Terrible lynchage d'un nègre
aux Etats-Unis.
Tout le monde connaît, pour en avoir entendu parler, tout au moins, cette antique loi de justice sommaire qu'on nomme loi de Lynch. Legs odieux des siècles barbares, loi effroyable dont les Indiens du nord de l'Amérique furent les farouches législateurs, cette coutume semblerait donc devoir être réprouvée par les populations qui se disent civilisées: il n'en est malheureusement rien. La loi de Lynch sévit encore, à l'heure actuelle, dans tout le territoire de la libre Amérique; et si, dans les Etats du Nord, elle est (tout en restant odieuse) devenue un peu moins sauvage, on n'en saurait dire autant en ce qui concerne les Etats du Sud.
Dans toute la région qui s'étend de la pointe sud-est du Colorado, pour aboutir à la Floride en traversant la Publiclands, le territoire indien, l'Arkansas, le Texas, la Louisiane et l'Alabama, le lynchage affecte une férocité inouie: il ne passe guère de semaine, que des nègres ne soient mis à mort avec des raffinements particulièrement atroces, et que ne renierait pas l'Inquisition, de sanglante mémoire.
Les nègres sont, en effet, particulièrement visés, dans ces régions où, tout en les employant, on les déteste. Il faut reconnaître que cette haine du noir provient du noir lui-même.
Sauvage, transplanté d'Afrique, dans un milieu où, pour hâtive qu'elle soit, la civilisation affecte des formes rudes, le nègre n'a pas encore réussi à perdre sa bestialité ancestrale. Il est voleur, pillard, souvent ivrogne et débauché; et c'est surtout ce dernier vice qui motive plus particulièrement la haine qu'on lui voue, et les représailles qu'on exerce à son endroit. Il n'est pas de région au monde où les rapts de femmes soient plus fréquents; et, reconnaissons-le aussi, ce sont généralement des noirs qui se livrent, vis-à-vis de femmes blanches, à ces actes abominables. Que l'esprit de vengeance des colons américains en soit surexcité, personne ne s'en étonnera. Et si la colère n'excuse pas l'horreur des représailles exercées, si elle ne justifie pas la mise en pratique des cruautés d'un autre âge, du moins explique-telle, dans une certaine mesure, des faits comme celui qui vient de se passer, il y a quelques semaines, dans un petit village situé dans l'Arkansas, entre la ville de Littlerock et le fort Smith.
C'est d'une de nos amies, une Américaine, miss Carie Lawrence, que nous tenons le récit qui va suivre. Elle y assista, horrifiée; et le souvenir qu'elle en évoque la fait encore frissonner à l'heure actuelle.
Un noir, nomme Joe Colson, employé dans la ferme d'un colon américain bien connu, M. Paterson, disparut un soir du mois dernier. Sa disparition fut remarquée parce qu'en même temps que lui, une jeune servante de 18 ans, miss Mabel Copper, manquait également au repas du soir.
On s'émut, et immédiatement on prescrivit des recherches. Un enfant, qu'on interrogea, déclara avoir vu le noir saisir à bras le corps la jeune fille, l'emporter dans la direction du bois.
Malheureusement la nuit qui arrivait empêcha de prolonger les recherches. Mais, le lendemain matin, on retrouvait, près de la lisière de la forêt le cadavre de la pauvre fille: miss Mabel Copper avait été étranglée!
La colère la plus violente s'empara de tous les habitants; une battue fut organisée, avec l'aide des soldats du fort Smith; et, le lendemain, on réussissait, après une traque des plus ardues, à s'emparer du meurtrier. Ce fut le détachement de soldats qui obtint ce résultat, et c'est grâce à cette circonstance que le misérable dut de n'être pas mis en pièces séance tenante. En effet, l'officier qui commandait le détachement ne pouvait qu'être esclave de son devoir: il fit ligoter le malfaiteur, qu'on transféra ensuite au fort, où il fut écroué.
Mais cela ne faisait point le compte de la foule surexcitée. Deux à trois cents colons de toute catégorie, ouvriers ou patrons, voire même des femmes, vinrent sommer l'officier de leur livrer le prisonnier.
En pareille occurrence, en Amérique, il ne faut pas s'étonner des concessions qu'on fait au peuple. Après avoir parlementé quelque temps avec la foule, pour mettre sa responsabilité à couvert, l'officier prit cette détermination, qui satisfaisait tout le monde et lui-même:
"-Mes amis, dit-il, je ne vous livre pas le prisonnier; mais si vous pouvez le prendre, prenez-le!"
Alors ce fut une ruée, à laquelle les soldats n'opposèrent, du reste, aucune espèce de résistance. peu après, la porte du cachot était forcée. On en extrayait, sans la moindre formalité de levée d'écrou, le nègre criminel, qui fut poussé à coups de crosse, à coups de poing, à coups de bâtons; puis sous les injures et les vociférations, on l'entraîna vers la place du village.
