Socialistes Allemands.
Pour remercier Liebknecht et Bebel de leurs manifestations si courageuses, Gambetta leur adressa une lettre de félicitations qu'il est intéressant de rappeler. On y lisait les passages suivants:
Un congrès socialiste, où le socialisme allemand tint naturellement une place prépondérante, vient de se tenir à Hanovre, dans la salle du Balhof. Il nous a semblé intéressant, à ce propos, de mieux faire connaitre aux lecteurs de la Vie Illustrée les homme opiniâtres qui, après tant d'années de lutte contre la politique de Bismarck, se dressent encore inflexibles devant les colères bruyantes du jeune souverain allemand.
Liebknecht, Bebel, Singer et Vollmar sont les chefs incontestés de la social-démocratie, le parti qui, malgré les efforts des jeunes socialistes, reste le seul sérieusement organisé.
Liebknecht est le doyen des militants d'Allemagne, mais il supporte gaillardement ses soixante-treize ans.
Dernièrement encore, il subissait, après tant d'autres séjours dans les forteresses ou prisons allemandes, une détention de quatre mois pour lèse-majesté, et supportait le régime très rigoureux qui lui fut imposé avec une surprenante égalité d'humeur.
Dernièrement encore, il subissait, après tant d'autres séjours dans les forteresses ou prisons allemandes, une détention de quatre mois pour lèse-majesté, et supportait le régime très rigoureux qui lui fut imposé avec une surprenante égalité d'humeur.
Liebknecht a d'ailleurs la fierté de sa verte vieillesse et n'aime point qu'on insiste trop sur son âge.
Il me souvient qu'il y a deux ans, les socialistes français lui offrirent un banquet pendant son séjour à Paris: on avait invité le vieux Lavroff, le vénérable socialiste russe, plus qu'octogénaire. A l'heure des toasts, un aimable convive, animé des meilleurs intentions, leva son verre et, avec le ton satisfait du parfait gaffeur, dit ces simples mots:
" Mon cher Liebknecht, nous vous souhaitons longue vie malgré votre âge avancé! Car enfin , ( ici un fin sourire) entre vous et la mort, il n'y a plus que Lavroff!"
Je n'oublierai jamais ni la physionomie de Lavroff si désagréablement promis à un prochain trépas, ni le sourire un peu contraint de Liebknecht, peu flatté de n'être séparé de la mort que par un si fragile obstacle!
Est-il besoin de dire que Liebknecht est particulièrement aimé des socialistes français?
On ne saurait oublier, en effet, qu'en 1870 Liebknecht eut le grand courage, parlant au nom de la démocratie allemande, de protester contre l'annexion de l'Alsace-Lorraine. Le 26 novembre, il monte à la tribune du Reichstag et dépose la motion suivante:
"Considérant qu'après la chute de l'empereur Napoléon, la continuation de la guerre ne saurait être qu'une tentative d'oppression contre la noble nation française, le Reichstag invite le chancelier, M. de Bismarck, a conclure la paix dans le plus bref délai possible en renonçant à toute annexion de territoire français."
Et le 2 mai 1871, l'ancien ouvrier tourneur, devenu, à force de travail, l'un des premiers orateurs de l'Allemagne, Bebel, l'ami le plus dévoué de Liebknecht, le révolutionnaire qui joint à la hardiesse des doctrines la prudence et la pondération dans l'action publique, Bebel prononçait à son tour au Reichstag des paroles non moins énergiques:
" Je proteste, dit-il, contre l'annexion de l'Alsace-Lorraine parce que je la considère comme un crime contre le droit des peuples, comme une honte dans l'histoire du peuple allemand."
Pour remercier Liebknecht et Bebel de leurs manifestations si courageuses, Gambetta leur adressa une lettre de félicitations qu'il est intéressant de rappeler. On y lisait les passages suivants:
"Au nom de la République Française, dont le Gouvernement m'a accrédité comme son représentant spécial auprès de la démocratie socialiste allemande, je crois de mon devoir de vous remercier pour les belles paroles que vous avez prononcées au milieu d'une assemblée fanatisée par l'esprit de conquête et l'ivresse du militarisme. Le courage dont vous avez fait preuve à cette occasion a attiré sur vous l'attention de l'Europe entière et vous a conquis une place glorieuse parmi les champions de la vérité."
