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lundi 26 octobre 2015

Ceux dont on parle.

M. Paul Doumer.

M. Doumer n'est pas seulement de ceux dont on parle; il est aussi de ceux qui parlent et, en ce moment, de ceux qui font parler, puisque, président de la Chambre, il doit se borner à diriger les débats. Il a même eu, à ce sujet, un mot spirituel en prenant possession du fauteuil présidentiel: attaqué vivement par ses adversaires qui lui reprochaient d'avoir posé sa candidature à la dernière heure et d'avoir ainsi triomphé par surprise, il répondit qu'il y avait de la lâcheté à attaquer le président de la Chambre, qui était le seul à ne pouvoir se défendre.




Jamais des paroles aussi dures n'avaient encore, au Palais-Bourbon, accueilli président nommé par ses collègues. Son élection a fait beaucoup d'ennemis à M. Doumer. Elle lui a fait, vous pensez bien, beaucoup plus d'amis. Des uns et des autres, d'ailleurs, il prend le même souci: d'ami, on ne lui en connait qu'un, qu'il a jusqu'ici protégé avec un succès inouï. Il s'appelle M. Doumer.
Des mauvaises langues lui reprochent d'avoir pour les convictions politiques la même indifférence que pour les individus. On rappelle que, ministre des Finances dans le cabinet Bourgeois en 1895, il accepta l'année suivante de M. Méline le poste de gouverneur général de l'Indo-Chine. Cette histoire prouve tout simplement que M. Doumer a autant d'estime pour ces deux personnages et qu'il ne sait rien lui refuser de ce qui peut servir à sa fortune. Au surplus, il est bien possible que cet homme véritablement supérieur considère avec un souverain mépris les termes d'opportunisme, de radicalisme, de socialisme que des esprits chicaniers ont inventés, et qui n'ont de valeur à ses yeux que lorsqu'ils s'effacent devant un mot plus flatteur: majorité. S'il a des préférences, il les tient secrètes et sait les sacrifier au besoin; il appartient enfin à cette classe d'hommes d'Etat dont il est prudent d'attendre la mort pour dire qu'elle fut leur opinion.
Par contre, ce que l'on peut affirmer en toute confiance, c'est son intelligence qui est tout à fait remarquable. (Je prie mes lecteurs de croire que ce n'est pas là une basse flagornerie et que je ne sollicite aucun bureau de tabac, même de passage.)  Sa carrière en est la preuve. Venu d'Auvergne à Paris, il reçut une éducation primaire et entra à quatorze ans comme apprenti dans une fabrique de médailles. Devenu bientôt ouvrier, il passa six ans à travailler, à la sortie de l'atelier, pour développer son instruction, et plus heureux que son compatriote Lintilhac, il réussit à décrocher une licence: la licence es sciences, alors que tant de jeunes potaches, cultivés au lycée depuis l'âge de huit ans, obtiennent à grand peine leur bachot. Professeur de mathématiques, il dut quitter l'Université par suite d'une maladie de la gorge: sa carrière politique date de cette époque. Dieu le préserve d'une rechute qui l'empêche d'atteindre à de plus hautes destinées encore. Qui sait? Nous assisterons peut être à la naissance d'une dynastie. Doumer 1er ne sonne pas mal. Le II me plairait moins.

                                                                                                                   Jean-Louis.

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Les faiblesses de M. Doumer.

Ce n'est que des grands hommes qu'on peut dire qu'ils ont des faiblesses.
Celles de M. Doumer consistent dans une profonde aversion pour le nombre 13 et pour... l'orthographe, dont il méprise les subtilités comme tous les hommes d'action.
Ses amis et ses ennemis n'ont garde d'oublier ces légères imperfections.
Un certain dimanche du mois de mars dernier, on inaugurait la mairie d'une petite ville voisine d'Aurillac: M. Doumer consentit à se rendre, pour cette cérémonie, dans son pays natal, où il n'était pas venu depuis 1892; comment lui dire qu'on ne l'avait pas vu depuis treize ans, ce que la politesse commandait pourtant de faire?
Le préfet, homme adroit, trouva une périphrase à la fois éloquente et spirituelle:
"Il y a aujourd'hui douze ans et douze mois, dit-il, que vous avez daigné..."
M. Doumer sourit; par contre, il fit grise mine au maire de l'endroit, qui n'a pas moins de treize enfants!
Le lendemain, un des journaux du Cantal, hostile au président de la Chambre, rendit compte de la cérémonie avec force railleries à l'adresse de M. Doumer, qui, piqué au vif, écrivit à l'auteur de l'article pour le provoquer.
Mais les journalistes ne respectent rien! Celui-là renvoya à M. Doumer sa propre lettre au bas de laquelle il avait écrit:
"J'ai le choix des armes. Je choisis l'orthographe: vous êtes mort."

Mon dimanche, revue populaire illustrée, 21 mai 1905.

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