Le général Dodds.
Il est réconfortant, à notre époque où tant de généraux chamarrés d'or n'ont jamais vu d'autre feu que celui des manœuvres ou celui de leur pipe, de lire l'histoire d'un vrai soldat. Un soldat: quelque étrange que cela puisse paraître, c'est ce qu'a été toute sa vie le général Dodds. Il s'est battu à Sedan, il s'est battu à la Réunion, en Indo-Chine et en Afrique. Son nom n'est pas mêlé à quelque brillante conquête comme celle de l'Italie ou de la Prusse; les batailles qu'il a gagné ne s'appellent pas Rivoli, Iéna, Austerlitz. Il a tué beaucoup de nègres et peu d'Européens, ce qui serait très maladroit pour un homme soucieux de sa réputation.
Le nom du général Dodds est lié, indissolublement, à celui de Béhanzin. C'est le vainqueur de Béhanzin que le peuple de Marseille acclamait chaudement en 1893, et tant que l'histoire parlera de cet officier, ce sera pour célébrer sa campagne du Dahomey.* Il faut que le général Dodds s'y résigne: le nom de Béhanzin et le sien tomberont ensemble dans l'oubli. Le général de division ne peut accrocher sa renommée qu'à celle du pauvre roi nègre.
C'est au Sénégal, à Saint-Louis, que naquit le général Dodds, en 1842. Son père, attaché à l'administration coloniale avait épousé une sénégalaise d'origine normande. Le jeune Dodds fit ses études au lycée de Carcassonne, entra à l'Ecole de Saint-Cyr et en sortit sous-lieutenant d'infanterie de marine en 1864.
Il était capitaine quand éclata la guerre de 1870. Fait prisonnier à Sedan, il s'évada et servit dans les armées de la Loire et de l'Est. Il fit ensuite diverses expéditions, en Cochinchine, au Tonkin et surtout au Sénégal d'où pendant vingt ans il s'absenta peu et où il eut à réprimer de nombreuses révoltes.
Nommé colonel, il commandait à Toulon, en 1892, le 8e régiment d'Infanterie de marine. C'est à ce moment que le Gouvernement le désigna pour diriger les opérations au Dahomey. On se rappelle les événements qui suivirent: la prise d'Abomey, capitale de Béhanzin, la fuite du roi, le retour du général Dodds en France, et sa deuxième campagne de 1893-94, au cours de laquelle la déchéance de Béhanzin fut prononcée et celui-ci obligé de se rendre.
Tandis que son adversaire se morfondait en captivité, seulement distrait par les quelques femmes et fils qu'on lui avait permis d'emmener, le général Dodds achevait de soumettre son peuple à la France, et poursuivait sa brillante carrière. Inspecteur général de l'Infanterie de marine en 1894, général de division en 1899, il reçut le commandement des troupes d'Indo-Chine, puis celui du corps d'armée des troupes coloniales et entra en 1904 au Conseil supérieur de la guerre. Il est passé dernièrement au cadre de réserve.
Le général Dodds est modeste, il ne parle de lui-même que lorsqu'on l'interroge. Sa conversation est surtout attachante quand il raconte les ruses des sauvages qu'il a combattu toute sa vie, les coutumes rudes et cruelles de ce peuple dahoméen qui élevait des Amazones pour la guerre, qui pavait ses temples de crânes humains et immolait ses prisonniers.
Les histoires du général Dodds sont à faire frémir. Il les dit pourtant sans emphase, en vieux brisquard qui connait la vie et qui apprécie à sa mesure la distance qui sépare les sauvages d'Afrique de nos bandits civilisés.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 6 octobre 1907.
* Nota de Célestin Mira:
Fils du roi Da-Da Gléné Kini-Kini, Béhanzin ou Guèhin azi bô ayidglé Ahossou Gbowélé fut vaincu par Alfred Dodds le 4 novembre 1892, puis de nouveau vaincu en 1894, date à laquelle il fut déchu. |
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