Les invalides de la chasse.
Si la chasse est un plaisir pour l'homme, "le roi de la création", je ne sache pas que les lièvres et les lapins, les moins guerrières des créatures, aient jamais revendiqué le massacre de leur espèce comme une distraction.
Ce sont les éternels proscrits de l'univers. Pour le lièvre, le danger est partout, dans le champ qu'il hante, dans le buisson qu'il traverse, dans le bois où il s'abrite. Il y a un péril de mort dans tous les actes de son existence: qu'il soit éveillé ou qu'il se repose, qu'il baille dans son gîte ou qu'il se promène, la Camarde est là qui le menace, sous la forme d'une serre, d'une griffe, d'un piège, d'un fil de laiton, d'un fusil ou d'un chien.
Et, comme le fait remarquer M. de Cherville, "contre tant d'adversaires si bien armés, le pauvre animal n'a reçu d'autre sauvegarde que son agilité souvent impuissante. A tant d'imaginations en travail, à tant de forces déployées, il n'a d'autres défenses à opposer qu'un certain instinct de ruse que sa triste condition a développé. Son sommeil, si l'immobilité est un sommeil, n'est qu'une phase de cette longue agonie.
"Il semble que la nature ait tenu à lui signifier l'arrêt qui le condamnait à une horrible perpétuité de vigilance; elle lui a refusé cette opacité des paupières qui assure le repos des autres animaux; il dort les yeux à demi-clos, l'oreille au vent, conservant dans son engourdissement une sorte de sentiment d'angoisse, inquiet du bruit d'une feuille que le vent balaye, mais n'osant tressaillir de peur de trahir sa présence, contraint à dominer ses terreurs les plus poignantes, véritable personnification de l'épouvante. Rêvant, s'il rêve, d'embûches, de traquenards, de coup de fusil, de chiens lui soufflant au poil et se demandant encore, le pauvre paria! quel crime il peut avoir commis pour être déshérité de la quiétude, sans laquelle il n'y a pas de joie sur terre..."
Encore si ces pauvres animaux trouvaient toujours la mort dans cette lutte inégale!
Mais hélas! le plus souvent, pendant et après la chasse, et grâce à la maladresse des chasseurs, la plupart de ces rongeurs ne vivent qu'à moitié. Ce pauvre gibier, quand il a fait l'appel et constaté l'absence des membres de sa famille, compte les blessés, les recueille et les soigne. Les revenus de la société sont modiques; modeste est l'installation de l'hôpital,
Attendu l'étai indigent
De la République attaquée.
Le malheur, comme l'amour, rapproche les distances: de deux espèces antipathiques l'une à l'autre, il ne fait plus qu'une seule famille. Les lièvres ont choisi leur clairière la plus sure. Nul repaire, nulle jouette ne la dénonce aux yeux du plus habile chasseur; c'est là que les lapins se sont mis à l'oeuvre pour dissimuler le plus habilement un terrier que le furet lui-même n'éventerait pas. Un pauvre bahut est dans l'antichambre; il referme des fioles que les plus savants ont décanté les sucs curateurs des plantes médicinales. Le terrier lui-même est converti en infirmerie où chaque malade trouve son lit de mousse, sa compresse d'arnica et son bouillon de serpolet.
L'un arrive à l'officine porté sue ses deux béquilles, l'autre panse son œil crevé par le plomb aveugle; celui-ci agonise, malgré le premier pansement et l'appareil qui maintient ses entrailles perforées; celui-là, l’œil en écharpe, médite sur l'amertume de la vie et du breuvage que lui prescrit l'ordonnance.
Voici les convalescents, ceux qui, n'ayant eu d'endommagée qu'une patte, peuvent s'appuyer de l'autre sur un bâton obligeant et regagner seul le dortoir.
Enfin un lapin lépophile, touché de tant de malheurs, lève les pattes au ciel, et, après avoir pansé les blessés, semble prier Dieu pour qu'il les guérisse. C'est l'Ambroise Paré de la gent timide et pourchassée.
Le tableau de toutes ces misères que reproduit notre gravure est déchirant, il arracherait des larmes aux yeux du Nemrod le plus endurci.
Ma droite, vierge de tout sang innocent, appelle l'attention de la Société protectrice des Animaux sur les infortunes de ces pauvres lièvres et ces pauvres lapins, et l'invite à créer des asiles pour leurs convalescents dans les bois de Saint-Germain et de Fontainebleau.
La Mosaïque, Revue pittoresque illustrée de tous les temps et de tous les pays, 1878.
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