silvio, dans A quoi rêvent les Jeunes Filles?). Cependant, il veut que Jacqueline compatisse aux tourments de Fortunio, que la candeur de Cécile triomphe du donjuanisme de Valentin et que la petite princesse se penche sur le sommeil de Fantasio, toute émue...
Cet amant cynique et ingénu, ce fanfaron du vice, ce Pierrot effronté à la voix de rossignol, ce Chérubin abreuvé de larmes byroniennes, fut, par ses qualités et ses faiblesses, un Parisien de Paris.

                                                                                                                Adolphe Brisson.

Les Annales politiques et littéraires, 5 juillet 1908.

Nota de Célestin mira:

*

Alfred de Musset.



Caricature d'Alfred de Musset.




Café Tortini.


Boulevard de Gand (actuellement boulevard des Italiens) Paris.



Dandys.

*


Une grisette.




*


Café Anglais, boulevard des Italiens, 1877.
*


Dandys fatigués.

vendredi 30 mars 2018

En Indo-Chine.

En Indo-Chine.

Les soldats annamites convaincus d'avoir trempé dans la tentative d'empoisonnement faite, dans les derniers jours du mois dernier, contre une partie des troupes de la garnison française d'Hanoï ont été condamnés à mort, et sans doute sont-ils exécutés aujourd'hui. Ils avaient, à l'instigation des Sociétés secrètes, fortement mélangé de datura (dangereux stupéfiant, comme on sait) l'ordinaire de nos coloniaux, afin de les réduire à l'impuissance, de leur enlever leurs armes et, avec elles, de fomenter une révolte.
Cet attentat avait, d'ailleurs, provoqué, parmi la population française, une véritable exaspération. Plusieurs centaines de nos compatriotes avaient envahi le palais du gouvernement en demandant l'exécution immédiate, et le gouverneur n'était que très difficilement parvenu à les calmer et à leur refuser la loi martiale.

Les Annales politiques et littéraires, dimanche 19 juillet 1908.

Les antisuffragettes.

Les antisuffragettes.

La propagande des Suffragettes, leurs bruyantes manifestations, soulèvent, de l'autre côté du détroit, une très sérieuse opposition. Sous le titre de Whomen's national Antisuffrage Association, une Ligue est en train de se former, qui comprend, parmi ses fondatrices, la marquise de Tweeddale, Lady Jersey, lady Dorothy Névil, lady Weardale, Mme Humphry Ward, etc.
Ces personnes, qui se recommandent toutes par le talent ou l'influence sociale, désirent montrer que la majorité des femmes anglaises n'est pas de coeur avec les Suffragettes, comme celles-ci l'affirment, et qu'elles désapprouvent leur "audacieuse" campagne.
" Les Suffragettes, disent-elles, sont bien loin d'être aussi nombreuses qu'elles le prétendent. seulement, elles crient, elles se démènent comme quatre, donnant ainsi l'impression qu'elles sont beaucoup. Il est temps de faire cesser cette illusion."
La nouvelle ligue aurait un grand succès et les adhésions lui arriveraient de partout et en grand nombre.
Et sans doute que, parmi les partisans des antisuffragettes, se trouve le pince sans rire qui, pendant la grande démonstration d'Hyde-Park, élevait à la hauteur de leur principal orateur, l'impavide Mme Pankhurst*, un poupon en carton, et lui demandait, au milieu d'un rire général, ce que les enfants deviendraient "pendant que leurs nourrices seraient au Parlement".

Les Annales politiques et littéraires, 19 juillet 1908.


*Nota de Célestin Mira:


Manifestation ses Suffragettes à Hyde-Park le 21 juin 1908.








Arrestation d'Emmeline Pankhurst le 15 juillet 1858.


Arrestation d'une suffragette à Londres en 1914.



Arrestation d'une suffragette irlandaise en 1913.



Afin de pouvoir se défendre contre la police, les suffragettes apprenaient des sports de combat.

La photographie de la parole.

La photographie de la parole.

