Ceux qui fabriquent des bombes.
L'anarchie joue un peu dans notre société le rôle du Croquemitaine. Un empereur, un roi tardent à satisfaire les "aspirations" d'une partie de ses sujets...? Vite, une bombe! Des députés ne votent pas assez vite des lois qui mettront un peu plus d'égalité entre les citoyens... une bombe!
Quelques soient la pensée des théoriciens qui ont fait une doctrine de l'anarchie, les actes des individus qui se sont efforcés de nous l'enseigner n'ont prouvé généralement jusqu'ici que de la brutalité et de la cruauté.
Leurs procédés d'intimidation n'ont pas obtenu en France les résultats qu'ils espéraient.
Le spectacle du sang répandu n'a fait que provoquer une indignation dont les anarchistes militants ont été les victimes.
La période héroïque.
Il y a dans l'histoire de l'anarchie en France une période que les policiers appellent encore aujourd'hui "la période héroïque": elle va de 1892 à 1894. Un incident assez médiocre lui donna naissance. Des anarchistes tenaient une réunion publique à Levallois, le 1er mai 1892. Le commissaire de police de la commune se présenta pour la dissoudre. Il fut mal reçu et appela ses agents à l'aide. Des deux côtés il y eut des coups de revolver tirés; il y eut des blessés de part et d'autre, mais finalement, selon la formule, force resta à la loi et trois arrestations furent , celles des compagnons Decamps, Dardare et Léveillé*. En cour d'assises il y eut des condamnations.
Alors, dans une ruée formidable, l'anarchie jura de venger les siens et de proclamer à la face du monde ses principes et sa puissance.
Une bombe fit trembler la maison du boulevard Saint-Germain où demeurait le président Benoit; une autre bombe menaça de ruiner l'immeuble de la rue de Clichy qui abritait l'avocat général Bulot*. La police répondit à ce double coup de tocsin en mobilisant ses forces. De tout côté fut envoyé le signalement d'un nommé Ravachol, soupçonné de ces méfaits. Ce nom sonore était destiné à une redoutable célébrité. Ravachol*, chaudronnier, avait une cicatrice à la main droite. Il ne pensa pas à mettre des gants. Un jour qu'il consommait au restaurant Very, 11, boulevard Magenta, il fut reconnu par le beau-frère du patron, Lhérot. Le commissaire du quartier, M. Dresch, fut averti, il vint procéder à l'arrestation. Ravachol fut condamné aux travaux forcés par le jury de la Seine, et un peu plus tard, le jury de Roanne le condamna à mort. Il marcha à l'échafaud en chantant. Il était sûr d'avoir un vengeur.
En effet, quelque temps après, un homme, petit de taille, voûté, longues moustaches fines, les yeux bleus, l'air d'un timide, arriva au restaurant Véry. Son mac-farlane marron lui donnait l'apparence d'un Anglais; et réellement, il venait de Londres. Il avait à la main une valise. Il s'approcha du comptoir, se fit servir un apéritif, et sortit, en ayant soin d'oublier sa valise. Il s'était à peine éloigné de 25 mètres qu'une épouvantable explosion dévastait le café*. Véry eut une cuisse arrachée; Lhérot devint sourd; il l'est resté; deux clients devinrent fous, et l'un d'eux mourut peu après d'épanchements sanguins dans les oreilles. Véry ne tarda pas non plus à expirer. C'était la voix de l'anarchie qui avait fait éclater son tonnerre.
Le petit homme, venu de Londres, retourna à Londres; mais il commis l'imprudence de revenir à Paris. Or la police l'avait identifier: c'était un menuisier, nomme Meunier*.
Aussitôt de retour à Paris, Meunier voulut (quelle imprudence!) assister à une réunion de ses amis, 90, faubourg du Temple. A la sortie, il fut reconnu par le brigadier Vilmin et par un jeune secrétaire du contrôle général de la Préfecture, M. Hamard, devenu depuis chef de la Sûreté. Les amis de Meunier livrèrent un combat acharné pour le défendre, mais les policiers restèrent vainqueurs, grâce aux renforts qu'ils reçurent. Meunier fut emmené au poste. Le jury de la Seine le condamna aux travaux forcés à perpétuité. Il fut amené à Cayenne. Il prit part à une révolte, et fut passé par les armes. Il était le second martyr de la cause.
Il devait bientôt en naître un troisième. En décembre 1893, une bombe éclata à la Chambre des Députés*. Quelque-uns de nos honorables reçurent des clous sur la tête, caresse assez désagréable. L'abbé Lemire fut un des plus sérieusement atteints. Dans les tribunes, il y avait aussi des blessés. Immédiatement les portes du palais furent closes, et l'on ne put sortir qu'en donnant son nom. Parmi les personnes soumises à cet examen sa trouva un nommé Vaillant. La police le conduisit à l'Hôtel-Dieu et, en guise d'infirmiers, plaça à son chevet deux inspecteurs de la sûreté. Or, il se trouva, par hasard, que l'un de ces agents, M. Agron, était un ancien artilleur. Il engagea avec Vaillant une interminable discussion sur les explosifs; et Vaillant eut l'impardonnable faiblesse de se laisser prendre au piège et de donner sur la fabrication des bombes des détails tellement circonstanciés que les soupçons déjà portés sur lui se changeaient en certitude..
