Translate

mercredi 29 juillet 2015

La guerre racontée par les soldats russes.

La guerre racontée par les soldats russes.

Les futurs historiens du siège de Port-Arthur trouveront des documents sincères dans les lettres que les soldats de Stoessel ont réussi à faire parvenir, en dépit du blocus japonais, à leur famille et à leurs amis.
Mon Dimanche est heureux de pouvoir offrir à ses lecteurs les plus intéressants passages de ces lettres, parues dans les journaux russes et qui renferment les plus vraies des impressions de campagne.

Récit de Zélénoff.

Le soldat Zélénoff décrit en ces termes un combat dans le secteur nord-ouest de Port-Arthur:
De nuit, les Japonais se précipitent dans nos tranchées. Ils ne disent pas un mot, jusqu'à ce qu'ils soient au milieu de nous. Dans l'obscurité, ils ont l'air de géants; l'un d'eux me saute dessus: son poids m'effraie plus que sa baïonnette. Mais je suis le conseil de mon capitaine et je croise énergiquement la baïonnette. La baïonnette du Japonais m'égratigne au sommet de la tête, mais la mienne le transperce. Beaucoup des nôtres sont tués par les Japonais, qui s'approchent en rampant comme des vers, attrapent nos camarades par les jambes et les renversent. L'ennemi se sauve. Tout à coup, un Japonais que nous croyions mort bondit sur ses pieds et enfonce un couteau dans le dos de Galakoff. Nous en sommes si fâchés que nous saisissons le Japonais à bras-le-corps et lui tournons la tête jusqu'à ce que la nuque lui craque. Le voilà mort pour de bon cette fois.

Récit de Somionof.

Le sergent Somionof donne une idée du véritable effet de ces bombardements qui paraissent si effroyables dans les télégrammes.
Hier, les Japonais ont canonné toute la journée les forts et la ville. Dans les forts, il y eut deux tués; dans la ville personne ne fut touché; et pourtant une centaine d'obus tombèrent dans les places les plus fréquentées. Aujourd'hui, tout le monde se moquait des obus et on s'amusait à les ramasser: alors l'un d'eux éclata dans une boutique où étaient couchés sept malades. Je vis l'explosion en passant et j'accourus. Le toit avait disparu. Les malades étaient tous à terre, en un seul tas. L'un n'avait plus de tête, un autre avait été écrasé par une poutre, trois autres étaient morts de peur. Il y en avait un partagé en deux moitiés: il geignait comme un lapin, et, me prenant pour un Japonais, il cria: "Achève-moi, je souffre trop."

Récits de Voronof et de Wolsky.

Une autre lettre du fusilier Voronof montre comment les russes traitent les lâches.
Les Japonais s'approchent par milliers. Alors deux de nos soldats se sauvent. Mon voisin se retourne, tire sur l'un d'eux et le blesse au bras. On les rattrape, on les place contre l'épaulement, bien en vue. Mais les obus japonais ne les atteignent pas. Alors, je leur attache dans le dos une pancarte portant le mot lâche, et nous les forçons à marcher à travers la ville et les retranchements. Quiconque les aperçoit crie: "Lâches!" C'est terrible pour eux. La nuit suivante, l'un se coupa la gorge, mais l'autre continua à se promener avec sa pancarte, et chacun le bafoua, et on lui donna des coups de pied.
Wolsky raconte cet épisode d'une sortie russe:
Quatre des nôtres se trouvent isolés. Les Japonais se précipitent sur eux en mugissant comme des taureaux, mais sans tirer, tant ils sont en fièvre. L'un des quatre jette son fusil et lève les mains: ses camarades l'exterminent et continue à combattre. Un officier japonais brandit une longue épée et grappe l'un des Russes, mais celui-ci l'abat d'une balle dans la tête. Les trois hommes se groupent et résistent aux Japonais durant cinq bonnes minutes. Une balle tue l'un d'eux; le deuxième est saisi par les jambes et renversé. Le troisième reste debout comme un roc au milieu des vagues; il brandit son fusil et tue à coups de crosse plusieurs Japonais. Un petit officier agite un mouchoir, pour lui faire signe de se rendre. Mais il ne veut pas; en criant: "Hourrah!" il se précipite sur eux, et tombe enfin percé de six baïonnettes...

Noël russe en Mandchourie.

Dimitri Bagrianof écrit du bord du Cha-Ho:
"Noël! officiers et hommes boivent solennellement la vodka (eau-de-vie) à la santé du tsar. Le chef de bataillon, tout en remplissant de l'alcool national un grand verre, dit d'une voix grave: "Je bois à la santé de Sa Majesté l'empereur Nicolas II!" Il boit, il s'incline, fait un signe de croix. Ses officiers et ses hommes l'imitent. Tout le monde use du même verre. Chacun a pour sa part une tcharka, c'est à dire un peu plus de 12 centilitres. Maintenant, on nous distribue les cadeaux envoyés: celui-ci reçoit de bonnes choses à manger, celui-là des bottes neuves ou des images pieuses, cet autre, qui est un savant, des livres et de quoi écrire. Des centaines de milliers de cigarettes arrivent de Crimée. Il y a aussi des dons bizarres: un parfumeur nous a expédié mille flacons d'odeur!
"On dîne. On absorbe des quantités énormes de soupe aux choux et de thé sans crème. Puis nous nous amusons. Les uns se lancent à toute vitesse du haut des petites collines, montés sur les louizhi, qui sont des patins à neige moscovites. Voici un combat de boules de neige: on y va pour de bon; on se jette même des morceaux de glace; les joues déchirées et les yeux au beurre noir ne provoquent que des rires; personne ne proteste.
"On organise des concours de danse: face à face, Ivan et Louka dansent le trépak ou la kazatchka, jusqu'à ce que l'un des deux tombe de fatigue et s'avoue vaincu.
"Quant aux Cosaques, ils ont leu djidjitovka: ils tirent des coups de fusil, debout sur leurs selles ou bien couchés sous le ventre de leur cheval.
"La nuit approche. On se rassemble autour des feux. Des artistes dessinent sur la neige, à la pointe de leur baïonnette, des caricatures de camarades ou bien de Japonais. Le pisar (écrivain) du régiment écrit, à raison d'un sou pièce, des lettres pour les familles. Il excelle dans l'épître amoureuse, et il ajoute même des vers, en l'honneur de l'adorée de Dimitri ou d'Alexis. Il termine toujours en affirmant que la guerre touche à sa fin, et que, dans la bataille un Russe vaut vingt Japonais."

Une musique lente, et doucement triste, résonne. Là-bas, des chœurs entonnent les vieilles chansons qui charment les dimanches d'été dans les villages de l'immense patrie russe.

Mon Dimanche, Revue populaire illustrée, 29 janvier 1905.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire