Les incendies à Constantinople.
Il n'est pas probable qu'aucune ville ait jamais été le théâtre d'incendies aussi fréquents et aussi désastreux que Constantinople. La cause est ancienne et la responsabilité de ces sinistres trop répétés pourrait remonter haut et loin, malgré la part qui en incombe nécessairement à l'administration ottomane actuelle.
Lorsqu'en 325, Constantin résolut de rendre à la ville, à laquelle il donnait son nom d'abord, la plus grande part de sa splendeur et de son importance passées, il chercha à y attirer une population active et nombreuse; et, pour abriter cette population, il fit construire à la hâte des maisons en bois. Eh bien! cela est étrange certainement, mais ce système de construction s'est perpétuée à travers les siècles et les révolutions, au moins dans les quartiers musulmans peu fortunés; et c'est dans ces foyers bien préparés que l'incendie éclate invariablement, ne laissant pas que de s'étendre aux quartiers plus riches et de dévorer la pierre après le bois.
Le sinistre n'a pas toujours une cause accidentelle; la malveillance, au contraire, parait y avoir, en tout temps, contribué largement. On a conservé la mémoire du terrible incendie allumé par les Verts soulevés sous Justinien (532), dans lequel fut consumée entièrement la bibliothèque impériale, riche de plus de 100.000 manuscrits; la période byzantine en vit bien d'autres, et s'il fallait y ajouter ceux de l'époque ottomane, il faudrait des volumes pour en contenir la simple mention.
On comprend que, de bonne heure, un service de secours contre l'incendie dut être régulièrement organisé. Ajoutons que, sans parler des pompes, dont il ne pouvait être alors question, cette organisation subsiste encore aujourd'hui telle quelle, presque sans autre modification. C'est donc du service de secours actuel, du corps des pompiers de Constantinople, en un mot, que nous allons seulement nous occuper: remonter plus haut serait inutile, puisque rien n'a été changé de ce côté.
Le service de secours contre l'incendie, à Constantinople, est assuré (plus ou moins) par une corporation ainsi organisée: les pompiers (touloumbadji), chargés de la manœuvre des pompes; les porteurs d'eau (soccas), qui portent sur l'épaule une petite outre remplie d'eau, bientôt mise à sec, si les citernes privées ne la remplissent; les sapeurs (baltadji), armés de haches, de crochets et autre engins pour abattre les maisons incendiées et faire, dans la mesure du possible (ce qui n'est pas beaucoup dire) la part du feu; enfin il y a les veilleurs de nuit(beckdji).
Nuit et jour une vigie est en observation au sommet de la haute tour du Séraskier, comme il y en avait une à l'époque byzantine au sommet de la tout Anémas, dont on n'a jamais su la situation exacte.
Cette vigie interroge sans cesse, du moins nous voulons le croire, l'horizon autour d'elle, pour y découvrir un jet de fumée insolite, une langue de feu s'élevant indûment au-dessus d'un quartier ou de l'autre. Lorsqu'elle a trouvé son affaire, elle donne le signal, en hissant une espèce de panier si c'est le jour, une lanterne allumée si c'est la nuit. Le signal aussitôt aperçu, le canon tonne, les beckdji parcourent les rues en frappant le sol de leur lourd matrak ferré et criant: Stamboul ou Pera-da hianghin var ( le feu est à Stamboul, à Péra, etc.)
Tout le monde s'émeut. Soccas et toumoumbadji s'élancent au pas de course dans la direction du feu, outres et pompes sur les épaules, sans dévier d'une ligne, car ils ont non-seulement le droit mais le devoir de ne se déranger pour personne et de renverser au besoin tous les obstacles susceptibles de renversement qui s'opposeraient à leur passage. Les autres sections de la corporation suivent de près et d'une allure égale, puis la foule.
Si l'incendie éclate la nuit, les habitants, dans un rayon très-étendu, car l'expérience les a rendus prudents, quittent leur lit et procèdent au déménagement avec philosophie; ils ramassent les objets les plus précieux dans un panier pour les remettre à la garde de la moquée voisine et détalent avec le reste.
