L'hôtel de Beauvau.
Lorsque le ministère de l'intérieur, obéissant aux inspirations de M. de Morny, qui voulait se rapprocher du palais de l'Elysée, quitta la rive gauche pour la rive droite, et la rue de Grenelle pour le faubourg Saint-Honoré, il ne fit pas un échange fort avantageux. Il abandonnait le bel hôtel de Clermont et de Conti, parfaitement approprié à sa nouvelle destination, pour faire choix d'une demeure relativement médiocre, bâtie vers la fin du siècle dernier, par Le Camus de Mézières, architecte de l'avocat Gaston Camus, auquel l'unissaient sans doute des liens de parenté.
La construction de l'hôtel de Beauvau se lie à l'ouverture de la rue de Miromesnil, qui fut percée au commencement du règne de Louis XVI, sur des terrains appartenant à Gaston Camus, ainsi qu'à divers autres propriétaires, parmi lesquels on compte les familles d'Orgemont, d'Aleps, de Castellane, de Langeron, de Roquefeuil, de Noailles, etc. La première section de cette rue, qui était bordée du côté oriental par les dépendances de l'hôtel de Beauvau, date de 1776. Elle s'étendit d'abord de la rue Saint-Honoré à la rue de Penthièvre, et fut appelée Grande-Rue-Verte; mais elle prit bientôt le nom du chancelier Hue de Miromesnil, qui gardait les sceaux de France à cette époque.
Circonscrit vers l'occident par la nouvelle voie ouverte, en grande partie, sur les terrains de Gaston Camus, l'hôtel était limité, vers l'orient, par l'ancien chemin "de la Coudraye des Saussayes", ainsi nommé à raison des coudriers et des saules dont il était bordé. La disposition du sol et l'obliquité des deux rues, par rapport à l'avenue de Marigny, dans l'axe duquel l'entrée de l'hôtel avait été placée, donnèrent à cette nouvelle résidence et à ses dépendances dont elle était entourée, l'aspect d'un éventail. C'est ainsi qu'elle est signalée, en 1787, par Thiéry, auteur du Guide des amateurs et des voyageurs étrangers à Paris.
"On doit distinguer, dit-il, au faubourg Saint-Honoré, entre les rues de Miromesnil et des Saussayes, l'hôtel de Beauvau, dont la porte d'entrée s'annonce par un péristyle dorique, fermé de grilles." Il ajoute que "une vaste cour précède le corps de logis derrière lequel est un jardin."
L'hôtel avait alors et a encore aujourd'hui, pour principal attrait, sa situation en face de l'avenue Marigny, qui lui sert, en quelque sorte d'avenue, et qui permet à ses habitants de gagner en droite ligne les Champs-Elysées; mais il était fort effacé avant la Révolution, par la splendeur des hôtels voisins, celui du financier Beaujon, entre autres, qui renfermait de splendides collections d'objets d'art.
Il faudrait pouvoir consulter les minutes des notaires pour suivre exactement et sans interruption les mutations dont l'hôtel de Beauvau fut l'objet. Acquis par un membre de cette noble famille, originaire de Lorraine, il en prit le nom et le donna à la place semi-circulaire dont il est précédé. Les Beauvau étaient, du reste, parfaitement dignes de cet honneur. Avant de briller à la petite cour de Nancy et de Lunéville, un Beauvau, prince de Craon, avait combattu vaillamment à Fontenoy. Les Beauvau étaient, d'ailleurs, alliés aux Boufflers, et à la haute aristocratie française pouvait les accueillir sans déroger.
Aliéné sans doute comme bien national, à l'époque de l'émigration, l'hôtel fut affecté, en tout ou en partie, à la municipalité du premier arrondissement de Paris. On le trouve indiqué officiellement, en l'an IX, avec cette destination. Ce qui paraît certain, c'est que les bureaux de la mairie n'occupaient pas intégralement les dépendances de l'hôtel, puisque le poëte Saint-Lambert, ancien officier du roi de Pologne, y mourut le 9 février 1803.
L'auteur des Saisons y avait sans doute conservé l'appartement que lui avait offert le prince de Beauvau, protecteur de son talent, et la Révolution l'y avait heureusement oublié, elle qui moissonna dans leur fleur ses deux jeunes confrères en littérature, Boucher et André Chênier. Ami de Voltaire et de Mme du Châtelet, amant de la marquise d'Houdetot, protégé par Mmes Geoffroy, d'Epinay, de Boufflers, poussé dans le monde des lettres par Duclos, Grimm, d'Holbach et Marmontel, Saint-Lambert, qui passait l'été aux Eaux-Bonnes et l'hiver à Paris, est l'hôte le plus illustre de l'hôtel Beauvau, soit dit sans mésestime pour les ministres qui s'y sont succédé depuis 1857.
L'architecte Le Camus de Mézières a pu en faire une résidence agréable, mais il n'en a point assuré la durée, puisque d'importants travaux de réparation y ont été jugés nécessaires. L'hôtel Beauvau a tout juste un siècle. C'est l'un des cadets du noble faubourg Saint-Honoré, lequel est lui-même le cadet de l'aristocratique faubourg Saint-Germain.
L. M. Tisserand
La Mosaïque, Revue pittoresque de tous les temps et de tous les pays, 1878.
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