Le meuble- Fourdinois.
Ce meuble ne brille pas par la richesse de sa matière; il est en bois de noyer; c'est par l'art qu'il resplendit. Dès les premiers jours de l'Exposition, il est devenu célèbre; il n'est pas un étranger qui ne le connaisse, et c'est par le nom du fabricant qu'on le désigne.
Il serait, du reste, difficile de lui donner un nom en rapport avec son emploi; ses dimensions inusitées, son manque de profondeur, en font plutôt un fond de boiserie de grande salle d'apparat qu'un buffet. Il se compose de deux corps superposés; celui du bas, très-saillant, et devant servir de console, est formé d'un socle d'un goût sévère, sur lequel quatre chiens enchaînés reposent assis; ils supportent avec leurs têtes la partie destinée à recevoir les vases de fleurs ou de fruits, les plateaux de rafraîchissements.
A chaque extrémité, un chien de profil termine la console en coin fuyant, avec saillie en retour. Quatre grandes figures, représentant l'Europe, l'Asie, l'Afrique et l'Amérique, gracieuses, souples, d'un beau mouvement, ressortent au centre de l'édifice qui, d'une hauteur égale à sa largeur, pyramide heureusement, gravement, sans lourdeur.
Elles sont séparées de la tablette d'appui par un piédestal saillant au-dessous de chacune d'elles, et reliant une corniche formant ceinture. Au milieu, sous le fronton, une fausse niche sert d'encadrement à une représentation de fleurs et de fruits qui, dans la pensée de l'auteur, devrait être exécuté en tapisserie; au-dessous, un très-beau bas-relief d'animaux morts se développe largement; de chaque côté un médaillon circulaire renferme un trophée d'épis et de faucilles, de pampres, de raisins et de serpettes. La partie en retraite faisant fond se profile très-heureusement par une figure en cariatide d'un mouvement agréable et pleine de caractère.
Au milieu du fronton, et le dominant, est une figure de l'Abondance répandant des fruits; à droite et à gauche est un groupe d'enfants vendangeurs nus au milieu des ceps, d'enfants moissonneurs au milieu des blés.
On a négligé aucune des ressources de l'exécution moderne pour donner à tous les détails de l'oeuvre une perfection digne de l'ensemble de la composition. Çà et là de légères teintes brunes ou rougeâtres, de délicates chevilles plus blanches que le reste, unissent le charme de la couleur à la puissance du relief et du modelé. La figure de l'Afrique offre sous ce rapport l'exemple d'une innovation heureuse: les chairs brunies, les pendants d'oreille, les colliers et les bracelets délicatement teintées de vermillon, la robe partagée en zones transversales plus pâles ou plus brunes, rappellent habilement la carnation bronzée que donne le soleil de l'équateur, ainsi que les parures et les étoffes de couleurs tranchées tant aimées des peuples d'Orient. Partout, dans les autres figures, dans les animaux, les accessoires, les fruits, cette même idée d'art a jeté de doux reflets.
Les détails de pure ornementation sont de ce style qui, sans être l'expression exclusive de notre époque, est pourtant le seul qu'elle puisse revendiquer comme sien. C'est, si l'on peut parler ainsi, de la "renaissance contemporaine", c'est à dire le style du seizième siècle modifié avec goût et avec talent, et continuant librement la tradition nationale dans la large voie tracée tout ensemble par les immortels génies des belles époques anciennes et modernes.
Si le meuble-fourdinois pouvait donner lieu à quelque critique, ce serait seulement en ce qui se rapporte à divers moyens d'exécution. Peut-être, dans l'ébénisterie comme dans l’orfèvrerie, le désir d'arriver à un résultat satisfaisant dans toutes les parties, et la division du travail confié à chaque spécialité luttant de perfection dans le fini, sont-ils cause que les œuvres modernes manquent parfois d'individualité, de caractère, de franchise, de verve et d'un peu de laisser-aller artistique. On ne procède plus comme les ouvriers en bois du quinzième et du seizième siècle, qui, avec une largeur de conception et une verve d'inspiration dignes du sculpteur modelant la glaise à grands coups d'ébauchoir, d'ongle ou de pouce, tiraient du même panneau de chêne les pilastres, les moulures d'encadrement et les caprices qui les enrichissaient. Aujourd'hui l'on bâtit l'ensemble du meuble, c'est à dire ce qui est corniche, pilastre, ligne droite, tout ce qui peut se faire à l'outil de précision, et seulement avec de la patience et du temps; lorsque toute cette charpente est bien ajustée, que tous les encadrements enferment exactement les panneaux entrants, on y applique à grand renfort de colle forte et de chevilles les sculptures faites à part, bien lissées, bien grattées, bien passées au papier de verre, afin de les nettoyer de toute marque de facture, et pour ainsi dire de toute trace d'originalité; il en résulte une exécution plus froide, trop nette peut-être et trop luisante, quelque chose qui, par son infaillible régularité, son inaltérable précision, sent le procédé expéditif ou à meilleur marché, et quelquefois fait penser involontairement aux appliques du carton-pierre.
