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mercredi 30 mars 2016

Le Musée lapidaire de la porte de Croux à Nevers.

Le Musée lapidaire de la porte de Croux à Nevers.


La ville de Nevers a eu successivement plusieurs enceintes, dont il reste des vestiges plus ou moins importants. En quelques endroits, des traces de murailles romaines ont été découvertes, dit-on. Dans un jardin particulier, on peut voir un morceau de la solide muraille élevée, en 1194, par le comte Pierre de Courtenay, qui ailleurs est cachée sous des constructions modernes.
La tour Goguin, dite aussi tour de Cuffy, qui est encore debout au nord de la Loire, au sud-est de la ville, faisait partie des fortifications bâties par Pierre de Courtenay; les murs inférieurs, du moins, qui ont 3 mètres environ d'épaisseur, datent de la fin du douzième siècle. Au quatorzième  appartiennent la grosse tour demi-circulaire de Saint-Eloi, situé au bord de la Nièvre, encore garnie de mâchicoulis trilobés qui forment au-dessous de sa terrasse comme une élégante corniche, et la porte de Croux que représente notre gravure.




"C'est une haute tour carrée (1), flanquée aux angles extérieurs de petites tourelles en encorbellement soutenues par de fortes engives, et couronnée, sur trois côtés, par une galerie de mâchicoulis trilobés; le toit est fort élevé. La façade qui regarde la campagne offre quelques fenêtres carrées, les ouvertures qui recevaient les bras du pont-levis; on y voit aussi, encastré au-dessus de l'ouverture du passage voûté qui traverse le bras de la tour, un petit bas-relief mutilé qui portait les armes du duc Louis de Gonzague, et au-dessous le lion passant, accosté de billettes, du blason de la ville; on voit aussi sur ce bas-relief la date de 1593, dans laquelle plusieurs personnes ont cru lire 1303, dont on avait fait la date de la tour.
C'est à feu M. le baron de Vertpré que l'on doit la conservation de ce curieux monument de l'architecture militaire au quatorzième siècle, qui allait être vendu et peut-être détruit; M. de Vertpré l'acheta et en fit don à la ville."
La porte de Croux, devenue propriété de la ville de Nevers, a été transformée en un Musée où, par les soins de la Société nivernaise des lettres, sciences et arts, ont été recueillis des inscriptions, des sculptures et d'autres débris de toutes sortes et de tout temps, provenant des édifices ruinés de la ville et de ses environs, ou mis à découvert par des travaux récents. Ces objets remplissent les salles situées aux trois étages de la tour; d'autres encore ont été déposés en dehors, le long des parois et sur les marches mêmes de l'escalier qui conduit de la petite porte de la rue du Tartre à l'entrée du premier étage et sur la terrasse que l'on rencontre à mi-chemin. Là, quelques-uns sont abrités par un toit que supportent les anciennes cariatides des lucarnes du château ducal, actuellement palais de Justice de Nevers.
Parmi ces débris laissés à l'extérieur, nous ne signalerons, outre un certain nombre d'inscriptions funéraires, que les curieux chapiteaux de l'église romane de Saint-Sauveur, aujourd'hui ruinée, et d'autres sculptures de la fin de l'art gothique et du commencement de la renaissance: un Christ au tombeau, une Visitation, etc.
Au premier étage, une salle carrée, voûtée d'arête, avec de grosses nervures prismatiques, est entièrement garnie de fragments, la plupart intéressants, de l'antiquité et du moyen âge.
"L'une des parois est occupée par une magnifique cheminée du quinzième siècle, qui vient de Varzy; cette cheminée est ornée de deux étages de moulures pannelées, séparées par une corniche de guirlandes de pampres; le haut est garni d'arcatures trilobées, et de trois dais; au milieu se trouve une niche flanquée de deux écussons effacés. La plaque en fonte placée sous cette cheminée est aux armes de l'avant-dernier duc de Nevers, de la maison de Mancini."
Une belle mosaïque romaine occupe le milieu de la salle. Elle est divisée en neuf compartiments, renfermant des dessins variés, un coq, des rosaces, des fleurons, etc., rouges, blancs et noirs. Cette mosaïque a été trouvée en 1836, à Villars, près Biches, lorsqu'on creusait le canal du Nivernais. C'est aussi de là qu'a été tiré un fragment de bas-relief en marbre blanc où est figuré Léandre, le beau nageur, avec un dauphin derrière lui. M. de Soultrait fait remarquer que ce bas-relief rappelle tout à fait un médaillon de Sestos publié par Mionnet. Quelques cippes romains proviennent de Nevers ou des communes environnantes; deux bustes bien conservés des empereurs Adrien et Marc-Aurèle ont été découverts à Saincaize, il y a trois ou quatre ans. Mais la plus grande place appartient aux restes de sculptures du moyen âge. La plupart sont des chapiteaux des églises de la Marche près la Charité (ceux-ci sont les plus anciens), de Saint-Martin, de Saint-Arigle, de Saint-Sauveur, à Nevers, etc. Les restes de cette dernière église, dont on peut voir encore debout quelques pans de mur, une colonne, des fragments d'arc et de voûtes et une partie du portail extérieur du côté du sud, mériteraient d'être particulièrement étudiés. Nous ne pouvons décrire ici tous les curieux fragments conservés au Musée de la porte du Croux; nous citerons seulement un chapiteau du plus haut intérêt, qui a été dessiné et expliqué par M. Viollet le Duc dans les Annales archéologiques (t. II, p. 114), et qui offre la représentation, inattendue au cœur de la France, d'une église purement byzantine.