Récemment, M. d'Arsonval faisait, à l'Académie des Sciences de Paris, une communication apprenant à cette assemblée que M. Devaux-Charbonnel venait de trouver le moyen de photographier la parole.



M. Devaux-Charbonnel.

Ce problème, posé depuis longtemps, n'avait pu être résolu jusqu'à ce jour, les nombreuses expériences faites à ce sujet n'avaient pas donné de résultat appréciable. Il y a quelque temps, on avait cru obtenir un commencement de réalisation; mais le procédé étant défectueux, le résultat demeura imparfait.
M. Devaux-Charbonnel est ingénieur du ministère des postes et télégraphes et professeur de physique à l'Ecole supérieure des postes, télégraphes et téléphones; il est, de plus, vice-président de la Société des électriciens de France. Ce sont ces divers types et les occupations en résultant pour lui qui l'ont amené à diriger ses travaux dans le sens de la photographie de la parole et à faire la découverte dont nous venons de parler.
Au cours de nombreuses expériences faites pour le compte de son ministère sur la manière dont les fils télégraphiques transportaient les ondes sonores, il avait constaté que les résultats obtenus étaient facilement enregistrés par l'oscillographe de Blondel; il pensa qu'il serait facile d'en faire autant pour la parole proprement dite. A cet effet, il construisit un appareil, ou plutôt, il réunit ensemble trois appareils existants déjà: un microphone très sensible, une pile et un oscillographe de Blondel. 



Appareil de M. Devaux-Charbonnel.

Ce dernier appareil se compose lui-même d'un puissant électro-aimant, relié à l'oscillographe proprement dit, sorte de tige d'acier que deux fils mettent en rapport avec l'appareil et vers la partie médiane de laquelle est enchâssé un minuscule miroir ayant un millimètre de côté, d'une chambre noire sur le sommet de laquelle est placé un cadran destiné à recevoir soit un verre dépoli, soit une plaque photographique, d'une glace rectangulaire ayant environ quatre centimètres sur six, placée dans le fond de la chambre noire, exactement au-dessous du cadre de la plaque, et, enfin, d'une lampe, d'une lampe à arc.
Pour plus de clarté, nous joignons un schéma qui permettra de suivre les différentes phases par lesquelles passe la photographie de la parole telle que l'exécute M. Devaux-Charbonnel.




Principe de la machine de M. Devaux-Charbonnel.

On parle dans le microphone M; le son, et, par conséquent, la forme affectée par le mouvement des ondes sonores, est, grâce à la pile P, transporté, en suivant le fil F', jusqu'à l'oscillographe de Blondel. L'électro-aimant, E, de la machine amplifie la valeur de ces mouvements et en affecte à son tour, l'oscillographe proprement dit, O. Cependant, on a mis en communication, les deux charbons de la lampe à arc, L; la lumière qu'elle émet vient frapper le miroir de l'oscillographe (cette lumière est représentée sur notre schéma par la ligne pointillée a b). De ce contact, il résulte un autre rayon lumineux, représenté par b c, lequel reproduit exactement les mouvements de l'oscillographe et va les inscrire sur la glace G; cette glace, à son tour, renvoie, en c d, l'image qu'elle reçoit, sur la plaque photographique P. L'opération est alors terminée et il n'y a plus qu'à développer.
La série des voyelles obtenue par ce procédé permet certaines observations fort intéressantes. 
La configuration générales de ces lettres est une suite d'angles aux sommets inversés. Plus le son produit par une voyelle est grave, moins les angles sont nombreux et plus ils sont obtus; plus le son est haut, plus les angles sont nombreux et plus ils sont aigus.
Voici les trois voyelles les plus caractérisées: I, O et A. 



La voyelle I, qui,  dans notre alphabet donne le son le plus aigu, est composée d'un très grand nombre d'angles: c'est une véritable suite de zigzags. O, qui est au contraire, le son le plus grave, en offre un nombre beaucoup plus restreint. Enfin, A, qui offre une tonalité moyenne, présente, en photographie, une quotité également moyenne d'angles.
Il n'est pas douteux, que la photographie de la parole aura, dans la suite, de nombreuses applications pratiques; le jour est peut être proche où, grâce à un dispositif enregistreur spécial, les appareils récepteurs des téléphones inscriront automatiquement les communications, ce qui permettra d'utiliser la téléphonie, même lorsque l'interpellé ne pourra se présenter à l'autre bout du fil.

