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mercredi 22 juillet 2015

Les vidames.

Les vidames.


Une institution, dont on peut aujourd'hui encore retrouver l'imparfaite image dans l'organisation temporelle de certaines paroisses et qui, après avoir joué un rôle considérable dans le mouvement religieux des quinze premiers siècles, est morte victime de son influence même, nous a semblé mériter au moins une très-brève mention dans le catalogue des choses disparues.
L'institution des vidames, vice domini selon les uns, ou vice dominæ selon les autres, du latin domina, domna, donna, qui a souvent remplacé le masculin domino, domno, donno.
Les vidames furent d'abord les véritables économes des évêques; comme magistrats, ils rendaient la justice en leur nom aux tenanciers et représentaient le prélat cité devant une autre juridiction: d'où le nom d'advocatus, avocat ou avoyer. Comme gentilshommes, ils se mettaient à la tête du contingent d'hommes d'armes que les évêques devaient fournir au roi et défendaient les territoires épiscopaux. Ils étaient encore chargés "d'empêcher que le palais de l'évêque fût pillé à sa morts".
Ce pillage singulier et traditionnel s'opérait même dans le palais pontifical, à la mort "de l'évêque de Rome".
Inutile de dire qu'il ne s'est pas reproduit au décès de Grégoire XVI (1846), ni à celui de Pie IX, il y a quelques semaines.
Dès le sixième siècle, on avait vu la plupart des églises choisir et solliciter le patronage des personnalités notables qui les entouraient. C'était une protection effective réclamée ainsi de quelqu'un ou de plusieurs, et ces protecteurs patentés étaient les lieutenants du clergé et, véritables soutiens temporels, l'assistaient en toute occasion.
Toutefois, lorsque cette assistance n'appartenait pas à un seul mais à un groupe d'individus, ceux-ci ne s'appelaient plus Vidames, mais constituait ce qu'on appelle Commendatio, ou encore bona custodia, lorsque ceux qui remplissaient les fonctions de protecteurs s'y employaient gratuitement, ce qui n'avait pas lieu toujours, ainsi qu'il en résulte encore de cartulaires de Cluny.
Lorsqu'était accordé le titre de Vidame directement par un évêque avec une assignation de pouvoirs qui comprenait quelquefois tout un diocèse, ou par le clergé d'une église, d'une chapelle ou d'une abbaye, le titulaire passait une sorte d'engagement dont voici un exemple. C'est un acte signé du sieur de Cysoing:
"Jou sire de Cysoing jure sur ma foy et sur quanques je tieng de Dieu et sur les saincts évangiles que jou garderay les droicts et franquises le l'Eglise de Cysoing et la teneur de leur cartres et de leurs privilèges et meg povuar ne procurray ne consentray chose qui soit encontre les choses devant dictes ne par my ne par autry par quoy li Eglise en aye dommage."
Les vidames relevaient tous en dernier appel des évêques, dont ils contrarièrent parfois despotiquement l'action, surtout lorsque l'hérédité de la charge consacra des titulaires qui étaient souvent bien loin d'avoir les qualités nécessaires à leur mission.
Aussi dès le seizième siècle, les vidames deviennent de plus en plus rares et n'ont plus, en tous cas, l'importance qu'ils avaient possédée tout d'abord. La vidamie se transmet dans les familles comme une sorte de titre honorifique porté avec plus ou moins d'éclat suivant la fortune de son titulaire; puis, enfin, n'est plus qu'une qualification sans valeur ou une amplification du blason.
En cherchant bien, on trouverait encore dans notre France quelques vidames...
Charlemagne est le premier qui ait joint à sa qualité d'empereur celle de vidame. Mais il était tout simplement vidame de Rome, "advoué, vidame, deffenseur et protecteur de Saint-Pierre".
Dans une vie manuscrite du grand empereur, qui provient du monastère Saint-Cibart à Angoulème, on lit ces mots:
"Carolus quem Romani sibi elegerunt ADVOCATUM sancti Petri contra reges Longobardorum."
Et dans une vie de Charlemagne, de Sangallius, on lit:
"Leo ipsum prononciavit imperatorem DEFENSOREMQUE ecclesiæ romanæ."
Godefroy de Bouillon joignait à son titre de roi de Jérusalem celui "d'advoué vidame ou défenseur du Saint-Sépulcre", "gratia Dei ecclesiæ Sancti-Sepulchri ADVOCATUS."
L'empereur Conrad, roi des Romains, dans une patente de 1145, prend le titre "d'advoué de l'église Saint-Rémy de Reims."
Toutefois, les rois ou princes occupés aux affaires publiques et forcés de négliger leurs fonctions de vidames, les confiaient souvent à d'autres mains et créaient ainsi des vidames en sous-ordres. Ceux-ci n'avaient à résoudre que les affaires sans importance, les vidames en titre se réservant la connaissance des plus considérables.
Enfin, il est indiscutable qu'il y eut des femmes vidames, témoin Marguerite, fille de Baudoin, comte de Flandres et empereur de Constantinople. Le fait est parfaitement établi par lettres patentes de 1246.
Ces vidames furent-elles nombreuses? Nous n'oserions l'affirmer.

                                                                                                                               L. S.

La Mosaïque, Revue pittoresque illustrée de tous les temps et de tous les pays, 1878.


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