Le Ramanenjana de Madagascar.
* Le nom de tigretier correspond au tarentisme et fut présent dans la région du Tigré en Abyssinie.
"On voit, écrit Boudin, à diverses époques de l'histoire et à des intervalles souvent assez considérables pour rendre difficile le rapprochement scientifique des phénomènes observés, l'humanité saisie d'un mystérieux et irrésistible besoin de déplacement et de mouvement, besoin qui s'est traduit, dans l'antiquité, par les grandes migrations des peuples; au moyen âge, tantôt par les croisades d'enfants, tantôt par les grandes épidémies colériques, depuis la fureur dansante des bords du Rhin (Tanzwuth des Allemands*) et le Tarentisme* de la Pouille, aux XIVe et XVe siècles, jusqu'aux convulsions du cimetière de Saint-Médard*, au tigretier de l'Abyssinie*, aux convulsions moderne de Morzine*, et enfin jusqu'à l'épidémie courante, connue sous le nom de ramanenjana qui a, en 1863, frappé une partie de la population de Madagascar."
Qu'était cette épidémie dont parle Boudin?
Au mois de février 1863, les Européens en résidence à Tananarive entendirent parler vaguement d'une maladie nouvelle et étrange qui se manifestait dans la région du sud-ouest et que les indigènes appelaient ramanenjana. De proche en proche, elle gagna la capitale et, au mois de mai, elle y battait son plein. On vit d'abord des groupes de deux ou trois personnes accompagnés de musiciens danser sur les places publiques. Au bout de quelques semaines, ces personnes se comptaient par centaines, au point qu'on ne pouvait sortir de chez soi sans rencontrer quelque bande de ces danseurs. La contagion s'étendit rapidement jusque dans les villages les plus éloignés de la province d'Emyrne et dans les chaumières les plus ignorées.
Le Dr Andrianjafy de Tananarive, qui a eu l'occasion d'observer plusieurs cas de cette singulière affection, la considère comme une manifestation du paludisme et les raisons qu'il en donne sont parfaitement admissibles.
Voyons d'abord comment se produit l'accès.
Un individu a eu un accès de fièvre paludéenne ou malaria. Après l'accès, il conserve la peau moite, les yeux rouges, le regard hébété. Il commence alors à se plaindre de la tête qu'il tourne ou mieux balance d'une façon particulière. Pendant un ou deux jours encore, il éprouve un malaise général, puis l'agitation nerveuse se manifeste d'une façon très curieuse. Si le moindre bruit agit sur lui et notamment s'il lui arrive d'entendre un chant, le son d'une musique, il devient incapable de se maîtriser, échappe à toute contrainte, court où la musique se fait entendre et se met à danser, quelquefois pendant des heures consécutives et avec une rapidité vertigineuse. Il balance la tête d'un mouvement rythmique, agite les mains de haut en bas. Ses yeux sont hagards et toute la physionomie prend une expression indéfinissable d'égarement, comme si le patient était absolument étranger à ce qui se passe autour de lui.
Le rythme de la danse se règle sensiblement sur la musique, qui est toujours aussi rapide que possible, mais cette situation dégénère souvent en un piétinement sur place. Le malade danse de la sorte, à l'étonnement de tous les assistants, comme s'il était possédé de quelque esprit, et jusqu'à ce qu'il tombe inanimé sur le sol.
Le Dr Andrianjafy note cette particularité curieuse: le malade aime à porter avec lui de longues cannes à sucre qu'il tient à la main ou sur l'épaule pendant qu'il danse. Très souvent, pour ne pas dire toujours, on le voit évoluer en portant sur la tête une bouteille ou une carafe pleine d'eau qu'il maintient en parfait équilibre.
Le malade danse le plus souvent au son du tambour, quelquefois au son du valiha ( espèce de guitare) ou du lokanga-voatavo (violon). Soit seul, soit accompagné de son cortège de musiciens et de mpisikidy (devins), il se rend dans certains lieux renommés pour leur sainteté (comme l'ancienne capitale Ambohimanga, près de Tananarive) ou bien près des tombeaux. Le devin excite la malade à danser, puis il lui trace avec un morceau de craie blanche une marque sur le front et les paumes des mains. La scène se termine par l'offrande au génie de la maladie d'une canne à sucre de choix qu'on dépose sur la pierre sacrée.
L'interprétation scientifique de pareils faits semble assez difficile. Pourtant le Dr Andrianjaty en donne une explication tout à fait rationnelle. Nous l'avons dit, il fait de cette choréomanie une manifestation du paludisme. Il est à noter, en effet, qu'elle se produit épidémiquement au moment du repiquage du riz. Or, c'est précisément à cette époque qu'on constate le plus d'accès de paludisme et que les moustiques pullulent à Madagascar. Quant aux symptômes nerveux, ils consistent d'abord en oscillations de la tête, abaissement et relèvement des deux épaules et des bras. Mais la danse proprement dite n'est pas un symptôme d'emblée, elle ne s'observe ordinairement que chez les malades qui ont été soumis à l'influence du mpisikidy. Plusieurs médecins malgaches de Tananarive m'ont même affirmé avoir vu des malades atteints de convulsions ou de simples mouvements choréïques, qui ont été invités et même forcés par leurs parents à exécuter des mouvements rythmiques de véritable danse afin de satisfaire le génie du mal qui est censé aimer la musique et la danse. Le malade danse alors par suggestion. Mais quelquefois, il danse spontanément et sans l'intervention du mpisikidy. Cette fois c'est de l'auto-suggestion.