                                                                                                                     S de Givet.

Les Annales politiques et littéraires, 12 juillet 1908.

jeudi 29 mars 2018

Ceux de qui on parle.

Le général Dodds.

Il est réconfortant, à notre époque où tant de généraux chamarrés d'or n'ont jamais vu d'autre feu que celui des manœuvres ou celui de leur pipe, de lire l'histoire d'un vrai soldat. Un soldat: quelque étrange que cela puisse paraître, c'est ce qu'a été toute sa vie le général Dodds. Il s'est battu à Sedan, il s'est battu à la Réunion, en Indo-Chine et en Afrique. Son nom n'est pas mêlé à quelque brillante conquête comme celle de l'Italie ou de la Prusse; les batailles qu'il a gagné ne s'appellent pas Rivoli, Iéna, Austerlitz. Il a tué beaucoup de nègres et peu d'Européens, ce qui serait très maladroit pour un homme soucieux de sa réputation.




Le nom du général Dodds est lié, indissolublement, à celui de Béhanzin. C'est le vainqueur de Béhanzin que le peuple de Marseille acclamait chaudement en 1893, et tant que l'histoire parlera de cet officier, ce sera pour célébrer sa campagne du Dahomey.* Il faut que le général Dodds s'y résigne: le nom de Béhanzin et le sien tomberont ensemble dans l'oubli. Le général de division ne peut accrocher sa renommée qu'à celle du pauvre roi nègre.
C'est au Sénégal, à Saint-Louis, que naquit le général Dodds, en 1842. Son père, attaché à l'administration coloniale avait épousé une sénégalaise d'origine normande. Le jeune Dodds fit ses études au lycée de Carcassonne, entra à l'Ecole de Saint-Cyr et en sortit sous-lieutenant d'infanterie de marine en 1864.
Il était capitaine quand éclata la guerre de 1870. Fait prisonnier à Sedan, il s'évada et servit dans les armées de la Loire et de l'Est. Il fit ensuite diverses expéditions, en Cochinchine, au Tonkin et surtout au Sénégal d'où pendant vingt ans il s'absenta peu et où il eut à réprimer de nombreuses révoltes.
Nommé colonel, il commandait à Toulon, en 1892, le 8e  régiment d'Infanterie de marine. C'est à ce moment que le Gouvernement le désigna pour diriger les opérations au Dahomey. On se rappelle les événements qui suivirent: la prise d'Abomey, capitale de Béhanzin, la fuite du roi, le retour du général Dodds en France, et sa deuxième campagne de 1893-94, au cours de laquelle la déchéance de Béhanzin fut prononcée et celui-ci obligé de se rendre.
Tandis que son adversaire se morfondait en captivité, seulement distrait par les quelques femmes et fils qu'on lui avait permis d'emmener, le général Dodds achevait de soumettre son peuple à la France, et poursuivait sa brillante carrière. Inspecteur général de l'Infanterie de marine en 1894, général de division en 1899, il reçut le commandement des troupes d'Indo-Chine, puis celui du corps d'armée des troupes coloniales et entra en 1904 au Conseil supérieur de la guerre. Il est passé dernièrement au cadre de réserve.
Le général Dodds est modeste, il ne parle de lui-même que lorsqu'on l'interroge. Sa conversation est surtout attachante quand il raconte les ruses des sauvages qu'il a combattu toute sa vie, les coutumes rudes et cruelles de ce peuple dahoméen qui élevait des Amazones pour la guerre, qui pavait ses temples de crânes humains et immolait ses prisonniers.
Les histoires du général Dodds sont à faire frémir. Il les dit pourtant sans emphase, en vieux brisquard qui connait la vie et qui apprécie à sa mesure la distance qui sépare les sauvages d'Afrique de nos bandits civilisés.

