A Cancale.
Ce léger coquillage, que vous tenez entre vos doigts, va procurer à votre sens du goût une jouissance délicate d'une seconde: ne vous dit-il rien de plus? peut être non! Mais que de souvenirs il évoque dans l'esprit du voyageur!
Il le transporte dans la petite ville de Cancale, d'où le regard embrasse un si vaste horizon; sur ce rocher à peine haut de 50 mètres, et plus célèbre cependant que des milliers de monts superbes, sans nom et sans histoire, épars sur le globe. En bas, voici le port de Cancale, le village de la Houle, presque aussi populeux que la ville. Là se succèdent à toute heure des scènes d'études qui intéressent aussi bien l'artiste que le savant: c'est là que M. Eugène Feyen a vu cette longue procession de jeunes femmes et de jeunes filles, rapportant des bateaux ce que la drague a moissonné au fond de la mer.
Il y a du charme dans cette scène villageoise, et le regard se repose avec plaisir sur ces sveltes et sereines figures se mouvant, non sans une grâce qui n'a rien d'affecté, dans ce beau cadre du ciel et de la mer que dorent les douces heures d'un soir d'automne.
L'artiste n'eût peut être pas trouvé sur ce rivage, il y a quinze ou vingt ans, une inspiration aussi heureuse. Vers ce temps, les pêcheurs ne ramenaient souvent au port que des bateaux vides. L'inquiétude attristait leurs familles: les bancs se dépeuplaient. On accusait les ennemis naturels de l'huître, l'hermelle, ver à sang rouge, le bigorneau perceur, l'anomie; mais il fallait bien reconnaître que le plus terrible ravageur des bancs était cet impitoyable couteau de la drague, qui, raclant brutalement le fond de la mer, arrache tout ce qu'il y rencontre, ou envase et fait périr les jeunes mollusques, espoir des pêches futures.
On dut songer sérieusement à prévenir la ruine d'une industrie si précieuse. Un savant, M. Coste, proposa d'emprunter aux anciennes traditions les moyens de repeupler les bancs, en pavant le fond des baies d'écailles d'huîtres ou en y coulant des fascines pour aider la semence ou le "naissain" à s'y fixer. On eut aussi recours à des règlements plus sages sur le mode et sur les saisons de pêche, sur les coupes réglées des exploitations par zones successives. A Cancale, toutes les huîtres qui n'ont pas la taille déterminée par les règlements sont réservées pour être élevées dans les parcs et les étalages. Grâce à ces divers moyens, on espère arrêter le déclin des bancs.
Certes, il y a sur la terre et dans la terre, dans l'air, dans les fleuves et les mers, plus de richesses qu'il n'en faut pour servir à l'alimentation de tous les habitants du globe; mais elles se répartissent entre eux inégalement, en proportion de ce qu'ils ont de culture intellectuelle et morale. La paresse et l'ignorance ne s'enrichissent guère; l'imprévoyante cupidité dissipe et détruit; le travail intelligent et prudent sait seul, non-seulement s'approprier les biens naturels, mais aussi les préserver et les accroître.
Le Magasin pittoresque, janvier 1875.
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