.....
" La France vous salue, messieurs, car elle voit en vous l'avenir de l'Allemagne et l'espoir d'une réconciliation entre nos deux pays."
Liebknecht et Bebel, accusés de haute trahison, passèrent en mars 1872, devant la Cour d'assise de Leipzig qui leur fit payer de deux ans de forteresse la gloire d'avoir protesté, au nom de l'humanité, contre la brutalité de la conquête.
Et pendant le procès, des bandes de furieux, égarés par la passion chauvine, s'en allaient dans un faubourg de Leipzig assiéger et lapider une petite maison de modeste apparence. D'un coup de pierre, un enfant eut le front ensanglanté: c'était le fils de Liebknecht.
A côté des deux militants qui méritent bien quelques sympathies françaises, en dehors de toute opinion politique, M. Singer joue un rôle un peu plus effacé.
Député de Berlin, M. Singer est un riche industriel qui occupe de nombreux ouvriers et fait en sorte d'appliquer dans son usine une réglementation paternelle. M. Singer excelle à présider réunions politiques et congrès: il est fort énergique et sait à merveille faire prévaloir un esprit de discipline qui s'obtient facilement d'ailleurs dans les rangs des socialistes allemands.
Quant à M. de Vollmar, il représente l'élément plutôt modéré de la Social-Démocratie, où M. Liebknecht fait pourtant triompher les pures doctrines socialistes et révolutionnaires.
Avec sa moustache un peu cirée et sa barbiche en pointe, Vollmar a gardé l'allure militaire; il suffit de l'apercevoir au balcon de bois de la petite maison blanche qu'il habite sur les bords verdoyants et solitaires du lac Walchensée, dans le Tyrol, pour comprendre qu'on est en présence d'un ancien officier.
Le député de la deuxième circonscription de Munich, d'aristocratique naissance, embrassa fort jeune la carrière militaire. Il fit, comme lieutenant de cuirassiers, la campagne d'Autriche. Puis, en 1870, il est avec l'armée bavaroise aux portes de Blois.
C'est là que le jeune et fringant gentilhomme fut blessé d'un coup de fusil. Il voulut continuer à marcher et tomba si malheureusement sur un tas de pierres qu'il se brisa les deux jambes. Compliquées d'une lésion à l'épine dorsale, les fractures, malgré la jeunesse de l'officier (il avait alors vingt et un ans) furent inguérissables, et M. de Vollmar ne peut marcher sans le secours de deux béquilles.
C'est pendant sont séjour à l'hôpital que le Capital de Marx lui tomba sous la main. Lorsqu'il sortit, M. de Vollmar, quelques mois auparavant fervent catholique et zélé réactionnaire, était devenu socialiste et libre-penseur.
Malgré ses opinions d'une modération relative, il fut maintes fois emprisonné et ne perdit pas une occasion de montrer la sincérité de ses convictions.
Tels sont les quatre célèbres militants du parti socialiste allemand.
On a pu les voir discuter avec passion les points de tactique sur lesquels ils ne sont pas d'accord; il est même assez curieux de constater que presque en même temps, les socialistes allemands et les socialistes français sont appelés à prendre d'importantes décisions à juger du rôle qu'ils ont à jouer dans les assemblées parlementaires.
C'est en Allemagne un compromis entre l'intransigeance de M. Liebknecht et la modération de M. de Vollmar, qui a prévalu grâce à l'intervention de M. Bebel.
La lutte se poursuivait entre entre M. Kaulsky qui représente l'intransigeance marxiste et M. Bernstein dont le dernier ouvrage vient de faire tant de bruit.
Ainsi que Jaurès l'expliquait récemment, en Allemagne comme en France, il ne s'agit plus de discussions sur des points de doctrine ou sur le but à atteindre.
Seule la tactique à suivre est en cause, et les adversaires du socialisme se tromperaient lourdement en voyant dans les querelles qui se produisent un signe de faiblesse.
C'est précisément à cause de la rapidité du développement du mouvement socialiste en France et en Allemagne, que le parti est appelé à prendre de graves décisions. Il est tout naturel que ceux qui ont la responsabilité de la direction de cette politique discutent avec véhémence et même avec passion, sans qu'il y ait à redouter une scission.