                                                                                                                                    Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 6 octobre 1907.


* Nota de Célestin Mira:





Fils du roi Da-Da Gléné Kini-Kini,
Béhanzin ou Guèhin azi bô ayidglé Ahossou Gbowélé
fut vaincu par Alfred Dodds le 4 novembre 1892,
puis de nouveau vaincu en 1894, date à laquelle il fut déchu.






L’œil de verre.

L’œil de verre
monologue très comique.

(à dire avec un fort accent anglais)


Je vais vous avouer quelque chose; j'ai un œil de verre et c'est un peu à cause de ça que je suis borgne, je suis borgne comme un hôtel, et c'est à cause que je suis borgne que j'ai mis un œil de verre pour avoir l'air d'en avoir deux, et mon œil de verre, il est tellement bien fait, que les gens qui ne savent rien, ils croient que c'est l’œil en verre qui est le plus naturel, et le naturel qu'il est en verre, tellement ils se ressemblent tous les deux, surtout le vrai.
Ma femme, elle a quatre-z-yeux, mais elle voit encore moins clair que moi; elle a quatre-z-yeux: deux yeux dans la figure, un œil entre les doigts de pieds: un œil de perdreau, et elle a aussi un œil de chat après sa bague. Tous les soirs, elle prend mon œil pour le mettre dans un verre d'eau, pour le tenir rafraîchissant pendant la nuit; voilà que l'autre soir elle s'a trompé, elle a mis mon œil en verre dans mon eau minérale purgative; voilà que le matin, je bois mon eau minérale purgative, et je me suis avalé mon œil!




Je me disais: ça ne fait rien! Un œil, ça voit clair! Il se reconnaîtra bien à la sortie! Mais voilà! Il ne voulait pas sortir, il faisait son petit métropolitain, et il restais à la station terminus: Saint-Mandé! Tout le monde descend! (mais pas lui). Ma femme, elle essayait de me consoler comme elle pouvait; elle me disait: 
"Tu as beaucoup de dettes, ça bouchera toujours un trou!"
Mais moi, comme je sentais que ça ne pouvait pas durer, je ne voulais rien savoir et je suis été trouver un médecin vétérinaire spécialiste oculiste pour les yeux pour me faire désoculer. Le médecin vétérinaire spécialiste oculiste pour les yeux me dit:
" Vous êtes cyclope?"
Je réponds:
"Non, je suis anglais! Mais voulez-vous, je vous prie, retirer l’œil?"
Alors le médecin vétérinaire spécialiste oculiste pour les yeux me dit:
"Laissez l’œil où il est, c'est une affaire d'habitude, ça vous donne l'air très intelligent, et puis votre œil a l'air de se plaire beaucoup dans ses nouvelles paupières. Ajoutez plutôt un monocle et tout le monde vous prendra pour M. Chamberlain!"




                                                                                                                       J. Moy.

Mon dimanche, revue populaire illustrée, 1er septembre 1907.

Le militaire et sa bonne.

Le militaire et sa bonne.

Gageons que M. Chéron*, pourtant si attentif à satisfaire les moindres souhaits de nos braves pioupious, n'avait pas encore prévu celle-là: la bonne du soldat!
Elle existait pourtant, jusqu'à ces dernières années, mais c'était au Pérou qu'il aurait fallu l'emprunter et le Pérou est un peu loin...
Il y a trois ans encore, le gouvernement péruvien distribuait à chacun de ses soldats une solde de cinquante francs par mois. Les hommes devaient se nourrir avec cette somme. Et, comme ils n'étaient pas cuisiniers, ils prenaient une sorte de vivandière*, la Rabona, quelque chose comme une bonne à tout faire.
La Rabona était maternelle, prévoyante et habile à tourner les sauces. Elle excellait dans l'art de réparer le linge et les uniformes. Et, en campagne, elle suivait son maître comme un chien fidèle, pliant sous le poids des bagages et du fusil qu'elle portait aussi.
Quelques soldats se cotisaient et, à trois ou quatre, ils avaient une seule Rabona. Mais c'était là l'exception. On peut en conséquence se rendre compte qu'avec une pareille institution, l'effectif des troupes était aisément doublé. Sans compter que les militaires péruviens épousaient souvent leur Rabona. Les enfants augmentaient alors cette armée bizarre dont l'arrière-garde était grossie par les vigognes, les cochons, les chiens, les poules et les lapins de ces petites familles militaires.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 1er décembre 1907.