Une perquisition fut résolue au domicile de Vaillant, rue Daguerre, et, en raison de la gravité de l'affaire, M. Lépine et le procureur de la République, M. Atthalin, voulurent l'opérer eux-mêmes. Mais ils se méfiaient. Vaillant pouvait avoir disposé derrière la porte de sa chambre un engin destiné à mettre les intrus en menus morceaux. Aussi prirent-ils le parti héroïque d'entrer par la fenêtre. Ils furent du reste récompensés de leur ténacité: il y avait dans le logis des traces de préparations chimiques. Vaillant fut condamné à mort et exécuté. Sur le passage du fourgon qui emportait son cadavre au cimetière d'Ivry, un homme cria: "Adieu, martyr!" Cet homme était Francis, un des amis de Meunier.
Faut-il aussi rappeler pour compléter l'histoire de cette lutte terrible, l'histoire d'Emile Henry*.
En effet, quelque temps après, un homme, petit de taille, voûté, longues moustaches fines, les yeux bleus, l'air d'un timide, arriva au restaurant Véry. Son mac-farlane marron lui donnait l'apparence d'un Anglais; et réellement, il venait de Londres. Il avait à la main une valise. Il s'approcha du comptoir, se fit servir un apéritif, et sortit, en ayant soin d'oublier sa valise. Il s'était à peine éloigné de 25 mètres qu'une épouvantable explosion dévastait le café*. Véry eut une cuisse arrachée; Lhérot devint sourd; il l'est resté; deux clients devinrent fous, et l'un d'eux mourut peu après d'épanchements sanguins dans les oreilles. Véry ne tarda pas non plus à expirer. C'était la voix de l'anarchie qui avait fait éclater son tonnerre.
Le petit homme, venu de Londres, retourna à Londres; mais il commis l'imprudence de revenir à Paris. Or la police l'avait identifier: c'était un menuisier, nomme Meunier*.
Aussitôt de retour à Paris, Meunier voulut (quelle imprudence!) assister à une réunion de ses amis, 90, faubourg du Temple. A la sortie, il fut reconnu par le brigadier Vilmin et par un jeune secrétaire du contrôle général de la Préfecture, M. Hamard, devenu depuis chef de la Sûreté. Les amis de Meunier livrèrent un combat acharné pour le défendre, mais les policiers restèrent vainqueurs, grâce aux renforts qu'ils reçurent. Meunier fut emmené au poste. Le jury de la Seine le condamna aux travaux forcés à perpétuité. Il fut amené à Cayenne. Il prit part à une révolte, et fut passé par les armes. Il était le second martyr de la cause.
Il devait bientôt en naître un troisième. En décembre 1893, une bombe éclata à la Chambre des Députés*. Quelque-uns de nos honorables reçurent des clous sur la tête, caresse assez désagréable. L'abbé Lemire fut un des plus sérieusement atteints. Dans les tribunes, il y avait aussi des blessés. Immédiatement les portes du palais furent closes, et l'on ne put sortir qu'en donnant son nom. Parmi les personnes soumises à cet examen sa trouva un nommé Vaillant. La police le conduisit à l'Hôtel-Dieu et, en guise d'infirmiers, plaça à son chevet deux inspecteurs de la sûreté. Or, il se trouva, par hasard, que l'un de ces agents, M. Agron, était un ancien artilleur. Il engagea avec Vaillant une interminable discussion sur les explosifs; et Vaillant eut l'impardonnable faiblesse de se laisser prendre au piège et de donner sur la fabrication des bombes des détails tellement circonstanciés que les soupçons déjà portés sur lui se changeaient en certitude..
Une perquisition fut résolue au domicile de Vaillant, rue Daguerre, et, en raison de la gravité de l'affaire, M. Lépine et le procureur de la République, M. Atthalin, voulurent l'opérer eux-mêmes. Mais ils se méfiaient. Vaillant pouvait avoir disposé derrière la porte de sa chambre un engin destiné à mettre les intrus en menus morceaux. Aussi prirent-ils le parti héroïque d'entrer par la fenêtre. Ils furent du reste récompensés de leur ténacité: il y avait dans le logis des traces de préparations chimiques. Vaillant fut condamné à mort et exécuté. Sur le passage du fourgon qui emportait son cadavre au cimetière d'Ivry, un homme cria: "Adieu, martyr!" Cet homme était Francis, un des amis de Meunier.
Faut-il aussi rappeler pour compléter l'histoire de cette lutte terrible, l'histoire d'Emile Henry*.