"La plupart des indigènes, dit le Dr Andrianjafy ont vu ou entendu dire ce qu'est le ramanenjana et les moyens prétendus qu'on emploie pour le guérir. Or les gens nourris de superstitions et adonnés à la sorcellerie, lorsqu'une maladie vient les frapper plus tard, présentant quelques symptômes choréïques nerveux, se croient, de bonne foi, atteints de ramanenjana et en arrivent inconsciemment à manifester la plupart des symptômes dont nous venons de parler ci-dessus. Une fois que la maladie est déclarée, grâce encore à l'influence des sorciers, qui sont toujours leurs médecins, les symptômes déjà existants s'exagèrent, quelques autres s'y surajoutent, complétant ainsi le tableau du ramanenjana"
Aussi le traitement est simple: pour faire disparaître le ramanenjana épidémique, il n'y a qu'à supprimer les mpisikidy malgaches.
Les Annales de la santé, 15 avril 1910.
Qu'était cette épidémie dont parle Boudin?
Au mois de février 1863, les Européens en résidence à Tananarive entendirent parler vaguement d'une maladie nouvelle et étrange qui se manifestait dans la région du sud-ouest et que les indigènes appelaient ramanenjana. De proche en proche, elle gagna la capitale et, au mois de mai, elle y battait son plein. On vit d'abord des groupes de deux ou trois personnes accompagnés de musiciens danser sur les places publiques. Au bout de quelques semaines, ces personnes se comptaient par centaines, au point qu'on ne pouvait sortir de chez soi sans rencontrer quelque bande de ces danseurs. La contagion s'étendit rapidement jusque dans les villages les plus éloignés de la province d'Emyrne et dans les chaumières les plus ignorées.
Le Dr Andrianjafy de Tananarive, qui a eu l'occasion d'observer plusieurs cas de cette singulière affection, la considère comme une manifestation du paludisme et les raisons qu'il en donne sont parfaitement admissibles.
Voyons d'abord comment se produit l'accès.
Un individu a eu un accès de fièvre paludéenne ou malaria. Après l'accès, il conserve la peau moite, les yeux rouges, le regard hébété. Il commence alors à se plaindre de la tête qu'il tourne ou mieux balance d'une façon particulière. Pendant un ou deux jours encore, il éprouve un malaise général, puis l'agitation nerveuse se manifeste d'une façon très curieuse. Si le moindre bruit agit sur lui et notamment s'il lui arrive d'entendre un chant, le son d'une musique, il devient incapable de se maîtriser, échappe à toute contrainte, court où la musique se fait entendre et se met à danser, quelquefois pendant des heures consécutives et avec une rapidité vertigineuse. Il balance la tête d'un mouvement rythmique, agite les mains de haut en bas. Ses yeux sont hagards et toute la physionomie prend une expression indéfinissable d'égarement, comme si le patient était absolument étranger à ce qui se passe autour de lui.
Le rythme de la danse se règle sensiblement sur la musique, qui est toujours aussi rapide que possible, mais cette situation dégénère souvent en un piétinement sur place. Le malade danse de la sorte, à l'étonnement de tous les assistants, comme s'il était possédé de quelque esprit, et jusqu'à ce qu'il tombe inanimé sur le sol.
Le Dr Andrianjafy note cette particularité curieuse: le malade aime à porter avec lui de longues cannes à sucre qu'il tient à la main ou sur l'épaule pendant qu'il danse. Très souvent, pour ne pas dire toujours, on le voit évoluer en portant sur la tête une bouteille ou une carafe pleine d'eau qu'il maintient en parfait équilibre.
Le malade danse le plus souvent au son du tambour, quelquefois au son du valiha ( espèce de guitare) ou du lokanga-voatavo (violon). Soit seul, soit accompagné de son cortège de musiciens et de mpisikidy (devins), il se rend dans certains lieux renommés pour leur sainteté (comme l'ancienne capitale Ambohimanga, près de Tananarive) ou bien près des tombeaux. Le devin excite la malade à danser, puis il lui trace avec un morceau de craie blanche une marque sur le front et les paumes des mains. La scène se termine par l'offrande au génie de la maladie d'une canne à sucre de choix qu'on dépose sur la pierre sacrée.