Nota de Célestin Mira:

*


M. Chéron faisant un discours au Havre
devant la Fédération des gauches le 15 février 1914. (Source: BNF)

Henry Chéron, très populaire à son époque occupa plusieurs ministères. En temps que sous-secrétaire d'Etat à la guerre, il améliora le sort des soldats ce qui lui valut le surnom de "la petite fée barbue des soldats"

*


Vivandière française, 1860.



Pourquoi les femmes sont-elles plus belles que les hommes?

Pourquoi les femmes sont-elles plus belles que les hommes?

Un docteur anglais s'est livré à de sérieuses investigations à ce sujet et nous communique les résultats suivants: c'est le travail de tête qui nuit à la beauté des hommes.
Sur 1.000 femmes prises dans les races et les milieux les plus divers, ce sont celles qui n'ont pas d'activité intellectuelle qui sont les plus belles!
Les études et les occupations sérieuses demandant de la réflexion sont nuisibles à la beauté.
Dans l'Inde anglaise, il y a une race, les Zaros où la femme s'occupe de choses de l'Etat et soutient le ménage par son travail; c'est elle qui déclare son amour à l'homme tandis que celui-ci n'a en somme rien à faire qu'à s'occuper des enfants et de la cuisine.
La conséquence naturelle de cet état de chose est que l'homme devient très beau tandis que la femme Zaro est très laide. Bizarre, n'est-ce pas?

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 1er décembre 1907.

Qu'as-tu fait de ta tête?

Qu'as-tu fait de ta tête?

Pendant la guerre de Crimée, deux fantassins, camarades de lit, l'un Bourguignon, l'autre Franc-Comtois, s'étaient juré de se secourir mutuellement sur le champ de bataille, s'il arrivait malheur à l'un d'eux.
A l'attaque du Grand- Redan*, le Bourguignon eut la jambe emportée; il appela son camarade, lui fit voir sa blessure et le supplia de le porter à l'ambulance.
Le Franc-Comtois, pour toute réponse, s'empressa de le charger sur ses épaules et de se diriger vers les tranchées.
En chemin, un boulet enleva la tête du blessé sans que le Franc-Comtois s'en aperçut.
Un officier qui le vit passer avec ce cadavre sur les épaules, lui demanda où il allait.
- A l'ambulance, mon lieutenant, où je vais faire panser mon camarade.
- Comment, imbécile, tu vas faire panser un corps sans tête?
- Sans tête! fit le fantassin.
A ces mots, il déposa le cadavre à terre, et le considérant avec stupéfaction:
- Ah! par exemple, c'est trop fort, s'écria-t-il, mais il vient de me dire lui-même que c'était une jambe qu'il avait perdue!
Le brave Franc-Comtois, s'il n'est pas mort, cherche encore le mot de l'énigme.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 1er décembre 1907.


Nota de Célestin Mira:

*



Intérieur d'une batterie russe du  Grand-Redan, 
Sébastopol, en 1855.

mercredi 28 mars 2018

Une femme champion au moyen âge.

Une femme champion au moyen âge.