Les secours les plus efficaces sont toujours ceux qu'apportent avec empressement les équipages des navires en station.
Mais que faire en présence d'un pareil fléau, autour duquel il semble qu'on ait entassé les aliments à plaisir? On n'a pas d'idée de la rapidité avec laquelle l'incendie se propage: il faut certainement plus de temps pour consumer une botte de paille que pour brûler dix maisons de bois, pour peu que le vent s'en mêle. Aussi, à Constantinople, lorsque deux ou trois cents maisons de cette sorte ont été détruites par le feu, le sinistre n'est pas du tout classé dans la catégorie des incendies terribles, mais seulement dans celle des incendies ordinaires. Le malheur, c'est qu'il ne s'en tient pas toujours là et s'étend aux quartiers qui, comme Péra sont bâtis en pierre et bien bâtis.
On ne peut entreprendre de citer les incendies, même les plus terribles qui ont dévasté Constantinople. On a pourtant retenu ces dates: 1782, 1784, 1834, 1859, 1865 et 1870. Mais qu'est-ce cela?
Théophile Gautier, qui se trouvait à Constantinople en 1851, rapporte que, pendant son séjour dans cette ville, il n'y eut pas moins de quatorze incendies dans une seule semaine! L'incendie de septembre 1865 s'étendit sur plus de deux kilomètres carrés et dévora plus de trois mille maisons dans la ville turque de Stamboul. Le 6 juin 1870, c'était le tour du quartier franc de Péra.
Le feu prit au coin de la rue Taxien, prolongement de la rue Péra, et de Parmak capou (la Porte du Doigt), dans les maisons de bois, comme toujours. ce quartier est aussi habité par de riches Arméniens qui, ce jour-là, étaient allés fêter, à Fener Bagtché, le dixième anniversaire de leur constitution. Impossible de pénétrer chez eux pour puiser à leurs citernes, et l'eau manquait! Plus de deux mille maisons furent la proie des flammes et, dans le nombre, environ trois cents maisons en pierre de taille, appartenant soit à des Européens, soit à de riches Levantins. Tout un côté de la rue de Péra fut détruit: cinquante à soixante maisons, bien construites et très-belles pour la plupart. Le théâtre Naoum, les maisons du consulat de Portugal, de l'ambassade britannique, du cercle Teutonia, de la Société de bienfaisance et de l'hôpital allemands, du consulat américain, du patriarcat arménien, les hôtels d'Orient, de Saint-Petersbourg, plusieurs églises et moquées,etc. furent littéralement rasés. On compta en outre près de cinq cents victimes de cet épouvantable sinistre, dont Péra a conservé des traces jusqu'aujourd'hui.
Les quartiers bâtis en pierre inspirent pourtant assez de confiance pour que des compagnies d'assurances y fonctionnent régulièrement. Il serait temps d'ajouter à ce premier progrès, qui aurait suivi son cours sans les malheurs qui sont venus fondre sur la Turquie, le progrès non moins salutaire qui consisterait à armer les touloumbadji de pompes à vapeur, en supposant, bien entendu, que l'eau pût ne point leur manquer.
A. Bitard.
La Mosaïque, Revue pittoresque illustrée de tous les temps et de tous les pays, 1878.
Nuit et jour une vigie est en observation au sommet de la haute tour du Séraskier, comme il y en avait une à l'époque byzantine au sommet de la tout Anémas, dont on n'a jamais su la situation exacte.
Cette vigie interroge sans cesse, du moins nous voulons le croire, l'horizon autour d'elle, pour y découvrir un jet de fumée insolite, une langue de feu s'élevant indûment au-dessus d'un quartier ou de l'autre. Lorsqu'elle a trouvé son affaire, elle donne le signal, en hissant une espèce de panier si c'est le jour, une lanterne allumée si c'est la nuit. Le signal aussitôt aperçu, le canon tonne, les beckdji parcourent les rues en frappant le sol de leur lourd matrak ferré et criant: Stamboul ou Pera-da hianghin var ( le feu est à Stamboul, à Péra, etc.)
