Les femmes-archers.
Où s'arrêteront les conquêtes du féminisme? Et, avant quelques années, quel est, dans le domaine des arts, de la science ou simplement du sport, le petit et modeste coin qui nous restera, à nous autres, pauvres hommes, qui peu à peu nous trouvons dépouillés de toutes nos prérogatives par le sexe dit "faible".
On sait qu'en France comme en Angleterre, l'arc, cette arme qui, semblait-il, aurait disparu avec le moyen âge, devant l'invention des armes à feu, a gardé de nombreux et ardents fidèles. Et le "Globe-Trotter" nous a déjà renseigné sur des Sociétés d'archers disséminés sur notre territoire, et particulièrement dans le Nord.
Si d'ailleurs, nous franchissons l'Atlantique, nous constatons que dans la Vieille-France au Canada, ce sport si français est encore en grand honneur parmi les Franco-Canadiens. Bien plus, il s'est formé dans diverses provinces, notamment dans celles de Montréal et de Québec, des sociétés de ... dirons-nous d'archères? où les femmes seules sont admises à titre de membres. Les hommes qui franchissent l'enclos de la Société, les jours de fête et de concours, ne le peuvent que sur invitation spéciale.
Et vous conviendrez que le spectacle n'est pas banal de ces dix ou quinze jeunes femmes alignées, tirant virilement leurs arcs, longs de près de deux mètres, pour décocher une flèche qui ira s'enferrer dans une cible de bois, à 150 ou 200 mètres de distance.
On peut dire, en tout cas, que ce sport fournit à la tireuse des attitudes plus élégantes, plus heureuses, que la prosaïque carabine. De plus, il faut une certaine force pour tendre l'arc à fond; c'est un effort qui, selon la longueur de l'arc, équivaut à la traction d'un poids de 18 à 20 kilos. Pour acquérir la force nécessaire, il faut de nombreux essais qui tendent puissamment à développer les muscles de la femme.
Qu'on ne croie pas, cependant, que l'art de manier l'arc ne procure à ses fidèles que des résultats sportifs. Il est des circonstances où une flèche bien dirigée rend plus de services que la balle d'une carabine "dernier modèle". Témoin l'anecdote suivante, que nous tenons d'un explorateur de l'Alaska.
A la nouvelle que des "champs d'or" venait d'être découvert au Klondike, des millions de Canadiens-Français, trop pauvres pour se rendre par le chemin de fer transcontinental dans le nouvel Eldorado, se mirent tout bonnement en route à pied, sans s'effrayer des mille ou douze cents lieues qu'il leur faudrait couvrir en pays désolé, que des bandes d'indiens réfractaires infestaient.
C'est ainsi que la famille Lecomtois, originaire de Québec, et composée du père, de la mère, de deux fils adultes et d'une jeune fille de quinze ans qui, tous, avaient menés la rude vie des trappeurs dans le Far-West Canadien, entreprirent le long et périlleux voyage en n'emportant dans leurs deux traîneaux tirés chacun par quatre chiens esquimaux, que leurs armes, leurs outils et des vêtements de rechange, avec les vivres indispensables.
Tout alla bien jusqu'à la hauteur des grands lacs, où ils rencontrèrent plusieurs voyageurs, des Canadiens, comme eux, qui rebroussaient chemin, suivis à la piste, racontaient-ils, par une bande d'indiens maraudeurs. Sur l'avis du père Lecomtois, tous les hommes se mirent à abattre les arbres de la forêt voisine et à élever une sorte de fortin en palissades. Bien leur en prit: le soir même, de nombreuses silhouettes se dessinaient à quelque distance sur la neige et un jeune Canadien, perdant la tête déchargeait son revolver dans leur direction, provocation qui valut au camp une grêle de balles, heureusement mal dirigées.
Au matin, les Canadiens virent s'approcher un des guerriers Sioux: il était sans armes et signalait qu'il venait en parlementaire. Mais les assiégés n'étaient pas des débutants, des tender-foot: ils comprirent que l'homme venait, non pas pour parlementer, mais pour se rendre compte de leur nombre. Avouer que le fortin de bois n'abritait qu'une vingtaine d'hommes, c'était donner à cette centaine de Sioux faméliques le signal de l'assaut. On fit signe à l'homme de rebrousser chemin.
Il avançait, feignant de ne pas comprendre? Allait-on tirer sur lui? Le laisserait-on avancer encore? Cruelle alternative, d'où les voyageurs furent tirés par l'initiative de la toute jeune Marie Lecomtois.
Habile archère, elle avait emporté son arc et ses flèches, simplement pour se distraire en route. Mais un souffle belliqueux lui avait fait tirer ses armes du traîneau, et elle était venue se ranger près de son père et de ses frères. Et elle avait crier de loin en patois canadien:
-Prins garde, compé! N'avancez point!