C'est une affaire entendue, la femme moderne pratique les sports assidûment:
Diabolo, tennis, auto, natation, bicyclette, canotage: ce sont là des choses courantes. Maints clubs féminins de Londres se sont constitués uniquement en vue de la culture physique; à Cincinnati une association de femmes de la haute société pratique la lutte romaine et, en Allemagne, les femmes des ouvriers et des employés de la fabrique des canons Krupp disposent de terrains spéciaux pour le jeu de golf.
Nos grand'mères étaient plus timorées: le saut à la corde et une partie de volants résumaient à peu près leurs ébats. D'autres faisaient de l'équitation, par goût ou par nécessité. Et c'était tout.
Pourtant, le Journal d'un bourgeois de Paris, une précieuse chronique d'antan attribué au curé de Saint-Nicolas des Champs, Jean Bari, nous raconte les exploits d'une femme qui, dans la première moitié du quinzième siècle, aurait mérité à Paris le titre de champion si le vocable avait existé.
" En cet an 1427, écrit cet ancien auteur, vint à Paris une femme nommée Margot, assez jeune, comme de vingt-huit à trente ans, qui était du pays de Hainault et laquelle jouait à la paume mieux qu'aucun homme..."
La jolie Margot était, en effet, un redoutable adversaire pour les joueurs de paume. Elle remporta successivement huit parties au tripot de la rue du Grenier-Saint-Ladre, qu'on appelait encore le Petit-Temple. Les "tripots" étaient des emplacements couverts où on se livrait à ces violents exercices. Ce nom leur venait du verbe "triper" qui signifie sauter.
Les succès de la jolie Belge qui voyageait accompagnée de son père pour porter des défis aux meilleurs paumistes lui valurent une fortune inespérée. Elle épousa à Londres un Argentin dont la richesse était colossale pour l'époque, et dès lors, elle ne parut plus en public.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 24 novembre 1907.

Nota de célestin Mira:


Jeu de paume vers 1650.


Jeu de paume sous Louis XIII.

Les folies des rimailleurs.

Les folies des rimailleurs.

Aimez-vous les vers aux rime somptueuses et ultra-riches, dont les dernières syllabes ont la même consonnance?
Aimez-vous:

Le boulevard où l'on coudoie
La jeune fille au long cou d'oie?

Si oui, voici mieux encore. Il y a des vers que l'on appelle les vers-protée et qui, tout en présentant la même consonnance varient de sens selon la façon dont ils sont mis. En voici un nouvel exemple attribué à Marc-Monnier:

Laurent Pichat, virant, coup hardi! bat Empis.
Lors, Empis, chavirant, couard, dit: Bah! tant pis!

Et cet autre, non moins amusant:

Gall, amant de la reine, alla, tour magnanime!
Galamment de l'Arène, à la Tour Magne, à Nîmes.

                                                                                                                         H. P.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 24 novembre 1907.

Le "Teur".

Le "Teur".


