Une pastorale.
Rien ne prouve mieux que ce tableau une vérité trop souvent inaperçue en fait d'art: c'est qu'une seule qualité supérieure suffit pour donner à une oeuvre un prix durable. Le public est plus indulgent que la critique: là où il sent un charme, il se laisse attirer, il oublie tout le reste. Peu lui importent quelques défauts pourvu qu'il éprouve un plaisir réel.
Salon de 1853; Peinture," -Ma soeur n'y est pas!" par M. Hamon.
Dessin de Chevignard.
Rien ne prouve mieux que ce tableau une vérité trop souvent inaperçue en fait d'art: c'est qu'une seule qualité supérieure suffit pour donner à une oeuvre un prix durable. Le public est plus indulgent que la critique: là où il sent un charme, il se laisse attirer, il oublie tout le reste. Peu lui importent quelques défauts pourvu qu'il éprouve un plaisir réel.
Ainsi, dans le tableau de M. Hamon, la couleur est terne, étrange, et à première vue, l'ensemble de l'oeuvre semble ne promettre aucun agrément. Le jeune peintre appartient à une école qui n'est point coloriste; de plus, employé à la manufacture de Sèvres, il est contraint depuis plusieurs années de chercher les tons qui conviennent le mieux à la porcelaine et qui supportent le mieux l'effet de la cuisson: c'est assez pour expliquer la pâleur générale de son oeuvre.
On pourrait aussi faire quelques reproches au dessin. Le jeune garçon qui tient dans sa main droite un plant de laurier rose, et cache derrière lui des tourterelles, a des formes un peu lourdes, une tête trop masculine et qu'on voudrait plus intelligente; la sœur accroupie tourne tellement son œil que la prunelle disparaît, ou peu s'en faut, sous la paupière supérieure: voilà évidemment les côtés par lesquels pèche ce tableau. Mais l'idée en est heureuse et naïve: or, tout ce qui porte le caractère de l'enjouement, tout ce qui rappelle l'insouciante gaieté du premier âge, charme les spectateurs.
Ces douces images d'un plaisir pur et facile leur communiquent une émotion de même nature. L’espièglerie des trois enfants a bien la grâce et l'ingéniosité que l'on aime dans de pareils épisodes. Ce serait peu de chose néanmoins si l'exécution n'y répondait pas. Par bonheur, le petit garçon et la petite fille sont ravissants de pose, de type et de sentiment. La manière dont le premier croise ses mains derrière lui en relevant la tête, l'inconséquente précaution de la jeune sœur, sont des détails aussi bien rendus qu'imaginés. Les traits des deux enfants ont une délicatesse, une finesse ravissantes: on lit dans leurs yeux sincères le secret qu'ils veulent cacher. Ces têtes aimables sont à la fois spirituelles et innocentes. Les corps ont les formes gracieuses, fraîches, potelées, qui enchantent le cœur des mères et réjouissent les yeux de tout homme susceptible d'apprécier le beau.
Le public ne s'y est pas trompé; chacun s'arrêtait avec plaisir devant la pastorale de M. Hamon, qui rappelait à tous ces vers d'un grand poëte:
Il est si beau, l'enfant, avec son doux sourire,
Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire,
ses pleurs vite apaisés;
Laissant errer sa vue étonnée et ravie,
Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie,
Et sa bouche aux baisers!
Le Magasin pittoresque, décembre 1853.
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