L'interprétation scientifique de pareils faits semble assez difficile. Pourtant le Dr Andrianjaty en donne une explication tout à fait rationnelle. Nous l'avons dit, il fait de cette choréomanie une manifestation du paludisme. Il est à noter, en effet, qu'elle se produit épidémiquement au moment du repiquage du riz. Or, c'est précisément à cette époque qu'on constate le plus d'accès de paludisme et que les moustiques pullulent à Madagascar. Quant aux symptômes nerveux, ils consistent d'abord en oscillations de la tête, abaissement et relèvement des deux épaules et des bras. Mais la danse proprement dite n'est pas un symptôme d'emblée, elle ne s'observe ordinairement que chez les malades qui ont été soumis à l'influence du mpisikidy. Plusieurs médecins malgaches de Tananarive m'ont même affirmé avoir vu des malades atteints de convulsions ou de simples mouvements choréïques, qui ont été invités et même forcés par leurs parents à exécuter des mouvements rythmiques de véritable danse afin de satisfaire le génie du mal qui est censé aimer la musique et la danse. Le malade danse alors par suggestion. Mais quelquefois, il danse spontanément et sans l'intervention du mpisikidy. Cette fois c'est de l'auto-suggestion.
"La plupart des indigènes, dit le Dr Andrianjafy ont vu ou entendu dire ce qu'est le ramanenjana et les moyens prétendus qu'on emploie pour le guérir. Or les gens nourris de superstitions et adonnés à la sorcellerie, lorsqu'une maladie vient les frapper plus tard, présentant quelques symptômes choréïques nerveux, se croient, de bonne foi, atteints de ramanenjana et en arrivent inconsciemment à manifester la plupart des symptômes dont nous venons de parler ci-dessus. Une fois que la maladie est déclarée, grâce encore à l'influence des sorciers, qui sont toujours leurs médecins, les symptômes déjà existants s'exagèrent, quelques autres s'y surajoutent, complétant ainsi le tableau du ramanenjana"
Aussi le traitement est simple: pour faire disparaître le ramanenjana épidémique, il n'y a qu'à supprimer les mpisikidy malgaches.
Les Annales de la santé, 15 avril 1910.
* Nota de Célestin Mira:
Le 14 juillet 1518, dame Troffea se met à danser frénétiquement dans les rues de Strasbourg. Au bout de plusieurs heures, elle s'effondre épuisée. Après une nuit de repos, elle est de nouveau saisie par la rage de danser au grand amusement des passants, ses mouvements deviennent saccadés, ses pieds saignent. Le troisième jour, la danse de Frau Troffea attire la foule, quelques spectateurs entrent dans la danse. L'épidémie se propage, trente danseurs en juillet, cent début août, quatre cents fin août!
Le spectacle est effrayant, les danseurs crient de douleur et appellent à l'aide. Les pieds des danseurs sont en sang, laissant apparaître les articulations et les tendons. Beaucoup meurent: un chroniqueur évoque quinze morts par jour.
L'ergot du seigle a été proposé comme explication à ce phénomène, mais les symptômes de l'ergot ne correspondent pas à cette danse. On parle aussi de psychose collective liée à la fois à des conditions de vie particulièrement difficiles et un environnement psychologique détestable. D'autres danses enragées ont eu lieu à différentes époques dans les vallées du Rhin et de la Meuse. (Voir https/nuage1962.wordpress.com)
* Le tarentisme serait, selon certaines croyances, une maladie inoculée par la morsure d'une tarentule provoquant rires, douleurs et convulsions.
Le tarentisme fut surtout présent en Italie frappant principalement les femmes. La tarentelle, comme son nom le laisse présager, est une danse destinée à guérir du tarentisme. Les femmes atteintes pouvaient danser plusieurs jours de suite, voire plusieurs semaines en état de transes, tantôt debout, tantôt couchées mimant la tarentule.
L'ergot du seigle a été proposé comme explication à ce phénomène, mais les symptômes de l'ergot ne correspondent pas à cette danse. On parle aussi de psychose collective liée à la fois à des conditions de vie particulièrement difficiles et un environnement psychologique détestable. D'autres danses enragées ont eu lieu à différentes époques dans les vallées du Rhin et de la Meuse. (Voir https/nuage1962.wordpress.com)
* Le tarentisme serait, selon certaines croyances, une maladie inoculée par la morsure d'une tarentule provoquant rires, douleurs et convulsions.
Illustration de Gustave doré, du tarentisme dans l'Enfer de Dante. |
Le tarentisme fut surtout présent en Italie frappant principalement les femmes. La tarentelle, comme son nom le laisse présager, est une danse destinée à guérir du tarentisme. Les femmes atteintes pouvaient danser plusieurs jours de suite, voire plusieurs semaines en état de transes, tantôt debout, tantôt couchées mimant la tarentule.
* Le cimetière de Saint-Médard fut le théâtre au XVIIIe siècle de phénomènes de convulsions, de transes frappant les visiteurs. On appela les personnes concernées les "convulsionnaires"
Convulsionnaires lascives. |
* Le nom de tigretier correspond au tarentisme et fut présent dans la région du Tigré en Abyssinie.
* Les possédées de Morzine est le nom donné à un phénomène de possession collective. Des dizaines de femmes, de 1857 à 1870, furent frappées d'hallucinations, de convulsions et de somnambulisme et se disaient possédées par des démons.
Les possédées de Morzine. |
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