Le Dahomey et ses habitants.
Des difficultés sérieuses viennent de surgir au Dahomey; le roi Behanzin, au mépris des traités conclus avec la France, a envahi les territoires soumis à notre autorité. Peut être paraîtra-t-il intéressant d'avoir quelques détails sur le pays et les sujets de ce roi belliqueux.
Lorsque, après avoir franchi le cap des Trois Pointes, on se trouve dans les eaux de la Guinée septentrionale, on ne tarde pas après après avoir longé les côtes du pays des Ashantis, à se trouver en vue du Dahomey. On aperçoit alors une côte basse, unie et sablonneuse qui se déroule sur une longueur de 200 kilomètres, sans que rien ne viennent en troubler l'uniformité. Sur ces rivages se brisent sans cesse d'énormes volutes d'eau qui, prenant naissance à quelque distance de la terre, constituent ce qu'on appelle la barre des côtes de Guinée. Ce phénomène est dû aux vents du sud-ouest, qui soufflent dans le golf de Guinée; en effet, à 300 mètres environ de la côte, la mer est si peu profonde que les vagues produites par ces vents se trouvent arrêtées à leur base, la partie supérieure seule continue son mouvement et des colonnes d'eau, dont la hauteur varie entre 10 et 15 mètres, viennent s'abattre sur la plage. La présence de cette barre force pendant neuf mois de l'année les navires à mouiller au large; on ne peut se rendre à terre que dans de fragiles embarcations, que les naturels du pays dirigent avec une habileté extraordinaire. Les requins, qui abondent en ces parages, ajoutent encore aux périls de la traversée. Lorsqu'une embarcation chavire en franchissant la barre, ceux qui la montent ont bien peu de chance d'échapper à la mort.
Si, abandonnant la côte, on pénètre plus avant dans les terres, on se trouve presque aussitôt dans d'épaisses forêts où se développent les espèces si diverses de la flore et de la faune tropicales. plus loin, c'est la plaine, peu cultivée et coupée ça et là de marais;
Le sol du Dahomey est assez plat; il s'élève insensiblement jusqu'au pays de Kong, qui forme à peu près la limite nord du Dahomey. A l'ouest, ce pays est bordé par les Ashantis; au sud par le golfe de Benin. La capitale est Abomey, résidence du souverain. Cette ville est située sur un plateau d'une faible hauteur; mais au bas de ce plateau se trouve une forêt marécageuse dont le fouillis inextricable constitue pour Abomey une excellente défense naturelle
Comme tous les habitants de la côte de Guinée, les Dahoméens appartiennent à la race nègre, ils en présentent donc tous les caractères généraux.
On peut signaler le velouté de leur peau, très fraîche au toucher, et de couleur assez claire. Les dahoméens sont d'une taille moyenne, environ 1,65 m pour les hommes et 1,55 m pour les femmes; ils sont en général robustes et bien découplés. une particularité physique à remarquer est la différence de la forme du nez dans les deux sexes: tandis que les hommes ont souvent le nez droit et aquilin, les femmes ont presque toujours le nez écrasé et aplati.
On distingue dans la population dahoméenne deux types nègres très différents: l'un d'eux, inférieur, a pour caractères principaux une extrême laideur et un très faible développement intellectuel; à l'autre type se rattache la famille royale et les grands du royaume, les traits sont plus fins, les qualités intellectuelles plus hautes. C'est dans l'histoire de la formation de la population dahoméenne elle-même qu'il faut chercher l'explication de cette différence. Deux groupes ethniques distincts se partagent le territoire occupé par le Dahomey et les pays environnants: ce sont les Yorouba et les Evé. Les Nagas, tribu yorouba, occupaient autrefois le Dahomey actuel; ils furent soumis par les Gèges et les Faouins, tribus des Evé, qui s'installèrent sur leur territoire; c'est à la race Evé qu'appartiennent la famille royale et l'aristocratie dahoméenne.
Nous avons peu de renseignements précis sur les coutumes et les mœurs des Dahoméens; d'une façon générale, on peut dire que le niveau moral de ce peuple est assez peu élevé. Les Dahoméens ont un penchant naturel irrésistible pour le vol, des instincts cruels. Il faut cependant ajouter que les voyageurs du commencement du siècle leur avaient fait un renom de férocité très exagéré, si l'on en croit du moins les récits des derniers explorateurs de la Guinée. La polygamie est admise au Dahomey; chaque homme a autant de femme qu'il en peut acheter et nourrir; les occupations principales des hommes sont la chasse, la pêche et souvent la guerre, toutes les autres besognes sont réservées aux femmes.
Le gouvernement du Dahomey est une monarchie absolue et héréditaire; tout y est soumis au bon plaisir et à l'arbitraire du roi, qui est propriétaire du sol et qui dispose en maître de la vie et des biens de ses sujets.
