L'acacia de Jean Robin.
Longtemps le Jardin des Plantes, connu tout d'abord sous le nom de "Jardin du Roi", fut la plus belle et la plus populaire promenade de Paris. Depuis quelques années, la faveur publique semble l'avoir un peu abandonné pour porter ses préférences vers le Jardin d'Acclimatation, plus jeune, plus vivant, et, disons-le, plus riche en attractions variées. Mais ce n'est point un motif pour laisser dans l'oubli cet ancêtre, dont une partie, au moins, le Muséum d'histoire naturelle, est sans pareil dans le monde entier.
On sait qu'il se divise en haut et bas jardin. Le premier était jadis un monticule surmonté d'un moulin à vent et surnommé "la butte Copeau". Aujourd'hui, cette butte célèbre, plantée d'arbres verts, s'appelle "le Labyrinthe". Les allées, tracées en spirales, rentrant les unes dans les autres, coupées çà et là de quelques marches, donnent aux gens de bonne volonté la facilité de se tromper dans la route et de n'arriver jamais au but. Le Labyrinthe faisait, dès l'origine, partie du Jardin des Plantes; mais, jusqu'en 1795, il en resta séparé par des propriétés privées. D'abord, il fut garni d'arbres et de plantes de nos montagnes, puis de vignes, dit-on: puis, enfin, d'arbres toujours verts. Des améliorations relativement récentes ont eu pour résultat de convertir la grande butte en véritable école de botanique où figurent toutes les variétés d'arbres verts. Pour cela, il a fallu creuser et renouveler le sol, qui était de gravois jusqu'à une grande profondeur.
Montons la verte colline. Mais, avant de passer outre, inclinons-nous devant les deux majestueux pins d'Italie, ou "pins à pignons", qui ouvrent, du côté du midi, le chemin du Labyrinthe*. Saluons aussi l'arbre séculaire, que nos aïeux ont vu planter et qui nous verra mourir: le gigantesque cèdre du Liban, dont la foudre a frappé la tête, comme s'il avait porté trop haut le front. La tradition veut que Jussieu l'ait rapporté, en 1734, d'Angleterre, dans son chapeau; les savants veulent que cette tradition soit absurde; qu'importe?...
Découvrons-nous devant la petite colonne de granit élevée à la mémoire du modeste et infatigable Daubenton* et donnons un souvenir à tous les naturalistes, qui ont défricher avec tant de désintéressement et de patience les champs de la science.
C'est Guy de la Brosse*, médecin de Louis XIII, qui eut le premier l'idée de fonder "un jardin royal des herbes médicinales", avec l'agrément de Richelieu et du surintendant des finances Bullion. Protégé par plusieurs ministres et hauts personnages, cet établissement jouit d'une faveur qu'il ne tarda pas à perdre et qu'il retrouva grâce au zèle de Valet et de Fagon, qui repeuplèrent les massifs et les plates-bandes de plantes rapportées de leurs voyages par Fagon lui-même, Tournefort et le père Plumier*.
Le botaniste Jean Robin* , "arboriste et simpliste du roi", qui dirigeait fort habilement le jardin du Louvre, faisait les semis et les plantations nécessaires dans le jardin de la Faculté de médecine. Son fils, Vespasien Robin, qu'il avait associé à ses travaux, entreprit de nombreux voyages dans le midi de la France, dans les Alpes et les Pyrénées, en Espagne et sur les côtes barbaresques. Il obtint quatre plantes originaires du Canada et donna à Guy de la Brosse, pour le "Jardin royal", la plupart des végétaux qu'il cultivait. Nommé, dès 1635, "sous-démonstrateur", il fit seul les leçons de botanique, après la mort de la Brosse en 1641; car le nouveau surintendant, Bouvard de Fourqueux, ne pouvait à la fois donner ses soins à la culture et à l'enseignement.
En 1653, il fut remplacé par Denis Jonquet, médecin; mais il conserva ses appointements et son titre de démonstrateur des plantes médicinales du Jardin du Roi. C'est pendant qu'il exerçait ses fonctions, en 1636, qu'il planta le premier acacia qui y ait été cultivé.
Cet arbre, dont nous donnons un dessin très fidèle, et qui se trouve près de la grille de clôture, non loin des Galeries de géologie, avait plus de vingt mètres de hauteur il y a quelques années; mais les branches supérieures s'étant successivement desséchées, on a été obligé de les récupérer pour qu'il repoussât du tronc.