On ne sait pas trop, en somme, si on le sait assez, ce que c'est qu'un Turc, et l'ethnographie n'est pas encore fichue de nous l'apprendre. De cette race tartare, qui nous vient du Turkestan, et qui est appelée à y retourner, de ces Turkmènes ou Turcomans, dont un million à peine d'autochtones promène ses tentes de feutre dans le pays de Balkh et s'y mange le nez avec les Kirghiz et les Usbegs, il n'est pas aisé de définir combien sont mêlés, dans l'empire ottoman, aux autres races qui le composent. En tout cas, je ne me chargerais pas de la besogne, même pour beaucoup d'argent, je vous donne ma parole d'honneur.
Les Turcs, dit-on, les vrais descendent de ce Teucer, dont parle Homère, qui fonda la race des Teucriens, c'est à dire des Troyens.
Mais, pour nous, le Turc s'est, depuis longtemps, dépouillé du Teucrien ou troyen, et il n'en reste plus que bête brute particulière et tout à fait idiosyncrasique, dont, sous le nom de "Teur", on fait peur aux petits enfant occidentaux de la chrétienté.
Peur légitime, assurément, nous en avons la preuve, mais mélangée d'une bouffonnerie qui la dissipe, et, si vous me permettez ce mot, qui la polichinellise. Le "Teur" est un fantoche sanglant, mais un fantoche, dont la physiologie comique a fini par se confondre avec celle même de Karagheuz*, le guignol de l'Orient, et par nationaliser jusqu'à ses obscénités et son stupre...
Je ne crois pas que le bamboche soit né à Marseille, quoiqu'il soit assez rationnel de l'admettre à cause de la communication immémoriale et directe de ce vieux port méditerranéen avec le Levant. Mais je me hâte de déclarer que, si quelques correspondants ont pour moi des lumières sur ce point, je m'en éclairerai volontiers à leurs flambeaux. A mon sentiment, le "Teur" nous est venu d'Italie par la comédie italienne, qui le tenait peut-être de la Grèce même, de la Grèce ottomanisée, s'entend.
A la comédie italienne, en effet, Molière a emprunté le mamamouchisme et ses entrées de ballets burlesques, qui ont donné le ton et formulé le type; c'est la que la littérature, elle du moins, l'a pris pour le livrer, turban et yatagan compris, à la grande risée de la rue. Le "Teur" ne serait donc que le mamamouchi molièresque, doté de l'accent méridional, qui est la gloire de la Canebière, ainsi qu'un gigot est relevé de sa gousse odorante.
Il est à observer, cependant, que, dans le mamamouchi même, il reste un peu de ce "Grand Turc", tant proverbialisé par le moyen âge, et dont les croisades avaient imposé l'image somptueuse, cruelle et fataliste à l'âme populaire. Mais le Turc n'est pas le "Teur"; là où le premier accréditait sa légende de force et de richesse, le second ne témoigne plus que d'une poltronnerie, d'une bêtise et d'une intempérance de mœurs aussi joviales que rassurantes. La satire a fait son oeuvre de déformation, et, la poupée éventrée, le son s'en échappe, à la grande joie des civilisés.
Mais qui expliquera que, de cette formidable peuplade asiatique, d'une intrépidité guerrière sans rivale peut-être et pour qui la vie n'a pas de prix et ne compte que si on la joue à la mort contre celle d'un autre, qui expliquera que, de ces conquérants de Byzance, la caricature soit sortie en poussah hébété, sourcilleux, rébarbatif et falot et que le sarrasin de nos pères ne soit plus désormais que le "Teur".
Et ce "Teur", notez-le bien, bouffon classique de nos féeries et de nos opérettes, plastron de coq-à-l'âne et de calembredaines, et rôle de niais, il n'est pas seulement le Turkmène européanisé et mêlé autres races occupantes de la Turquie d'Europe, il est tout l'Orient, et c'est ainsi que l'Occident se le représente. Aux yeux de la candide ignorance ethnologique, qui est le charme même de notre éducation et rend nos tentatives coloniales si intéressantes, tout ce qui n'est pas chrétien est "Teur". L'Arabe est "Teur". L'Arménien lui-même, oui, l'Arménien, naguère, avant que des massacres n'élucidassent sa situation de peuple asservi, était englobé dans la dénomination générale. Il est vrai que pour les "Teurs" tous les chrétiens, anglais, français, allemands, italiens, russes ou autres, catholiques, protestants ou orthodoxe, sont des giaours. Et il y a des gens qui disent que l'humanité change et progresse! Oh! pas sur la terre, dites?
Nous en sommes et nous resterons absolument au point philosophique où en était le moyen âge lequel en demeurait au même que l'antiquité, qui n'avait pas fait un pas sur la nuit des temps.
Avec leur bon sens instinctif, les simples d'esprit ont raison de simplifier les choses.
Au fond de tout, il n'y a que ceci: le "Teur" et le giaour, soit le Croissant contre la Croix, et le reste n'est que prétexte.
Unités des races, de patries, de langues, d'industries ou de finances, de tout ce que vous voudrez, les conquêtes et les revanches, et les alliances aussi, tout se noue et de dénoue dans le seul problème des latries.
Chien de chrétien, chien de musulman, chien de juif, car il y a celui-ci encore, il n'est que chiens, vous dis-je, aboyant à la lune et se dévorant autour du seau qui la reflète....

                                                                                                                Emile Bergerat.

Les Annales politiques et littéraires, dimanche 16 juillet 1908.

Nota de célestin Mira:

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Personnages de théâtre d'ombre.


Karagheuz est le principal personnage des théâtres d'ombres grecs et turcs. Il représente un Grec vivant sous l'empire Ottoman.