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vendredi 10 juillet 2015

Petit dialogue de circonstance.

Petit dialogue de circonstance.







- Quels étranges costumes nous mettez-vous là sous les yeux?
- Il est bien convenu, madame, que vous les trouvez étranges.
- Sans doute! Étranges et horribles.
- Eh bien, tant mieux!
- Pourquoi tant mieux?
- Je vous le dirai tout à l'heure. Mais d'abord veuillez bien répondre à une question. Quel est, selon vous, le sujet de cette gravure qui vous offusque, et quels sont les personnages retracés par le crayon de Bertall?
- Je cherche et j'ai peine à trouver. Voyons cependant. Cette gaillarde à la coiffure mérovingienne qui a la main si hardiment plantée sur la hanche pourrait bien être... mais non... J'allais dire une sottise... Le reste de la gravure ne confirme point ma supposition.
- A qui avez-vous donc songé?
- A la reine Frédégonde demandant une explication à la reine Brunehaut. Mais c'est impossible. D'abord je ne pense pas que la reine Brunehaut ait jamais porté le costume des chœurs de la Dame Blanche. Puis il y a dans le fond des individus avec des chapeaux façon charbonnier, un physique auvergnat et des favoris affectant la forme de la côtelette qui ont un air très-peu mérovingien.
- Puisque vous n'avez pas trouvé, cherchez encore.
- J'y suis. Les deux personnages du devant pourraient bien être deux vivandières, costumes de fantaisie pour des régiments de turcos ou de zouaves. L'une a la main sur son bidon, l'autre sur la canne que lui a confié son gigantesque époux le tambour-major, qui est allé boire une choppe de bière après la parade. Les curieux qui les entourent me paraissent être les naturels de l'endroit; qui sait? peut être les arrière-petits-neveux de M. de Pourceaugnac.
- Vous n'y êtes pas. Cherchez toujours.
- Cherchez, c'est bientôt dit. Je ne vois plus qu'une explication: c'est la troupe du Roman comique de Scarron en voyage. Les comédiennes causent dans un entr'acte, et les fashionables de l'endroit les complimentent sur le talent qu'elles ont déployé dans la pièce.
- Non, ce n'est pas cela.
- S'agirait-il des apprêts d'un bal masqué?
- Je crains que vous ne deviniez pas le mot de l'énigme. Vous regardez trop loin en arrière. donnez-vous votre langue aux chiens?
- J'en aurais dix mille que je les donnerais. Puisque ces dames ne viennent pas du bal masqué, et qu'elle ne sont ni des mérovingiennes, ni des comédiennes, ni des vivandières, que sont-elles donc?
- Vos contemporaines, peut-être vos amies, à coup sûr, vos connaissances.
- A d'autre! Et où Bertall prétend-il avoir pris ces types de costumes soi-disant authentiques?
- Etes-vous allé aux eaux cette année?
- Non, en vérité.
- Et aux bains de mer?
- Pas davantage. je ne suis pas sortie de chez moi.
- Voilà pourquoi ces costumes vous étonnent.
- Quoi? des femmes du monde se sont ainsi travesties?
- Le mot est de vous; je ne l'aurais pas risqué; mais ce qui est dit est dit. Elles se sont ainsi travesties.
- Des femmes de la bonne société?
- De la meilleure.
- Entendons-nous. Des femmes qu'on reçoit?
- Qu'on reçoit et qui reçoivent. Croyez-vous que des ambassadrices, des femmes de sénateurs, de conseillers d'Etat, de grands banquiers, soient de ce nombre? Eh bien! c'est ainsi que le beau, même le grand monde, s'est habillé, cet été, aux bains de mer et dans les villes d'eaux. On a vu des grandes dames court-vêtues comme des Écossaises, des Suissesses ou la Perrette du Pot au lait, et l'on s'est étonné de la chevelure mérovingienne, vraie ou postiche, qui s'échappait de la toque de la femme d'un banquier de  la Chaussée-d'Antin. Pendant la saison, il n'y a rien eu de comparable à la brièveté des jupes, sinon la longueur des cheveux. Je dois ajouter que je connais de très-honnêtes jeunes femmes qui ont donné dans ce travers. Notre aimable collaborateur Léon Arbaud vous l'a expliqué dans une de ses correspondances des bords de la mer: elles arrivaient vêtues comme on est à la ville, et, le premier jour, elles semblaient un peu étonnées de l'aspect des costumes authentiques, laissons-leur le nom que Bertall leur a donné. Le lendemain, l'étonnement diminuait, l’œil s'accoutume à tout. Une comparaison s'établissait dans leur esprit entre la toilette de la ville qu'elle portaient et celles des eaux que portaient leurs amies. Cette petite toque, qui leur avait paru d'abord baroque, leur semblait originale. Il ne s'agissait que de la poser convenablement, et qu'est-ce qu'une Parisienne ne sait pas poser? Ces jupes, un peu courtes, avait un avantage. sans doute, il ne s'agissait pas de montrer qu'on avait le pied aussi joli et aussi petit que Mme la comtesse de Trois-Etoiles et Mme la marquise de Quatre-Etoiles, Dieu merci, on était au dessus de ces mesquines vanités, mais il