Henri Turot.
La Vie Illustrée, 8 novembre 1899.
Liebknecht et Bebel, accusés de haute trahison, passèrent en mars 1872, devant la Cour d'assise de Leipzig qui leur fit payer de deux ans de forteresse la gloire d'avoir protesté, au nom de l'humanité, contre la brutalité de la conquête.
Et pendant le procès, des bandes de furieux, égarés par la passion chauvine, s'en allaient dans un faubourg de Leipzig assiéger et lapider une petite maison de modeste apparence. D'un coup de pierre, un enfant eut le front ensanglanté: c'était le fils de Liebknecht.
A côté des deux militants qui méritent bien quelques sympathies françaises, en dehors de toute opinion politique, M. Singer joue un rôle un peu plus effacé.
Député de Berlin, M. Singer est un riche industriel qui occupe de nombreux ouvriers et fait en sorte d'appliquer dans son usine une réglementation paternelle. M. Singer excelle à présider réunions politiques et congrès: il est fort énergique et sait à merveille faire prévaloir un esprit de discipline qui s'obtient facilement d'ailleurs dans les rangs des socialistes allemands.
Quant à M. de Vollmar, il représente l'élément plutôt modéré de la Social-Démocratie, où M. Liebknecht fait pourtant triompher les pures doctrines socialistes et révolutionnaires.
Avec sa moustache un peu cirée et sa barbiche en pointe, Vollmar a gardé l'allure militaire; il suffit de l'apercevoir au balcon de bois de la petite maison blanche qu'il habite sur les bords verdoyants et solitaires du lac Walchensée, dans le Tyrol, pour comprendre qu'on est en présence d'un ancien officier.
Le député de la deuxième circonscription de Munich, d'aristocratique naissance, embrassa fort jeune la carrière militaire. Il fit, comme lieutenant de cuirassiers, la campagne d'Autriche. Puis, en 1870, il est avec l'armée bavaroise aux portes de Blois.
C'est là que le jeune et fringant gentilhomme fut blessé d'un coup de fusil. Il voulut continuer à marcher et tomba si malheureusement sur un tas de pierres qu'il se brisa les deux jambes. Compliquées d'une lésion à l'épine dorsale, les fractures, malgré la jeunesse de l'officier (il avait alors vingt et un ans) furent inguérissables, et M. de Vollmar ne peut marcher sans le secours de deux béquilles.
C'est pendant sont séjour à l'hôpital que le Capital de Marx lui tomba sous la main. Lorsqu'il sortit, M. de Vollmar, quelques mois auparavant fervent catholique et zélé réactionnaire, était devenu socialiste et libre-penseur.
Malgré ses opinions d'une modération relative, il fut maintes fois emprisonné et ne perdit pas une occasion de montrer la sincérité de ses convictions.
Tels sont les quatre célèbres militants du parti socialiste allemand.
On a pu les voir discuter avec passion les points de tactique sur lesquels ils ne sont pas d'accord; il est même assez curieux de constater que presque en même temps, les socialistes allemands et les socialistes français sont appelés à prendre d'importantes décisions à juger du rôle qu'ils ont à jouer dans les assemblées parlementaires.
C'est en Allemagne un compromis entre l'intransigeance de M. Liebknecht et la modération de M. de Vollmar, qui a prévalu grâce à l'intervention de M. Bebel.
La lutte se poursuivait entre entre M. Kaulsky qui représente l'intransigeance marxiste et M. Bernstein dont le dernier ouvrage vient de faire tant de bruit.
Ainsi que Jaurès l'expliquait récemment, en Allemagne comme en France, il ne s'agit plus de discussions sur des points de doctrine ou sur le but à atteindre.
Seule la tactique à suivre est en cause, et les adversaires du socialisme se tromperaient lourdement en voyant dans les querelles qui se produisent un signe de faiblesse.
C'est précisément à cause de la rapidité du développement du mouvement socialiste en France et en Allemagne, que le parti est appelé à prendre de graves décisions. Il est tout naturel que ceux qui ont la responsabilité de la direction de cette politique discutent avec véhémence et même avec passion, sans qu'il y ait à redouter une scission.
Henri Turot.
La Vie Illustrée, 8 novembre 1899.
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