Le roi tire ses ressources principales du trafic des esclaves; pour se les procurer, il fait, à la tête de son armée, des razzias chez les peuples voisins et livre les captifs aux traitants de la côte. Grâce à une surveillance active et à des représentations énergiques, la France et l'Angleterre ont réussi à diminuer l'importance de cet odieux commerce.
Le royaume est organisé militairement et dans les villes et les villages les chefs sont choisis par le roi. Le généralissime porte le nom de Gao. Le ministre de la justice ou Mingan est en même temps l'exécuteur des hautes-œuvres, et ce cumul de fonctions indique à lui seul le caractère expéditif des jugements au Dahomey. La partie du royaume qui avoisine la mer est soumise à un fonctionnaire qu'on appelle le Yevogan ou Avoghan; enfin, le conseiller intime du roi, celui qui porte le poids de l'administration du pays, se nomme le Mehou. Au-dessous de ces hauts dignitaires, il s'en trouve d'autres d'un rang inférieur, ce sont les cabécères.
Le roi a une garde spéciale entièrement composée de femmes, ce sont les amazones du Dahomey. Aussi intrépides que leurs antiques devancières, les compagnes de la reine Penthésilée, elles se font remarquer par leur férocité dans les combats; elles constituent d'ailleurs la partie principale de l'armée dahoméenne.
La base de la religion dahoméenne c'est la distinction du bien et du mal. Ces deux principes sont personnifiés par des divinités sans cesse en lutte les unes avec les autres; ces divinités revêtent pour les Dahoméens les formes les plus diverses: ce sont des hommes, des femmes, des animaux, voire un simple bâton fourchu, mais les idoles préférées des naturels sont les serpents d'une certaine espèce, qu'ils considèrent comme des divinités puissantes. Ce culte est surtout en honneur à Wydah et dans les environs.
Les habitants du Dahomey croient fermement à la vie future, ils s'en font d'ailleurs une idée assez grossière: il s'imagine que l'homme a, dans l'au-delà, une existence semblable à celle qu'il a menée ici-bas et c'est en partant de ce principe que le jour de la mort du roi on immole toutes ses femmes sur son tombeau. C'est peut être là aussi qu'il faut chercher l'excuse de ces sacrifices humains qui avaient lieu à l'époque des Coutumes et qui avaient si fort révolté les premiers explorateurs du Dahomey. On appelle Coutumes une fête annuelle où le roi reçoit les tributs de ses sujets et où il remet à ses guerriers leur part dans les bénéfices donnés par la guerre ou le commerce des esclaves. Les sacrifices qui jadis marquaient ces fêtes ont à l'heure actuelle presque complètement disparu.
Malgré sa renommée, le royaume du Dahomey est, somme toute, loin d'être un Etat puissant, il ne prend quelque apparence de force que par comparaison avec les peuples qui l'entourent. Les pluies, qui pendant trois mois de l'année font du Dahomey un immense marécage, la chaleur torride qui règne presque continuellement en ce pays, sont les seuls adversaires redoutables avec lesquels les expéditions européennes aient à lutter.
Georges Borel.
La Science illustrée, 23 avril 1892.
Si, abandonnant la côte, on pénètre plus avant dans les terres, on se trouve presque aussitôt dans d'épaisses forêts où se développent les espèces si diverses de la flore et de la faune tropicales. plus loin, c'est la plaine, peu cultivée et coupée ça et là de marais;
Le sol du Dahomey est assez plat; il s'élève insensiblement jusqu'au pays de Kong, qui forme à peu près la limite nord du Dahomey. A l'ouest, ce pays est bordé par les Ashantis; au sud par le golfe de Benin. La capitale est Abomey, résidence du souverain. Cette ville est située sur un plateau d'une faible hauteur; mais au bas de ce plateau se trouve une forêt marécageuse dont le fouillis inextricable constitue pour Abomey une excellente défense naturelle
Comme tous les habitants de la côte de Guinée, les Dahoméens appartiennent à la race nègre, ils en présentent donc tous les caractères généraux.
On peut signaler le velouté de leur peau, très fraîche au toucher, et de couleur assez claire. Les dahoméens sont d'une taille moyenne, environ 1,65 m pour les hommes et 1,55 m pour les femmes; ils sont en général robustes et bien découplés. une particularité physique à remarquer est la différence de la forme du nez dans les deux sexes: tandis que les hommes ont souvent le nez droit et aquilin, les femmes ont presque toujours le nez écrasé et aplati.