Et là, on discuta froidement sur les moyens qu'on emploierait pour le faire passer de vie à trépas.
Les moins enragés proposaient la pendaison normale. Mais à cette proposition, un vieux cow-boy, quelque peu parent de l'assassinée, se fâcha tout rouge. Cette pendaison anodine ne lui suffisait pas. Il proposa d'abord de scalper le patient. Il évoqua toute la litanie des tortures indiennes, dans l'espoir que ses camarades allaient immédiatement dépecer le noir selon la méthode apache. Mais une femme, toute jeune, jolie, prit la parole et dit: "Ce serait trop doux! Il faudrait le brûler à petit feu." Et ce fut cet avis qui l'emporta. Un vieux poirier, qui se trouvait à quelques pas, parut faire l'affaire. Pourtant il y eut encore une petite discussion, le propriétaire de l'arbre prétendant qu'on allait le lui gâcher. On vainquit néanmoins cette résistance; et, peu après, Joe Colson était suspendu à une maîtresse branche, et se balançait au dessus du sol. On avait pris, du reste, soin de ne pas le pendre par le cou, mais bien par des cordes enroulées autour de son thorax. Les mains, étroitement liées derrière le dos, les pieds entravés, il semblait déjà à demi mort de terreur. Autour de lui, la foule hurlait des malédictions, l'invectivait, l'injuriait, lui lançait des pierres. Néanmoins le condamné ne disait mot. Abruti par les coups, il ne recouvra la parole qu'en voyant apporter les fagots et les bottes de paille.
Alors, pendant qu'on préparait au-dessous de ses pieds les éléments d'un bûcher improvisé, il se mit à pousser des hurlements atroces, implorant, suppliant, demandant grâce. Sa voix fut étouffée par les huées ironiques.
Et soudain, le vieux cow-boy accourut, une torche allumée à la main; puis, tout en montrant le poing au misérable, il plongea la flamme au milieu des brins de paille... et le bûcher se mit à crépiter ardemment.
Ce fut horrible!... Pendant trois quarts d'heure, le misérable assassin se débattit, se convulsionna; ses cris étaient si violents qu'ils dominaient le tumulte ironique qui l'entourait, et d'où ne montait pas une phrase de pitié. Ses pieds, ses jambes se gonflèrent sous l'action du feu, se tuméfièrent; la peau se fendit sous la flamme, le sang jaillit en filets et tomba en grésillant dans le bûcher...
Combien cette horrible agonie aurait-elle pu durer de minutes ou d'heures encore?... On ne le saura jamais, car soudain une détonation retentit; une balle vint frapper Joe Colson à la tête. Il eut un sursaut et mourut.
C'était le pasteur de l'endroit, qui, impuissant à enrayer cette folie sanguinaire, voulut au moins l'abréger. Il fit bien.
Et, du reste, cet acte d'énergie fut salutaire: les lyncheurs se calmèrent; et, laissant le feu continuer son oeuvre, ils s'éloignèrent presque tous silencieusement.
Tel est le récit d'un témoin oculaire.
Quand on lit ces faits dans les journaux, on se demande si ce n'est pas un de ces canards transatlantiques comme on nous en envoie parfois d'Amérique. Eh bien, non! c'est une triste réalité, qui prouve que, si l'homme est perfectible, il a encore beaucoup à faire pour arriver à un résultat, même passable, dans cet ordre d'idées.
Max Herly.
Le Globe-Trotter, jeudi 25 septembre 1902.
C'est d'une de nos amies, une Américaine, miss Carie Lawrence, que nous tenons le récit qui va suivre. Elle y assista, horrifiée; et le souvenir qu'elle en évoque la fait encore frissonner à l'heure actuelle.
Un noir, nomme Joe Colson, employé dans la ferme d'un colon américain bien connu, M. Paterson, disparut un soir du mois dernier. Sa disparition fut remarquée parce qu'en même temps que lui, une jeune servante de 18 ans, miss Mabel Copper, manquait également au repas du soir.
On s'émut, et immédiatement on prescrivit des recherches. Un enfant, qu'on interrogea, déclara avoir vu le noir saisir à bras le corps la jeune fille, l'emporter dans la direction du bois.
Malheureusement la nuit qui arrivait empêcha de prolonger les recherches. Mais, le lendemain matin, on retrouvait, près de la lisière de la forêt le cadavre de la pauvre fille: miss Mabel Copper avait été étranglée!