Une bombe avait été déposée avenue de l'Opéra, à la porte du siège social des Mines de Carmaux. Elle fut portée au commissariat de la rue des Bons-Enfants, où l'ignorance d'un gardien de la paix la fit exploser. Les ravages furent terribles. La police s'imagina que l'auteur de cet attentat était Emile Henry. C'était une erreur, un des fonctionnaires mêlés à l'enquête nous l'avouait hier encore. Mais cette erreur eut de funestes conséquences. Traqué de toutes parts, se sentant perdu, Emile henry voulut jeter son défi à la société. En plein jour, il lança une bombe dans un café près de la gare Saint-Lazare. Arrêté par un agent, il le terrassa et remonta en courant la rue d'Amsterdam. Mais, de l'impériale d'un omnibus, le brigadier Poisson l'avait aperçu et lui donna la chasse. Emile Henry, d'un coup de revolver, le fit rouler sur le trottoir. Maintenu par des passants, conduit au poste, il comparut devant le jury et se laissa condamner pour l'attentat de la rue des Bons-Enfants, qu'il n'avait pas commis.
Le 15 mars 1894, un homme fut mis en pièces, à la porte de la Madeleine, par une bombe qu'il destinait à une manifestation contre l'idée religieuse. Les débris de son cadavre furent recueillis, et ce fut un des grands succès de M. Bertillon d'identifier le défunt qui s'appelait Pauwels*.
Le 30 juin suivant, le président Carnot tombait, à Lyon, sous le poignard de Caserio*.
La société se vengea: Emile Henry, Caserio furent guillotinés, comme l'avaient été Ravachol et Vaillant. Depuis l'anarchie a laissé reposer son tonnerre. Mais la police ne s'est pas relâchée de sa surveillance. Pendant quelques temps, notamment à l'occasion des visites impériales ou royales, elle eut coutume de procéder à des arrestations en masse, parfois des plus illégales. Aujourd'hui, elle se contente de surveillance plus discrète.
La mission de surveiller les anarchistes appartient à la 3ème brigade de la Préfecture.
Les inspecteurs qui la composent font surtout de la police préventive, cherchent à éventer les complots, à découvrir les fabriques de bombes, à réduire à l'impuissance les ennemis de l'autorité. Ils comptent beaucoup sur leur intelligence et leur travail, beaucoup aussi sur les dénonciations qui leur parviennent.
Il nous souvient d'un jeune homme qui, ayant besoin d'une pièce de 20 fr. dénonça son propre frère, insoumis à la loi militaire. M. André, alors chef de brigade, captura l'insoumis, et paya les vingt francs, en y joignant l'expression de son profond mépris.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 4 août 1907.
Le 15 mars 1894, un homme fut mis en pièces, à la porte de la Madeleine, par une bombe qu'il destinait à une manifestation contre l'idée religieuse. Les débris de son cadavre furent recueillis, et ce fut un des grands succès de M. Bertillon d'identifier le défunt qui s'appelait Pauwels*.
Stryga, le terroriste russe est tué ai bois de Vincennes par la bombe qu'il portait. |
Le 30 juin suivant, le président Carnot tombait, à Lyon, sous le poignard de Caserio*.
La société se vengea: Emile Henry, Caserio furent guillotinés, comme l'avaient été Ravachol et Vaillant. Depuis l'anarchie a laissé reposer son tonnerre. Mais la police ne s'est pas relâchée de sa surveillance. Pendant quelques temps, notamment à l'occasion des visites impériales ou royales, elle eut coutume de procéder à des arrestations en masse, parfois des plus illégales. Aujourd'hui, elle se contente de surveillance plus discrète.
La mission de surveiller les anarchistes appartient à la 3ème brigade de la Préfecture.
Les inspecteurs qui la composent font surtout de la police préventive, cherchent à éventer les complots, à découvrir les fabriques de bombes, à réduire à l'impuissance les ennemis de l'autorité. Ils comptent beaucoup sur leur intelligence et leur travail, beaucoup aussi sur les dénonciations qui leur parviennent.
Il nous souvient d'un jeune homme qui, ayant besoin d'une pièce de 20 fr. dénonça son propre frère, insoumis à la loi militaire. M. André, alors chef de brigade, captura l'insoumis, et paya les vingt francs, en y joignant l'expression de son profond mépris.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 4 août 1907.
* Nota de Célestin Mira:
Attentat au domicile de l'avocat général Bulot. |
*
Ravachol. |
*
En fait Théophile Meunier a été capturé à Londres, à la gare de Victoria Station par William Melville, de Scotland Yard et extradé en France où il fut arrêté.
*
En fait Théophile Meunier a été capturé à Londres, à la gare de Victoria Station par William Melville, de Scotland Yard et extradé en France où il fut arrêté.
Attentat à la Chambre des députés. La Voix du Nord. 1893. |
L'abbé Lémire reçoit les premiers soins. La voix du Nord. |
Auguste Vaillant.
Exécution d'Auguste Vaillant.
* Amédée Pauwels, de son vrai nom, Désiré, Joseph Pauwels, connu aussi sous le nom d'Etienne Rabardy, est un anarchiste belge.
*
*
Interrogatoire d'Emile Henry. |
Exécution d'Emile Henry. |
* Amédée Pauwels, de son vrai nom, Désiré, Joseph Pauwels, connu aussi sous le nom d'Etienne Rabardy, est un anarchiste belge.
Amédée Pauwels. |
Explosion de la bombe d'Amédée Pauwels, à la Madeleine. |
Corps d'Amédée Pauwels, après l'explosion accidentelle. |
*
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire