Sans coup férir.
Pendant la Fronde, la ville d'Orléans était divisée en deux factions. Le conseil communal, la bourgeoisie, la garnison tenaient pour le ministre Mazarin. Le menu peuple avait des sentiments tout opposés, et faisait cause commune avec les Frondeurs.
Au mois de mars 1652, un corps de troupes composé des ennemis de Mazarin marcha sur Orléans pour l'occuper. La municipalité s'empressa de faire barricader les portes, et de garnir les murailles de défenseurs. Ces précautions génèrent grandement ceux qui auraient voulu s'emparer de cette cité, car elle était trop bien fortifiée, et ils n'avaient pas assez de soldats pour l'emporter de vive force. C'est alors que Mlle de Montpensier, princesse de sang royal, mais qui avait cependant embrassé le camp des Frondeurs, résolut de conquérir Orléans toute seule, d'y pénétrer sans l'aide de personne, et d'y établir l'autorité de ses amis.
Elle arriva un matin, au pieds des remparts, se dirigea vers l'une des entrées de la place et somma un capitaine qui se trouvait là, de lui ouvrir. Cet ordre mit le pauvre homme dans un mortel embarras. Il n'osait enfreindre sa consigne, et d'autre part, il frémissait à la pensée de désobéir à une proche parente du roi. Hésitant et perplexe, il ne répondait pas un seul mot aux injonctions qu'il recevait, et se contentait à chaque nouveau commandement, de faire des révérences très profondes.
Ce manège dura si longtemps que la population en fut instruite. Les ouvriers, les petits marchands se répandirent sur le mur d'enceinte, s'assirent sur les créneaux, et, tout en contemplant ce spectacle étrange, ils criaient à pleine voix: "Point de Mazarin!" Le conseil de ville s'était réuni et il délibérait pour savoir s'il était à propos de se refuser à accueillir une femme née près du trône.
La patience n'était pas la principale vertu de Mlle de Montpensier. Elle avisa des bateliers de la Loire, gens robustes, courageux, prêts à tout et leur enjoignit de démolir la porte. Ils n'hésitèrent pas un instant, et se mirent à la besogne. L'officier supplia, en recommençant ses révérences, que l'on suspendit cette oeuvre de destruction, mais il n'eut pas la hardiesse de résister par les armes.
La porte que garnissaient d'énormes plaques de fer ne cédait pas aisément. A la fin, pourtant, on arracha deux planches, et l'on pratiqua un trou juste assez large pour qu'une personne pût s'y glisser. Avec l'aide des bateliers, Mlle de Montpensier se hissa jusqu'à cette brèche, se faufila comme elle put, non sans déchirer ses vêtements, et entra dans Orléans.
Alors la foule courut vers elle en poussant des acclamations de joie. On l'assit de force sur une haute chaise, on la porta triomphalement jusqu'à l'Hôtel de Ville où les membres du conseil discutaient toujours s'ils devaient ou non la laisser hors du rempart. Son arrivée les plongea dans une stupeur inexprimable.
" Messieurs, dit-elle en souriant, votre délibération s'éternisait, et moi, je n'aime point attendre. Songer que vous avez devant les yeux la petite-fille de Henri IV, et qu'il vous faut m'obéir."
Personne n'eut l'audace de répondre, et, dès cette heure, cette femme énergique prit le gouvernement de la cité.
H. G.
Mon Journal, Recueil hebdomadaire illustré pour les enfants, 2 juillet 1898.
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