On distingue dans la population dahoméenne deux types nègres très différents: l'un d'eux, inférieur, a pour caractères principaux une extrême laideur et un très faible développement intellectuel; à l'autre type se rattache la famille royale et les grands du royaume, les traits sont plus fins, les qualités intellectuelles plus hautes. C'est dans l'histoire de la formation de la population dahoméenne elle-même qu'il faut chercher l'explication de cette différence. Deux groupes ethniques distincts se partagent le territoire occupé par le Dahomey et les pays environnants: ce sont les Yorouba et les Evé. Les Nagas, tribu yorouba, occupaient autrefois le Dahomey actuel; ils furent soumis par les Gèges et les Faouins, tribus des Evé, qui s'installèrent sur leur territoire; c'est à la race Evé qu'appartiennent la famille royale et l'aristocratie dahoméenne.
Nous avons peu de renseignements précis sur les coutumes et les mœurs des Dahoméens; d'une façon générale, on peut dire que le niveau moral de ce peuple est assez peu élevé. Les Dahoméens ont un penchant naturel irrésistible pour le vol, des instincts cruels. Il faut cependant ajouter que les voyageurs du commencement du siècle leur avaient fait un renom de férocité très exagéré, si l'on en croit du moins les récits des derniers explorateurs de la Guinée. La polygamie est admise au Dahomey; chaque homme a autant de femme qu'il en peut acheter et nourrir; les occupations principales des hommes sont la chasse, la pêche et souvent la guerre, toutes les autres besognes sont réservées aux femmes.
Le gouvernement du Dahomey est une monarchie absolue et héréditaire; tout y est soumis au bon plaisir et à l'arbitraire du roi, qui est propriétaire du sol et qui dispose en maître de la vie et des biens de ses sujets.
Le roi tire ses ressources principales du trafic des esclaves; pour se les procurer, il fait, à la tête de son armée, des razzias chez les peuples voisins et livre les captifs aux traitants de la côte. Grâce à une surveillance active et à des représentations énergiques, la France et l'Angleterre ont réussi à diminuer l'importance de cet odieux commerce.
Le royaume est organisé militairement et dans les villes et les villages les chefs sont choisis par le roi. Le généralissime porte le nom de Gao. Le ministre de la justice ou Mingan est en même temps l'exécuteur des hautes-œuvres, et ce cumul de fonctions indique à lui seul le caractère expéditif des jugements au Dahomey. La partie du royaume qui avoisine la mer est soumise à un fonctionnaire qu'on appelle le Yevogan ou Avoghan; enfin, le conseiller intime du roi, celui qui porte le poids de l'administration du pays, se nomme le Mehou. Au-dessous de ces hauts dignitaires, il s'en trouve d'autres d'un rang inférieur, ce sont les cabécères.
Le roi a une garde spéciale entièrement composée de femmes, ce sont les amazones du Dahomey. Aussi intrépides que leurs antiques devancières, les compagnes de la reine Penthésilée, elles se font remarquer par leur férocité dans les combats; elles constituent d'ailleurs la partie principale de l'armée dahoméenne.
La base de la religion dahoméenne c'est la distinction du bien et du mal. Ces deux principes sont personnifiés par des divinités sans cesse en lutte les unes avec les autres; ces divinités revêtent pour les Dahoméens les formes les plus diverses: ce sont des hommes, des femmes, des animaux, voire un simple bâton fourchu, mais les idoles préférées des naturels sont les serpents d'une certaine espèce, qu'ils considèrent comme des divinités puissantes. Ce culte est surtout en honneur à Wydah et dans les environs.
Les habitants du Dahomey croient fermement à la vie future, ils s'en font d'ailleurs une idée assez grossière: il s'imagine que l'homme a, dans l'au-delà, une existence semblable à celle qu'il a menée ici-bas et c'est en partant de ce principe que le jour de la mort du roi on immole toutes ses femmes sur son tombeau. C'est peut être là aussi qu'il faut chercher l'excuse de ces sacrifices humains qui avaient lieu à l'époque des Coutumes et qui avaient si fort révolté les premiers explorateurs du Dahomey. On appelle Coutumes une fête annuelle où le roi reçoit les tributs de ses sujets et où il remet à ses guerriers leur part dans les bénéfices donnés par la guerre ou le commerce des esclaves. Les sacrifices qui jadis marquaient ces fêtes ont à l'heure actuelle presque complètement disparu.
Malgré sa renommée, le royaume du Dahomey est, somme toute, loin d'être un Etat puissant, il ne prend quelque apparence de force que par comparaison avec les peuples qui l'entourent. Les pluies, qui pendant trois mois de l'année font du Dahomey un immense marécage, la chaleur torride qui règne presque continuellement en ce pays, sont les seuls adversaires redoutables avec lesquels les expéditions européennes aient à lutter.
Georges Borel.
La Science illustrée, 23 avril 1892.
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