La colère la plus violente s'empara de tous les habitants; une battue fut organisée, avec l'aide des soldats du fort Smith; et, le lendemain, on réussissait, après une traque des plus ardues, à s'emparer du meurtrier. Ce fut le détachement de soldats qui obtint ce résultat, et c'est grâce à cette circonstance que le misérable dut de n'être pas mis en pièces séance tenante. En effet, l'officier qui commandait le détachement ne pouvait qu'être esclave de son devoir: il fit ligoter le malfaiteur, qu'on transféra ensuite au fort, où il fut écroué.
Mais cela ne faisait point le compte de la foule surexcitée. Deux à trois cents colons de toute catégorie, ouvriers ou patrons, voire même des femmes, vinrent sommer l'officier de leur livrer le prisonnier.
En pareille occurrence, en Amérique, il ne faut pas s'étonner des concessions qu'on fait au peuple. Après avoir parlementé quelque temps avec la foule, pour mettre sa responsabilité à couvert, l'officier prit cette détermination, qui satisfaisait tout le monde et lui-même:
"-Mes amis, dit-il, je ne vous livre pas le prisonnier; mais si vous pouvez le prendre, prenez-le!"
Alors ce fut une ruée, à laquelle les soldats n'opposèrent, du reste, aucune espèce de résistance. peu après, la porte du cachot était forcée. On en extrayait, sans la moindre formalité de levée d'écrou, le nègre criminel, qui fut poussé à coups de crosse, à coups de poing, à coups de bâtons; puis sous les injures et les vociférations, on l'entraîna vers la place du village.
Et là, on discuta froidement sur les moyens qu'on emploierait pour le faire passer de vie à trépas.
Les moins enragés proposaient la pendaison normale. Mais à cette proposition, un vieux cow-boy, quelque peu parent de l'assassinée, se fâcha tout rouge. Cette pendaison anodine ne lui suffisait pas. Il proposa d'abord de scalper le patient. Il évoqua toute la litanie des tortures indiennes, dans l'espoir que ses camarades allaient immédiatement dépecer le noir selon la méthode apache. Mais une femme, toute jeune, jolie, prit la parole et dit: "Ce serait trop doux! Il faudrait le brûler à petit feu." Et ce fut cet avis qui l'emporta. Un vieux poirier, qui se trouvait à quelques pas, parut faire l'affaire. Pourtant il y eut encore une petite discussion, le propriétaire de l'arbre prétendant qu'on allait le lui gâcher. On vainquit néanmoins cette résistance; et, peu après, Joe Colson était suspendu à une maîtresse branche, et se balançait au dessus du sol. On avait pris, du reste, soin de ne pas le pendre par le cou, mais bien par des cordes enroulées autour de son thorax. Les mains, étroitement liées derrière le dos, les pieds entravés, il semblait déjà à demi mort de terreur. Autour de lui, la foule hurlait des malédictions, l'invectivait, l'injuriait, lui lançait des pierres. Néanmoins le condamné ne disait mot. Abruti par les coups, il ne recouvra la parole qu'en voyant apporter les fagots et les bottes de paille.
Alors, pendant qu'on préparait au-dessous de ses pieds les éléments d'un bûcher improvisé, il se mit à pousser des hurlements atroces, implorant, suppliant, demandant grâce. Sa voix fut étouffée par les huées ironiques.
Et soudain, le vieux cow-boy accourut, une torche allumée à la main; puis, tout en montrant le poing au misérable, il plongea la flamme au milieu des brins de paille... et le bûcher se mit à crépiter ardemment.
Ce fut horrible!... Pendant trois quarts d'heure, le misérable assassin se débattit, se convulsionna; ses cris étaient si violents qu'ils dominaient le tumulte ironique qui l'entourait, et d'où ne montait pas une phrase de pitié. Ses pieds, ses jambes se gonflèrent sous l'action du feu, se tuméfièrent; la peau se fendit sous la flamme, le sang jaillit en filets et tomba en grésillant dans le bûcher...
Combien cette horrible agonie aurait-elle pu durer de minutes ou d'heures encore?... On ne le saura jamais, car soudain une détonation retentit; une balle vint frapper Joe Colson à la tête. Il eut un sursaut et mourut.
C'était le pasteur de l'endroit, qui, impuissant à enrayer cette folie sanguinaire, voulut au moins l'abréger. Il fit bien.
Et, du reste, cet acte d'énergie fut salutaire: les lyncheurs se calmèrent; et, laissant le feu continuer son oeuvre, ils s'éloignèrent presque tous silencieusement.
Tel est le récit d'un témoin oculaire.
Quand on lit ces faits dans les journaux, on se demande si ce n'est pas un de ces canards transatlantiques comme on nous en envoie parfois d'Amérique. Eh bien, non! c'est une triste réalité, qui prouve que, si l'homme est perfectible, il a encore beaucoup à faire pour arriver à un résultat, même passable, dans cet ordre d'idées.
Max Herly.
Le Globe-Trotter, jeudi 25 septembre 1902.
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