n'était pas agréable de voiturer sur la grève des galets avec des jupes traînantes, et une Parisienne de vingt ans consent difficilement à se voir métamorphosée en tombereau à moellons, comme le disait le vicomte de..., un des beaux du turf. De là à comprendre l'utilité des robes décolletées par les pieds, comme l'a dit Léon Artaud, il n'y avait qu'un pas; le pas, on le faisait. Ce pas une fois fait, le reste suivait de lui-même. La robe courte amenait la chaussure, c'est à dire le brodequin lacé et à gland venant s'échancrer sur le bas blanc. Pour ne point avoir l'air de critiquer ses amies, ce qui est de mauvais goût, et pour ne pas faire peur à tout le monde, il fallait bien se déterminer à prendre le petit chapeau rond ou la toque surmontée d'une aigrette de plumes de coq. Que voulez-vous! il faut bien un peu hurler avec les loups, même lorsqu'on est une brebis.
- Ce que vous dites a une apparence de raison. Mais la canne que portent ces dames...
- Blanche et haute de quatre pieds, selon l'ordonnance. Oh! la canne a aussi sa raison d'être, vous allez le comprendre. Seulement, suivez bien mon explication. Avez-vous voyagé dans les montagnes.
- Oui,  au commencement de mon mariage.
- Et vous avez fait des ascensions?
- Une seule.
- Vous vous rappelez alors que les guides donnent aux voyageurs et aux voyageuses de longs bâtons qu'on enfonce au besoin dans les anfractuosités des rochers, ou à l'aide desquels on interroge la profondeur des neiges quand on approche des glaciers?
- Je me le rappelle parfaitement.
- Eh bien, les cannes que vous voyez dans les mains de ces dames qui arpentent le littoral uni des bords de la mer dérivent des bâtons dont on se sert dans les montagnes. Ils sont bien portés. Cela indique qu'on a fait récemment une ascension ou qu'on vient du pays des ascensions.
- Ah! je comprends.
- Vous êtes bien heureuse. Moi, je ne comprends pas du tout.
- Je comprend qu'on se serve de bâtons dans les montagnes et qu'on les rapporte avec soi comme un souvenir de voyage.
- Et qu'on s'en serve pour aller prendre un bain de mer ou recevoir une douche d'eau? Voilà qui est admirable! Il n'y a que les Parisiennes pour tout comprendre. C'est la logique de la mode. Il est bien heureux que cette logique ne se propage pas. Nous verrions nos officiers de cavalerie, en revenant de Puebla, entrer dans un salon le sabre à la main, et les officiers d'artillerie se faire traîner sur un canon dans les villes d'eau pour aller prendre leur douche.
- Vous exagérez tout.
- Et en quoi, s'il vous plait, trouvez-vous que j'exagère?
- Mon Dieu, parce qu'on a porté cette année aux eaux et aux bains de mer des costumes un peu excentriques, vous voilà tout prêt à sonner le tocsin, comme si le feu était à Paris.
- Vous avez dit étranges.
- Ai-je dit étranges? Je croyais n'avoir dit qu'excentriques.
- Vous avez dit étranges et vous avez ajouté qu'ils étaient horribles.
- Je n'ai certainement pas dit qu'ils étaient horribles. Après tout ils sont pittoresques et commodes, et ils nous reposent de nos volumineuses toilettes d'hiver.
- Ainsi vous voila convertie aux costumes authentiques que vous attribuiez tout à l'heure aux vivandières et aux comédiennes du Roman comique de Scarron!
- Aussi, sans m'avertir de rien, vous placez ce dessin sous mes yeux, et, presque avant que j'ai eu le temps de le regarder, vous me demandez mon avis. C'est une surprise, une espèce de trahison. Tenez, vous êtes un méchant homme.
- Soyez franche.
- Je le suis toujours.
- Irez-vous aux eaux, l'été prochain?
- Sans doute. J'y vais tous les deux ans.
- Est-ce que vous adopterez cet étrange et horrible costume?
- Voila de bien grands mots pour une bien petite chose. Vous faites des questions si bizarres! Comment voulez-vous que j'y réponde à l'avance? Sais-je ce que sera la mode? Mon mari, vous le savez, n'aime pas que je me singularise.
- Et c'est pour ne pas vous singulariser que vous vous habillerez comme feu la reine Frédégonde?
- Laissez cela. Vous êtes maussade aujourd'hui comme un jour de brouillard.
Oh! Parisiennes! Parisiennes! je sais que, sauf de rares exceptions, vous êtes capables de tout pour suivre la mode, quelque folle qu'elle soit. Aussi, c'est pour nos lectrices de provinces que je transcris ce dialogue instructif, en leur rappelant qu'au lieu de suivre les modes insensées que Paris leur envoie, il est digne d'elles d'en créer de raisonnables. Depuis longtemps Paris a jeté son bonnet par dessus les moulins. Est-ce un raison pour que sur tous les points de la France les ailes de moulins soient coiffées?

                                                                                                                    Félix-Henri.

La Semaine des Familles, 1863-1864.

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