Tout le monde s'émeut. Soccas et toumoumbadji s'élancent au pas de course dans la direction du feu, outres et pompes sur les épaules, sans dévier d'une ligne, car ils ont non-seulement le droit mais le devoir de ne se déranger pour personne et de renverser au besoin tous les obstacles susceptibles de renversement qui s'opposeraient à leur passage. Les autres sections de la corporation suivent de près et d'une allure égale, puis la foule.
Si l'incendie éclate la nuit, les habitants, dans un rayon très-étendu, car l'expérience les a rendus prudents, quittent leur lit et procèdent au déménagement avec philosophie; ils ramassent les objets les plus précieux dans un panier pour les remettre à la garde de la moquée voisine et détalent avec le reste.
Les secours les plus efficaces sont toujours ceux qu'apportent avec empressement les équipages des navires en station.
Mais que faire en présence d'un pareil fléau, autour duquel il semble qu'on ait entassé les aliments à plaisir? On n'a pas d'idée de la rapidité avec laquelle l'incendie se propage: il faut certainement plus de temps pour consumer une botte de paille que pour brûler dix maisons de bois, pour peu que le vent s'en mêle. Aussi, à Constantinople, lorsque deux ou trois cents maisons de cette sorte ont été détruites par le feu, le sinistre n'est pas du tout classé dans la catégorie des incendies terribles, mais seulement dans celle des incendies ordinaires. Le malheur, c'est qu'il ne s'en tient pas toujours là et s'étend aux quartiers qui, comme Péra sont bâtis en pierre et bien bâtis.
On ne peut entreprendre de citer les incendies, même les plus terribles qui ont dévasté Constantinople. On a pourtant retenu ces dates: 1782, 1784, 1834, 1859, 1865 et 1870. Mais qu'est-ce cela?
Théophile Gautier, qui se trouvait à Constantinople en 1851, rapporte que, pendant son séjour dans cette ville, il n'y eut pas moins de quatorze incendies dans une seule semaine! L'incendie de septembre 1865 s'étendit sur plus de deux kilomètres carrés et dévora plus de trois mille maisons dans la ville turque de Stamboul. Le 6 juin 1870, c'était le tour du quartier franc de Péra.
Le feu prit au coin de la rue Taxien, prolongement de la rue Péra, et de Parmak capou (la Porte du Doigt), dans les maisons de bois, comme toujours. ce quartier est aussi habité par de riches Arméniens qui, ce jour-là, étaient allés fêter, à Fener Bagtché, le dixième anniversaire de leur constitution. Impossible de pénétrer chez eux pour puiser à leurs citernes, et l'eau manquait! Plus de deux mille maisons furent la proie des flammes et, dans le nombre, environ trois cents maisons en pierre de taille, appartenant soit à des Européens, soit à de riches Levantins. Tout un côté de la rue de Péra fut détruit: cinquante à soixante maisons, bien construites et très-belles pour la plupart. Le théâtre Naoum, les maisons du consulat de Portugal, de l'ambassade britannique, du cercle Teutonia, de la Société de bienfaisance et de l'hôpital allemands, du consulat américain, du patriarcat arménien, les hôtels d'Orient, de Saint-Petersbourg, plusieurs églises et moquées,etc. furent littéralement rasés. On compta en outre près de cinq cents victimes de cet épouvantable sinistre, dont Péra a conservé des traces jusqu'aujourd'hui.
Les quartiers bâtis en pierre inspirent pourtant assez de confiance pour que des compagnies d'assurances y fonctionnent régulièrement. Il serait temps d'ajouter à ce premier progrès, qui aurait suivi son cours sans les malheurs qui sont venus fondre sur la Turquie, le progrès non moins salutaire qui consisterait à armer les touloumbadji de pompes à vapeur, en supposant, bien entendu, que l'eau pût ne point leur manquer.
A. Bitard.
La Mosaïque, Revue pittoresque illustrée de tous les temps et de tous les pays, 1878.
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