Elle s'était hissée sur une caisse pour mieux voir le "diable rouge". Et comme il continuait d'avancer, elle n'y tint plus: sa flèche siffla, emportant au loin, accroché à ses pennes, le foulard que le faux parlementaire agitait à bout de bras.
Stupéfait, l'Indien s'était arrêté. Une minute, il resta bouche bée, les yeux sur la jeune fille. Puis poussant un cri, il s'enfuit à grandes enjambées, en continuant ses hurlements. Que se passa-t-il au camp des Sioux? Eux qui, comme tous les Indiens de Nord-Amérique ont perdu non-seulement l'usage, mais jusqu'au souvenir de l'arc, s'effrayèrent-ils de cette arme, désormais nouvelle pour eux, et qui ne faisait pas de bruit? Ou bien la prouesse d'une toute jeune fille leur donna-t-elle comme un avant-goût de ce que leur réservait l'adresse des hommes? Quoi qu'il en soit, le jour même, la bande de Sioux disparaissait au loin laissant la route libre.
F.
Le Globe-Trotter, jeudi 4 décembre 1902.
Qu'on ne croie pas, cependant, que l'art de manier l'arc ne procure à ses fidèles que des résultats sportifs. Il est des circonstances où une flèche bien dirigée rend plus de services que la balle d'une carabine "dernier modèle". Témoin l'anecdote suivante, que nous tenons d'un explorateur de l'Alaska.
A la nouvelle que des "champs d'or" venait d'être découvert au Klondike, des millions de Canadiens-Français, trop pauvres pour se rendre par le chemin de fer transcontinental dans le nouvel Eldorado, se mirent tout bonnement en route à pied, sans s'effrayer des mille ou douze cents lieues qu'il leur faudrait couvrir en pays désolé, que des bandes d'indiens réfractaires infestaient.
C'est ainsi que la famille Lecomtois, originaire de Québec, et composée du père, de la mère, de deux fils adultes et d'une jeune fille de quinze ans qui, tous, avaient menés la rude vie des trappeurs dans le Far-West Canadien, entreprirent le long et périlleux voyage en n'emportant dans leurs deux traîneaux tirés chacun par quatre chiens esquimaux, que leurs armes, leurs outils et des vêtements de rechange, avec les vivres indispensables.
Tout alla bien jusqu'à la hauteur des grands lacs, où ils rencontrèrent plusieurs voyageurs, des Canadiens, comme eux, qui rebroussaient chemin, suivis à la piste, racontaient-ils, par une bande d'indiens maraudeurs. Sur l'avis du père Lecomtois, tous les hommes se mirent à abattre les arbres de la forêt voisine et à élever une sorte de fortin en palissades. Bien leur en prit: le soir même, de nombreuses silhouettes se dessinaient à quelque distance sur la neige et un jeune Canadien, perdant la tête déchargeait son revolver dans leur direction, provocation qui valut au camp une grêle de balles, heureusement mal dirigées.
Au matin, les Canadiens virent s'approcher un des guerriers Sioux: il était sans armes et signalait qu'il venait en parlementaire. Mais les assiégés n'étaient pas des débutants, des tender-foot: ils comprirent que l'homme venait, non pas pour parlementer, mais pour se rendre compte de leur nombre. Avouer que le fortin de bois n'abritait qu'une vingtaine d'hommes, c'était donner à cette centaine de Sioux faméliques le signal de l'assaut. On fit signe à l'homme de rebrousser chemin.
Il avançait, feignant de ne pas comprendre? Allait-on tirer sur lui? Le laisserait-on avancer encore? Cruelle alternative, d'où les voyageurs furent tirés par l'initiative de la toute jeune Marie Lecomtois.
Habile archère, elle avait emporté son arc et ses flèches, simplement pour se distraire en route. Mais un souffle belliqueux lui avait fait tirer ses armes du traîneau, et elle était venue se ranger près de son père et de ses frères. Et elle avait crier de loin en patois canadien:
-Prins garde, compé! N'avancez point!
Elle s'était hissée sur une caisse pour mieux voir le "diable rouge". Et comme il continuait d'avancer, elle n'y tint plus: sa flèche siffla, emportant au loin, accroché à ses pennes, le foulard que le faux parlementaire agitait à bout de bras.
Stupéfait, l'Indien s'était arrêté. Une minute, il resta bouche bée, les yeux sur la jeune fille. Puis poussant un cri, il s'enfuit à grandes enjambées, en continuant ses hurlements. Que se passa-t-il au camp des Sioux? Eux qui, comme tous les Indiens de Nord-Amérique ont perdu non-seulement l'usage, mais jusqu'au souvenir de l'arc, s'effrayèrent-ils de cette arme, désormais nouvelle pour eux, et qui ne faisait pas de bruit? Ou bien la prouesse d'une toute jeune fille leur donna-t-elle comme un avant-goût de ce que leur réservait l'adresse des hommes? Quoi qu'il en soit, le jour même, la bande de Sioux disparaissait au loin laissant la route libre.
F.
Le Globe-Trotter, jeudi 4 décembre 1902.
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