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vendredi 17 juillet 2015

Paris il y a cent ans.

Paris il y a cent ans.


Autrefois, plus encore qu'aujourd'hui, c'était en descendant ou en remontant la Seine que l'on pouvait prendre une idée générale de la physionomie de Paris, principalement au point de vue pittoresque. Il n'y avait presque pas de quais, et les rives du fleuve présentaient ça et là, des parties plantées d'arbres formant paysage, contrastant avec l'aspect sombre des vieilles maisons qui les avoisinaient.
Nombre de petites barques sillonnaient la Seine: ici des pêcheurs jetant leurs filets; là des passeurs qui allaient d'une rive à l'autre et qui suppléaient à l'insuffisance des ponts. Aux jours d'inondation, quelques nappes d'eau s'étendaient sur les berges! Aux jours de sécheresse, en certains endroits, on eût pu traverser à pied sec, tant le lit de la rivière était encombré de pierres, d'herbes aquatiques ou de détritus.
Lorsqu'on entrait dans Paris par le côté du Jardin du Roi ou des Plantes, on remontait à droite l'île Louviers, qui était appelée autrefois l'Isle-aux-Javeaux, c'est à dire île nouvellement formée au milieu de la rivière, par alluvion ou amas de limon et de sable. Il n'avait là que du bois neuf et de la tourbe; elle était habitée par des marchands de bois. Mais la Ville y avait fait élever, en 1549, un fort, un port et une espèce de havre, afin de donner à Henri II et à Catherine de Médicis le spectacle d'un combat naval et de la prise d'un fort.
A l'angle de l'île Saint-Louis, l'hôtel de Bretonvilliers se faisait remarquer par son magnifique jardin; on suivait un quai jusqu'au pont de la Tournelle, et, par un petit pont de bois, on se rendait à Notre-Dame, dont les hautes tours guidaient le promeneur avide de beautés architecturales. L'île Saint-Louis n'a gère changé; l'île Louviers n'existe plus.




Sur la rive gauche de la Seine, on apercevait le château de la Tournelle, occupant l'espace qui se trouvait entre l'eau et la porte Saint-Bernard. Le château de la Tournelle était une vieille tour carrée bâtie sous Philippe Auguste pour servir de défense à la Ville de Paris. Elle correspondant avec la tour des Célestins par une grosse chaîne qui traversait la rivière et qui était portée par des bateaux plats disposés de distance en distance. Saint Vincent de Paul avait obtenu, en 1632, la permission de loger les galériens dans le château de la Tournelle. Ils y étaient détenus jusqu'à leur départ pour Toulon, Brest ou Marseille. La "chaîne des condamnés", comme on disait, partait deux fois par an, le 25 mai et le 10 septembre. 
La porte Saint-Bernard prenait son nom du collège des Bernardins, qui s'élevait dans le voisinage. C'était une sorte d'arc de triomphe, construit en 1674 sur les dessins du fameux architecte François Blondel. Elle présentait deux portiques ou arcades surmontées d'une longue frise, sur laquelle il y avait deux bas-reliefs exécutés par le sculpteur Tuby. L'un de ces bas-reliefs représentait Louis XIV répandant l'abondance sur son peuple; l'autre représentait le grand roi monté sur un vaisseau dont il tenait le gouvernail et qui voguait à pleines voiles. Au-dessus des impostes des piles, six grandes statues, du même Tuby, personnifiaient les Vertus.
Au quai de la Tournelle stationnait le coche royal de Fontainebleau, qui partait tous les jours et mettait douze heures pour remonter la Seine jusqu'à Valvin. Plus de coche aujourd'hui en cet endroit; plus de bateaux à vapeur même; le chemin de fer a tout remplacé.
Beaucoup d'activité commerciale se remarquait sur les différents ports, principalement sur celui où l'on débarquait les vins de toute provenance, à peu près sur l'emplacement de la halle actuelle. Les approvisionnement de Paris se faisaient principalement par eau, et les rives de la Seine étaient couvertes de bois, de charbon, de barriques, de fruits en paniers, de marchandises diverses.
Si l'on remontait la rivière, à partir de Passy et de Grenelle, l'aspect de Paris était plus monumental.
L’œil du voyageur était ébloui. A gauche, la belle terrasse du jardin des Tuileries resplendissait de rideaux de verdure qui encadrait les bâtiments du palais, le long du Louvre, un quai arcade en bois  se prolongeait jusqu'au pont Neuf. A part l'encaissement de la seine, ainsi que les ponts du Carrousel et des Arts, qui modifient les premiers plans du panorama dont nous admirons chaque jour les beautés, on avait une vue d'ensemble incomparable, presque pareille à celle d'aujourd'hui. dans le lointain, au nord-est, apparaissait la tour de Saint-Jean-Jacques-la-Boucherie, plus loin encore le clocher de Saint-Gervais. Au milieu, on voyait les tourelles du Palais de Justice, le clocher de la Sainte-Chapelle, les tours et les flèches de Notre-Dame.



Sur le terre-plein du pont neuf, il n'y avait aucune plantation d'arbre; mais une statue de Henri IV était remarquable. Au quatre coins du piédestal de marbre blanc étaient attachées, sur des trophées d'armes antiques, des esclaves en bronze de grandeur naturelle.
Si l'on regardait à droite, l'horizon était borné par le dôme et le bâtiment des Quatre-Nations. L'hôtel des Monnaies, cette oeuvre superbe d'Antoine, ne se voyait qu'au moment où l'on passait sur le quai de Conti pour aller se mêler à la foule encombrant le marché à la volaille, sur le quai des Augustins.
Dans cet endroit de Paris, au quai des Augustins, une foule d'élégants et de coquettes goûtaient le plaisir de la promenade. La belle société s'y donnait rendez-vous, et comme le pont Neuf continuait à attirer les flâneurs à cause de ses marchands, de ses bateleurs et de ses vendeurs d'orviétan, nombre de gens aimaient à longer la Seine, dans l'espace qui s'étend ente la rue Dauphine et la place Saint-Michel. C'était pour eux un moyen de ne pas se confondre avec le populaire.
Au résumé, soit en amont, soit en aval, Paris semblait charmant. Ce qui le faisait adorer par les provinciaux, c'était surtout son animation, le bruit des carrosses, les cris des petits métiers, la promptitude avec laquelle toutes les nouvelles se répandaient. Sur les quais avaient lieu les promenades quand les grands boulevards n'existaient pas encore. Le canotage de la Seine était à peu près nul: les mariniers seuls y dirigeaient leurs lourdes embarcations, pour porter des ballots d'un quartier à l'autre.
A voir les estampes du temps, on tient pour assuré que la navigation parisienne était plus commerçante qu'agréable. Mais si les rives du fleuve avaient moins de propreté qu'aujourd'hui, on peut croire qu'elles abondaient en recoins pittoresques.

                                                                                                            Aug. Challamel.

La mosaïque, Revue pittoresque illustrée de tous les temps et de tous les pays, 1878.

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