Le tympan du portail méridional de cette même église Saint-Sauveur, qui s'ouvre également au deuxième étage du Musée lapidaire, est un morceau de sculpture remarquable à la fois pour son style et par le sujet qui s'y trouve figuré:
"Jésus Christ (1), assis sur une chaire et vu de profil bénit de la main droite à la manière latine, et de la gauche présente une grande clef à saint Pierre qui est debout devant lui. Derrière le Christ se trouve un apôtre assis, et trois autres disciples de Jésus semblent causer derrière saint Pierre. Tous ces personnages ont les pieds nus et sont nimbés; saint Pierre a en outre sur la tête la tonsure cléricale. Au-dessus de ces personnages se lit l'inscription suivante en lettres capitales gothiques: VISIB., HUMANIS MONSTRATUR MISTICA CLAVIS.
Au dessous se trouve le linteau de la porte, qui représente, au milieu de gracieux rinceaux, un paon faisant la roue, un lion à tête de loup, un dragon ailé à tête plate, un animal hybride, ayant un corps de lion et une tête de femme surmontée d'une corne recourbée; une harpie au corps d'oiseau et à la tête humaine, recouverte de plumes ou d'écailles en guise de cheveux.
Au dessous de ces linteaux, on lit:  PORTA POLI POTEAT HUC EUNTIB INTUS ET EXTRA ‡. Puis après la croix, en lettres mal rangées, le mot MAVO, qui est probablement le nom du sculpteur.
Un savant archéologue, M. de Surigny, qui a consacré à la description et à l'explication symbolique de ce tympan quelques pages du Bulletin monumental (t.XVIII, p. 32), voit dans la haute importance donnée à saint Pierre dans cette sculpture une preuve de l'influence de Cluny, dont le but constant au moyen âge fut d'exalter la suprématie papale, et dont les tendances artistiques avaient quelque chose d'oriental, tendances dont l'église de Saint-Sauveur, relevant de Cluny, offrait tant d'exemples. M. de Surigny croit que les cinq animaux du linteau sont là pour figurer cinq des péchés capitaux: l'Orgueil, la Colère, l'Envie, la Luxure et la Gourmandise.
Mentionnons encore les jolis chapiteaux historiés du douzième siècle appartenant au portail de l'église de Garchizy, près Fourchambault, où ils ont été remplacés par leur copie; des chapiteaux de la même époque de l'église de Saint-Martin, de Nevers, ornés d'aigles fort beaux et de galons enlacés; une pierre tombale provenant de l'église de Saint-Victor, portant gravés au trait les figures de deux bourgeois agenouillés l'un derrière l'autre, les mains jointes; l'inscription qui entoure la pierre, en lettres minuscule gothiques, indique les dates de 1354 et 1390; enfin d'autres épitaphes.
Au deuxième étage de la tour, dans la salle où se réunit la Société nivernaise des lettres, sciences et arts, on conserve quelques moulages, des boiseries sculptées, uns statue de la renaissance provenant du prieuré de Saint-Victor, un bas-relief de la même époque provenant de Donzy, et un fragment assez bien conservé des tapisseries tissées pour la cathédrale par la comtesse Marie d'Albret et par les dames de la cour. On trouvera la description détaillée de ces tapisseries, en partie détruites, dans la Monographie de Saint-Cyr, par M. l'abbé Crosnier; elles représentent plusieurs scènes des martyres de saint Cyr et de sainte Julitte, patrons du diocèse de Nevers.
Le troisième étage renferme les modèles des sculptures du château ducal, et l'épitaphe en marbre noir du duc Louis de Gonzague, autrefois dans le chœur de la cathédrale.
On peut encore monter un peu plus haut, si l'on veut voir la belle charpente du comble, et un vieux meuble oublié dans la poussière, siège d'évêque ou d'abbé, qui paraîtra sans doute à plus d'un visiteur digne encore d'intérêt. De cet étage supérieur on jouit d'une belle vue au midi et au couchant, et on se rend bien compte des éléments de défenses de ce côté de la ville; on voit aussi, dans notre gravure, que la tour de Croux, protégeant l'entrée de l'enceinte principale, n'est pas placée dans l'axe de la première porte: un fossé les sépare, et le pont qui conduit de l'une à l'autre forme le zigzag; la porte enfin s'ouvre à gauche, de manière à forcer l’assiégeant à présenter aux remparts son flanc droit. Ces dispositions, qui étaient élémentaires dans la construction des places au moyen âge, étaient déjà pratiquées longtemps avant les Romains.


(1) De Soultrait, Statistique monumentale de la Nièvre.

Le Magasin pittoresque, avril 1866.

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