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mercredi 1 juillet 2015

Les fêtes publiques à Paris.

Les fêtes publiques à Paris.

Au temps où le roi pouvait dire: "L'Etat c'est moi", et même plus tard, quand le roi et le peuple eurent fait ce traité qu'on appela la Charte, la grande fête nationale était naturellement la fête du Souverain. La veille, on tirait le canon sur les quais, et les portes des jardins royaux s'ouvraient à tous venants.
Le matin du jour solennel, le roi recevait au château des hommages officiels. Puis les dames des halles de Paris et de Versailles étaient admises à lui présenter leurs bouquets et leurs compliments. Quelques-uns de ces compliments nous ont été transmis par des mémoires intimes, mais ils sont généralement d'un tel style et d'une telle allure que je n'oserais les reproduire textuellement.
Le roi déjeunait en musique, puis il allait entendre la messe à la chapelle. Sous la Restauration, les discours se prononçaient dans la salle du trône, où défilaient les corps constitués et les officiers de la garde nationale. Le corps municipal offrait une médaille commémorative. Pendant le dîner "en grand couvert", le public pouvait passer devant la table de Sa Majesté.
Vers 1780, l'auteur du Tableau de Paris écrivait: "Une fête publique attire quelquefois cinquante mille étrangers." Il était rare alors que la fête se passât sans accident. Les rues de Paris étaient très-étroites et n'avaient pas de trottoirs. Il fallait faire des prodiges d'adresse pour se glisser entre les phaétons, les fiacres, les vinaigrettes et les cavaliers. Quand on tirait les feux d'artifice sur la place de Grève, il y avait toujours au moins huit à dix pauvres diables écrasés, étouffés ou brûlés.
Les distributions de victuailles se faisaient aux Champs-Elysées. On installait des buffets sous les beaux arbres qui avaient été plantés en 1770.
"Ces buffets, dit Mercier, sont merveilleux dans les descriptions; de près cela fait pitié. Imaginez des échafauds d'où l'on jette des langues fourrées, des cervelas et des petits pains; le laquais lui-même fuit le saucisson envoyé par des mains qui s'amusent à le lancer avec force à la tête de la multitude. Les petits pains deviennent pour ainsi dire des cailloux entre les mains de ces insolents distributeurs. Imaginez ensuite deux tuyaux étroits qui versent un vin assez insipide. Les forts de la halle et les fiacres s'unissent ensemble, mettent un broc au haut d'une longue perche, l'élèvent en l'air; mais la difficulté est de l'assujettir, au milieu d'une foule emportée et rivale qui déplace incessamment le vase où coule la liqueur. Les coups de poing tombent comme la grêle; il y a plus de vin répandu sur le pavé que dans le broc; celui qui n'a pas les larges épaules d'un portefaix et qui n'est point entré dans la ligue, pourrait mourir de soif devant les fontaines de vin, après s'être enflammé le gosier par la charcuterie.
" La petite bourgeoisie, que la simple curiosité a amenée, s'écarte avec frayeur de ces hordes qui viennent de conquérir un seau de vin; elle craint d'être heurtée, renversée, foulée aux pieds; car ces terribles conquérants vont revenir pour chasser leurs rivaux et mettre à sec les futailles.



"L'abjection et la misère, voilà les convives de ces fameux banquets; voyez-les dévorer debout les cervelas qu'ils ont attrapés: on dirait un peuple famélique, livré depuis un an aux horreurs de la disette, et à qui un nouvel Henri IV aurait envoyé du pain et du porc assaisonné.
"Ensuite des symphonistes déguenillés, perchés sur des tréteaux et environnés de sales lampions, font crier des violons aigres sous un dur archet; la canaille fait un rond immense, sans ordre ni mesure, saute, crie, hurle, bat le pavé sous une danse lourde; c'est une bacchanale beaucoup plus grossière que joyeuse; et comment donne-t-on une aussi froide orgie pour une fête nationale? Est-ce que les anciens faisaient participer les citoyens pauvres à l'allégresse publique?
"Si l'on jette de l'argent, c'est pis encore; malheur au groupe tranquille où l'écu est tombé! Des furieux, des enragés, le visage sanglant, et couvert de boue, fondent avec emportement, vous précipitent sur le pavé, vous rompent bras et jambes, pour ramasser la pièce de monnaie. C'est une masse qui tombe et se relève, ainsi qu'on voit dans les forges l'énorme marteau de fer qui écrase tout sur son passage en un clin d’œil.
"On est obligé de fuir la cohue tumultueuse, de se retrancher chez soi, parce qu'on risque de perdre la vie au milieu d'une populace qui vous blesse pour un cervelas ou pour une pièce de douze sous!"
Le tableau est sans doute chargé, et le style déclamatoire de Mercier lui donne des couleurs trop violentes. Quoi qu'il en soit, l'institution populacière des buffets a depuis longtemps disparu. Elle existait encore à la fin de la Restauration. Le compte rendu officiel de la fête de Saint-Charles, le 4 novembre 1826, en fait mention spéciale:
"Le peuple s'est porté en foule, dans la journée, aux Champs-Elysées et à la barrière du Trône. Dans le grand carré des Champs-Elysées, on avait installé six orchestres "de danse et de chant" (sic), un théâtre d'ombres chinoises, marionnettes et jeux pyrrhiques, un théâtre de danseurs et de funambules et un grand théâtre de pantomimes. Il y avait aussi des mats de cocagne...
"Aux Champs-Elysées, les fontaines de vin et buffets étaient au nombre de huit. Sur la place du Trône, il y en avait quatre."
Le Moniteur du 5 novembre constate cependant que tout s'est passé "avec calme".
Les pauvres ont leur part aujourd'hui, dans nos fêtes publiques; mais la distribution des secours se fait, dans les mairies parisiennes, avec beaucoup d'ordre et de convenance. 



Le malheur a sa dignité; la misère a presque toujours droit à certains égards, l'infortune noblement supportée, impose le respect. C'est ce que l'administration a enfin compris.
Les dernières fêtes publiques ont du reste prouvé qu'un immense progrès s'était accompli dans les mœurs.
Un homme qui a joué un rôle assez considérable dans la Révolution de 1790, disait avec une brutale franchise: "La populace parisienne ne sait point établir l'ordre dans ses mouvements; une fois sortie des bornes, elle devient pétulante, incommode et tumultueuse."
Cette populace est devenue un grand peuple.

                                                                                                                                 S. D.

La mosaïque, Revue pittoresque illustrée de tous les temps et de tous les pays, 1878.


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