De ce tronc, à demi muré, et qui ne mesure guère plus de trois mètres de hauteur sur un mètre de diamètre, se détache une assez grosse branche, à un mètre cinquante du sol; quatre autres branches jaillissent au somment, comme l'andouiller d'un dix-cors, et ombragent le front chenu de l'antique végétal. On a dû enserrer ces rejetons tardifs d'un vieillard impotent dans des cercles de fer, béquilles plus utiles que gracieuses, et, comme les aveugles, il porte sur la poitrine une plaque d'invalide sur laquelle on lit:
Robinia pseudo-acacia, le doyen des arbres de Paris, planté en 1636. |
De ce tronc, à demi muré, et qui ne mesure guère plus de trois mètres de hauteur sur un mètre de diamètre, se détache une assez grosse branche, à un mètre cinquante du sol; quatre autres branches jaillissent au somment, comme l'andouiller d'un dix-cors, et ombragent le front chenu de l'antique végétal. On a dû enserrer ces rejetons tardifs d'un vieillard impotent dans des cercles de fer, béquilles plus utiles que gracieuses, et, comme les aveugles, il porte sur la poitrine une plaque d'invalide sur laquelle on lit:
Robinia pseudo-acacia linné,
Acacia virginensis spinosa roz.
Amérique septentrionale.
Introduit en France par Jean Robin, en 1601.
Arbre planté à cette place par Vespasien Robin
en 1636.
Les indolents successeurs de Robin laissaient tomber de jour en jour le "jardin royal des herbes médicinales", lorsque l'un des plus savants professeurs de la Faculté, neveu de Guy de la Brosse, le docteur Fagon, médecin de Louis XIV, vint, avec le titre de "surintendant" lui imprimer une nouvelle vie. C'est Fagon qui fit appeler ce groupe de savants qui devaient fonder l'illustration de cet établissement devenu célèbre en quelques années. Après lui, malheureusement, arrivèrent des hommes tout à fait étrangers aux sciences naturelles et qui proscrivirent des savants éminents, entre autres, l'un des Jussieu. Un terrain destiné aux végétaux scientifiques fut converti en vignoble à l'usage de l'un des administrateurs. Colbert, visitant le jardin, fut indigné d'un pareil abus, et, dans un accès de colère, demanda une pioche et commença l'oeuvre de destruction qu'il ordonna immédiatement.
L'illustre Buffon fut nommé intendant du "Jardin royal", qui, de simple parterre d'apothicaire devint le splendide dépôt de toutes les richesses de la création.
L'impulsion que le grand artiste avait donnée à la science lui avait valu l'admiration de l'Europe savante, et son génie plane encore sur l'établissement qu'il anima de son souffle.
Bernardin de Saint-Pierre le remplaça en 1792; un an plus tard, la Convention réorganisait le "Jardin du roi" et lui imposait le nom de "Muséum d'histoire naturelle". Successivement, Delalande, Vorreaux, Botta, Suoy, Guaymard, Castelnau, Tournefort, Linné, Dumont-d'Urville, Baudin, Freycinet le remplirent de produits rares et nouveaux, dont l'affluence était telle qu'ils se détérioraient faute de place.
Outre ces explorateurs et ces botanistes, que de professeurs de talent se sont assis à l'ombre de l'acacia de Vespasien Robin! Après Jussieu, Levaillant, Haüy, Lakanal, Cuvier, Lamark, Blainville, Lacépède, Etienne et Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire, Faujas de Saint-Fond, Desfontaines; puis plus récemment, Petit, Vicq d'Azir, Duméril, Vauquelin, Lénery, Ronelle, Ville, Brongniart, de Mirbel, Decaisne, Becquerel, Chevreul, Frémy, Edwards, Quatrefages, d'Archiac, Delafosse, Daubrée, Dumas, pour ne citer que les plus illustres.
Et pourtant, c'est à peine si l'on se souvient de celui qui a doté l'Europe "du robinier", cet arbre originaire de Virginie, qui fait l'ornement de nos jardins et de nos parcs, dont les fleurs répandent un parfum si doux, dont les feuilles sont une excellente nourriture pour les animaux domestiques, et dont le bois dur, compact, résistant, est excellent pour le charronnage.
C'est auprès de cet arbre centenaire que le botaniste Auguste de Saint-Hilaire, désigné pour être auditeur au Conseil d'Etat, et hésitant à refuser un poste que des raisons de famille le poussaient à accepter, sacrifia ses intérêts à la science. On était en février: au milieu de ses irrésolutions, Saint-Hilaire fit une promenade au Jardin des plantes, et en passant à proximité du faux-acacia, la vue d'un tussilage en fleur décida de son sort. Sentant qu'il ne lui serait pas possible de s'appliquer à la botanique sans négliger les devoirs de sa place, il déclara y renoncer. Cette anecdote méritait d'être rapportée.
Souhaitons encore une longue existence au doyen du Jardin des plantes, dont l'histoire est si intimement liée à celle de l'institution la plus populaire du monde entier.
F. Morans.
Journal des Voyages, dimanche 20 octobre 1889.
* Nota de Célestin Mira.
Les deux pins d'Italie. |
Cèdre du jardin des plantes. |
Le Belvédère de Verniquet. Jardin des Plantes. |
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Tombe de Louis Jean-Mari Daubenton (1716, 1800) au Jardin des Plantes. |
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Guy de la Brosse (1584-1641). Façade de la Grande Galerie de l'Evolution au Jardin des plantes. |
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Le père Charles Plumier qui étudia et dessina de nombreuses plantes exotiques. |
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Jean Robin. |
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