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lundi 5 octobre 2015

L'octroi de Doedjdatch.

L'octroi de Doedjdatch.

Une chaleur accablante tombait du ciel gris de plomb sur les toitures en zinc de Johannesburg, traçant sur le métal brillant de longues stries aveuglantes qui faisaient rayonner l'air brûlant à travers l'atmosphère incendiée.
Ceci se passait en 1889. Johannesburg n'était alors qu'un grand village minier réunissant autour du filon du Main-Ray ses inconfortables hôtels et ses misérables cabanes. Seule la vérandah du club offrait sous sa triple paillote sinon de la fraîcheur, au moins une ombre presqu'agréable. C'était après le lunch, et dans le balancement des rocking-chairs, nous cherchions un repos fugitif en cet air alourdit de la fumée de cigares qui ne semblait même pas avoir la force de s'élever et traînait en nuages épais sur les tables, s'accrochant aux dossiers des fauteuils.
Sur la place un nègre zoulou passait, fier comme Artaban, mais inondé de sueur sous le double manteau qui l'enveloppait entièrement.
"Regardez cet imbécile, fit dans le silence M. P., riche propriétaire minier. On le tuerait plutôt que de lui faire enlever ces deux lourds ulsters!"
"Et pourquoi, demandais-je, s'obstine-t-il à les conserver?"
"Oh! sa psychologie est bien simple. Il a remarqué, depuis que les Européens se sont fixés dans cette région, que les gens les plus civilisés sont toujours habillés même par les grandes chaleurs, tandis que l'Européen moins correct sort en manche de chemise. Il en a conclu que plus on est vêtu plus on a l'air distingué, et soyez persuadé que s'il avait un troisième ulster, il le mettrait par-dessus les deux autres."
"Chez les zoulous, ajouta M. S., qui revenait du nord du Transvaal, il n'y a pas de juste milieu, c'est tout l'un ou tout l'autre. Ou bien ils se couvrent à s'étouffer comme ce nègre que nous venons de voir, ou bien ils refusent absolument de se vêtir. Non loin du Limpopo, dans les environs de Doedjdatch, il existe des tribus de sauvages qui vivent absolument nus et se montrent très réfractaires à tout habillement. Quand ils pénètrent en ville, on leur donne à l'octroi de grandes couvertures dans lesquelles ils doivent s'envelopper et qu'ils se hâtent de rendre au préposé lorsqu'ils retournent vers leurs kraals.
Voilà plus de quinze ans que les mêmes couvertures servent. Bien que les naturels soient assez voleurs, il n'en a jamais disparu une seule."

                                                                                                                      A. M.

Le Globe-Trotter, jeudi 21 août 1902.

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