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samedi 24 mars 2018

24 heures à la caserne.

24 heures à la caserne.






En été le cavalier se lève avec le soleil. Dès les premières notes du réveil, le quartier semble une ruche en émoi. Cris des brigadiers qui font lever leurs hommes, fenêtres des chambres et portes des écuries qui s'ouvrent bruyamment, roulement des sabots dans les escaliers, jusqu'aux chevaux qui s'ébrouent et hennissent à l'approche de leurs cavaliers, c'est de suite un brouhaha indescriptible: avec l'éclatante sonnerie*, la vie est rentrée à flots dans le quartier, quelques secondes auparavant enseveli dans un profond sommeil.
A 4 heures 1/4, les hommes ont bu le café, fait la corvée d'écurie, bouchonné et sellé leurs montures.
A 4 heures 3/4, le régiment est aligné dans la cour d'honneur, les dragons* astiqués, brillants se tiennent à la tête de leurs chevaux propres comme eux, comme eux reluisants.


Départ pour la manœuvre.

- Gard'à vous! A cheval! Par quatr'.
- Mâârche!
La dernière syllabe du commandement sonore vibre encore dans l'air que déjà le régiment*, colonel en tête, s'amincit en un long ruban et chevauche à travers la rue déserte où, ça et là, quelques rares volets s'entr'ouvrent sur le passage de la troupe. Bientôt la colonne a dépassé les portes de la ville;
"- Repos!"
Avec quelle joie chacun se laisse aller sur sa selle au pas berceur du cheval et respire à pleins poumons au sortir de la chambrée étouffante, l'air bienfaisant, l'air pur, saturé de la buée odorante de la terre qui fume aux chauds rayons du soleil, l’œil ravi par le spectacle qui jamais ne lasse, celui de la campagne, le matin.
C'est l'heure belle, l'heure gaie, l'heure saine entre toutes dans la vie d'été du cavalier!
- Ah! mon colon! Viv' l'beau temps. C'est rare si m'sieu Fallières respir' mieux qu'nous à c't'heure, s'écrie un dragon à la face réjouie!
Et chacun de rire et d'approuver la boutade: le loustic a dit vrai.

Le retour.- Le régiment qui passe.

... Sur le terrain de manœuvre, pendant trois heures, le régiment à galopé en tous sens. Du colonel au dernier des sous-lieutenants, chacun a accompli des prouesses... si l'on en croit du moins les propos animés qu'échangent entre eux les officiers familièrement groupés en tête de leurs escadrons respectifs. Quant aux dragons ils ne disent rien, pas fâchés d'ailleurs que ce soit fini, les yeux brûlés de poussière, la tête sous le casque, chauffée par le soleil qui monte. Bref, s'il faisait bon sortir du quartier au petit matin, il n'est que temps d'y rentrer sous le coup de 9 heures!
... Le régiment a regagné la ville. On le regarde et beaucoup*. Sous les yeux des passants, les tailles des soldats se redressent, les têtes se tiennent hautes et les joyeuses fanfares des trompettes relèvent le pas des chevaux. Devant le colonel qui, planté à l'entrée de la grille d'honneur du quartier, regarde l’œil content son beau régiment, le 32e Dragons passe, sabre au clair, très martial sous la couche de poussière qui durcit les traits des visages...

Chez les artilleurs.

Tout proche du quartier des dragons, celui de l'artillerie garde aujourd'hui un aspect morne qui surprend. Deux heures ont sonné cependant et la sieste journalière qui, la soupe du matin mangée, oblige de 11 heures à 2 les soldats de toutes les armes de la garnison de A*** à prendre un repos bien gagné, est terminée depuis un moment... L'explication est simple: depuis le commencement de la semaine, la majeure partie du 41e d'Artillerie est aux écoles à feu à S***.
Le tableau de travail de la 1ère  batterie à cheval lu ce matin à la descente de la manœuvre portait:

AUJOURD'HUI A 3 H. 1/2,
BAIGNADE DES HOMMES ET DES CHEVAUX.
RÉUNION PLACE DE LA MAIRIE.

Perspective qui n'est pas pour déplaire aux canonniers, comme tout ce qui rompt d'ailleurs la monotonie du train-train journalier. Aussi, c'est avec empressement que les chevaux de chaque pièce, puis de chaque section, se groupent, s'alignent et que, 5 minutes avant l'heure fixée, l'officier de semaine trouve son monde en place au rendez-vous.
Hommes et chevaux ont perdus leur aspect guerrier du matin. Pieds nus dans leurs sabots, n'ayant par dessus leur caleçon de bain qu'un pantalon et un bourgeron de toile, le chef couvert de la calotte d'écurie, une serviette dans la poche, les canonniers sont juchés sur leurs chevaux à poil, tenant chacun une deuxième monture en main et l'on rompt gaiement.
Arrivés sur la berge, on se forme sur un rang, à larges intervalles; chacun se dépouille de ses vêtements ne gardant que le caleçon, et, en bataille, la ligne s'avance.



La baignade est l'un des plus grands plaisirs
que l'été apporte aux soldats.

Dans un groupe de baigneurs, où l'on bataille en jouant, un canonnier applique au hasard une claque sur les... hanches d'un voisin.
"-Plaît-il, dit ce dernier en se retournant."
Fatale méprise! le pauvre diable en est tout tremblant; c'est le "mar'chal l'gis". Mais le sous-officier rit, désarmé par l'air penaud du coupable.
- C'est ma faute, après tout, j'avais qu'à faire galonner mon caleçon!...
Comme ses frères des armes à cheval, le fantassin a "trimé" dur au cours de cette chaude journée d'été*. Marche d'entraînement pour les uns, tir à la cible et manœuvre en terrain varié pour les autres, son temps a été bien rempli, mais par un juste retour des choses d'ici-bas, si le dragon du haut de son cheval a semblé ce matin au pauvre "mille pattes" un personnage élevé, maintenant il n'a plus droit qu'à sa pitié, car tandis que le "citrouillard" après avoir deux heures durant pansé "Cocotte" s'usera jusqu'à la nuit les pouces à frotter cuirs, cuivres et aciers, le fantassin, son petit "fourbi" fait, se sent libre comme l'air. Aussi sa soupe du soir mangée, le voit-on, leste et pimpant, courir les rues de la ville où, les jours de semaine, le cavalier est l'oiseau rare.

                                                                                                             Yves Kerganof.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 8 septembre 1907.


*Nota de Célestin Mira:






Les Dragons.

Dragon.

*


Régiment de dragon à Lunéville.



23e régiment Vincennes.


Repos.





*


Peloton de dragons.


*
Les Artilleurs.


Tir à la butte avec obus explosif modèle 1900 (portée 8500 m.)
au canon de 75 modèle 1897.

Les fantassins.



Fantassins lors de la mobilisation de 1914.

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