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dimanche 4 octobre 2015

L'explosion de la rue des Bons-Enfants.

L'explosion de la rue des Bons-Enfants.


Le nouveau crime commis il y a quelques jours par les adeptes de doctrines sanguinaires doit exciter l'indignation, mais il ne faut pas qu'il provoque un mouvement de surprise. En effet l'histoire nous montre que les passions humaines n'ont jamais négligé de se donner une horrible satisfaction avec les ressources que la science met à la disposition de tout le monde. Le génie des inventions n'a pas réalisé un seul progrès matériel que des scélérats ne soient parvenus à utiliser pour des fins atroces.
A peine la connaissance de la poudre à canon était-elle vulgaire que Guy Fawkes songeait à l'employer pour faire sauter le parlement d'Angleterre. La date du 4 novembre 1605, doit donc être placée à côté de celle du 8 novembre 1892. La seule différence, c'est que 285 ans de travaux et de recherches ont permis à des scélérats de remplacer une tonne de poudre par 1 kilogramme de dynamite.
Dans leur dernier forfait, les conspirateurs contre la vie des citoyens ont même réalisé des dispositifs qui montre la fécondité de leur imagination infernale et qu'il faut comprendre, si l'on ne veut se trouver pris au dépourvu, si l'on veut que la leçon infligée le 8 novembre soit plus profitable que ne l'ont été celles du commencement de l'année 1892.
La science est comme la lance d'Achille qui cicatrisait les blessures qu'elle avait faites. Il n'y a lieu de s'alarmer des développements que peuvent prendre ses applications les plus coupables que si on néglige de s'employer à la poursuite des criminels avec une vigilance, une logique et une sévérité inflexibles
Si les infortunés qui ont péri victimes d'un complot atroce avaient mieux connu la nature de l'engin qu'ils colportaient, ils n'auraient point péri d'une façon lamentable.
Dans les études auxquelles nous nous sommes livrés au commencement de l'année sur les explosifs, nous ne nous étions naturellement point préoccupé de la manière de produire les inflammations, car elles avaient eu lieu de la façon la plus simple.
Comme nous l'avons expliqué, les conspirateurs fenians, dont M. Gladstone se prépare en ce moment à réaliser l'objectif, n'avaient pas fait preuve d'une imagination bien fertile. Ils s'étaient bornés à déposer dans les gares de chemins de fer des machines infernales appelées rats, du genre de celles dont d'autres criminels se servent pour faire couler les navires assurés. Ils avaient apporté d'Amérique les pétards auxquels on met le feu avec des mouvements d'horlogerie, qui font détonner une capsule à une heure désignée d'avance. Mais ces appareils, chers et très difficiles à se procurer, sont heureusement exposés à se déranger dans les transports. Ils ne valent pas l'antique mèche employée par Ravachol et ses émules. Heureusement la mèche peut être arrachée par de braves gens, de véritables héros, qui mériteraient certainement les honneurs du Panthéon, s'ils succombaient à leurs tentatives. Elle l'a été plusieurs fois avec succès.
C'est pour obvier à ces inconvénients que l'on a eu recours à des instruments dans lesquels il n'y a pas besoin de réveille-matin, et auxquels on donne l'explosion par un système imaginé par un chimiste nommé Retroff.
La bombe Retroff contient une sphère de verre dans laquelle on a placé une certaine quantité d'un liquide quelconque qui, suivant les matières qu'il doit impressionner, peut être de l'eau ou de l'acide sulfurique.
A la sphère se trouve soudé un petit tube dans lequel le liquide destiné à produire l'inflammation doit descendre lorsque l'appareil est mis en position offensive. A l'orifice du tube se trouve placée la substance sur laquelle le liquide doit agir. Mais il faut que l'inflammation ne soit pas instantanée, afin que le misérable qui a porté l'engin ait le temps de fuir.
Pour rendre le mouvement du liquide plus lent on peut employer plusieurs moyens. L'un des plus fréquemment utilisé est de garnir l'intérieur du tube de boulettes de papier buvard, que l'on serre plus ou moins les unes contre les autres.
Le liquide pénètre donc par imbibition, c'est à dire lentement, jusqu'à ce qu'il rencontre soit un morceau de sodium, soit une substance sur lequel agit l'acide sulfurique. Il se développe alors une quantité de chaleur suffisante pour entraîner l'inflammation d'une capsule chargée d'imprimer le choc brusque, indispensable à la détonation de la dynamite.
Dans l'engin du 8 novembre, les boulettes avaient serrées de telle sorte, qu'il fallait quarante minutes pour produire l'explosion. La période fatale a permis de transporter l'engin jusque dans le cabinet du commissaire de police de la rue des Bons-Enfants.




L'engin était disposé d'une façon qui aurait dû avertir les victimes infortunées de cette catastrophe de ce qu'il y avait à faire pour éviter la catastrophe, que chaque honnête homme déplore.
En effet, on avait découvert sur l'escalier de la compagnie de Carmaux une sphère terminée par une partie plate, la seule sur laquelle elle pût reposer d'aplomb, après avoir été abandonnée à elle-même.
Tout le monde était sauvé si on avait eu la présence d'esprit de retourner l'engin et de le maintenir en la calant dans le situation inverse. En effet, la gravité aurait empêché le mouvement de progression soit de l'eau, soit de l'acide sulfurique, soit de tout autre liquide.




Les explications précédentes ont pour but d'expliquer ce que l'on doit faire en semblable occurrence au lieu de prendre la fuite. En maintenant la partie plate en l'air, on produit le même effet que si l'on arrachait la mèche allumée des pétards de Ravachol.
Il paraît probable, après tout, que nous n'aurons pas souvent à donner cette preuve de courage civique, et que nous ne tarderons point à être débarrassés de cette peste.
La fabrication de machines infernales aussi compliquées, ne peut être l'oeuvre d'un solitaire. Elle nécessite le concours d'un nombre assez considérable de spécialités différentes, qui ne se trouve pas réunies chez la même personne. Elles sont donc forcément l'oeuvre d'un groupe quelconque, d'une association véritable de malfaiteurs.
Les plus timorés doivent se rassurer en songeant que ces bombes à retournement ne sont pas d'une fabrication qui soit à la portée de tout le monde; quoique ceux qui les posent portent sans doute la livrée de la misère, elles sont forcément le fruit des travaux d'une sorte d'aristocratie dans l'armée du crime.
S'il est établi que ces engins infâmes sortent d'une officine, il est évident que cette officine ne tardera pas à tomber entre les mains de la police, fût-elle à l'étranger. En effet, toutes les nations civilisées ont un égal intérêt à purger la terre de pareils monstres.

                                                                                                           W. de Fonvielle.

La Science illustrée, 26 novembre 1892.

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