On aimerait mieux retrouver, comme dans les beaux meubles de la renaissance, au quinzième siècle, une facture moins égale, moins uniforme, mais plus animée, caractérisant mieux la verve de l'artiste, et révélant le contact immédiat qu'il y a entre la pensée créatrice et l'exécution. Ces observations générales ne se rapportent point, du reste, aux grandes figures et aux grands bas-reliefs du meuble-fourdinois; et encore que l'on puisse reprocher aux lignes du fronton un peu de lourdeur, on doit reconnaître que ce meuble est véritablement une belle oeuvre, et savoir gré au fabricant de n'avoir pas reculé devant les avances considérables qu'a nécessitées ce travail d'art.
La composition est due à M. Hugues Protat, qui a exécuté tous les modèles, dirigé l'exécution en bois et retouché les principales parties. M. Protat est un jeune sculpteur qui s'était déjà fait apprécier du public français aux dernières expositions. Il a été chargé de restaurations importantes au Louvre, et il est l'auteur de l'une des statues de la façade de l'hôtel de ville de Paris.
Le beau groupe d'animaux morts a été exécuté par MM. Alexandre Guillonnet et Meaublanc. Les ornements et les trophées sont de MM. Jeancourt, Mettoyer, Tallon et Chevreau.
Le Magasin pittoresque, octobre 1851.
Les détails de pure ornementation sont de ce style qui, sans être l'expression exclusive de notre époque, est pourtant le seul qu'elle puisse revendiquer comme sien. C'est, si l'on peut parler ainsi, de la "renaissance contemporaine", c'est à dire le style du seizième siècle modifié avec goût et avec talent, et continuant librement la tradition nationale dans la large voie tracée tout ensemble par les immortels génies des belles époques anciennes et modernes.
Si le meuble-fourdinois pouvait donner lieu à quelque critique, ce serait seulement en ce qui se rapporte à divers moyens d'exécution. Peut-être, dans l'ébénisterie comme dans l’orfèvrerie, le désir d'arriver à un résultat satisfaisant dans toutes les parties, et la division du travail confié à chaque spécialité luttant de perfection dans le fini, sont-ils cause que les œuvres modernes manquent parfois d'individualité, de caractère, de franchise, de verve et d'un peu de laisser-aller artistique. On ne procède plus comme les ouvriers en bois du quinzième et du seizième siècle, qui, avec une largeur de conception et une verve d'inspiration dignes du sculpteur modelant la glaise à grands coups d'ébauchoir, d'ongle ou de pouce, tiraient du même panneau de chêne les pilastres, les moulures d'encadrement et les caprices qui les enrichissaient. Aujourd'hui l'on bâtit l'ensemble du meuble, c'est à dire ce qui est corniche, pilastre, ligne droite, tout ce qui peut se faire à l'outil de précision, et seulement avec de la patience et du temps; lorsque toute cette charpente est bien ajustée, que tous les encadrements enferment exactement les panneaux entrants, on y applique à grand renfort de colle forte et de chevilles les sculptures faites à part, bien lissées, bien grattées, bien passées au papier de verre, afin de les nettoyer de toute marque de facture, et pour ainsi dire de toute trace d'originalité; il en résulte une exécution plus froide, trop nette peut-être et trop luisante, quelque chose qui, par son infaillible régularité, son inaltérable précision, sent le procédé expéditif ou à meilleur marché, et quelquefois fait penser involontairement aux appliques du carton-pierre.
On aimerait mieux retrouver, comme dans les beaux meubles de la renaissance, au quinzième siècle, une facture moins égale, moins uniforme, mais plus animée, caractérisant mieux la verve de l'artiste, et révélant le contact immédiat qu'il y a entre la pensée créatrice et l'exécution. Ces observations générales ne se rapportent point, du reste, aux grandes figures et aux grands bas-reliefs du meuble-fourdinois; et encore que l'on puisse reprocher aux lignes du fronton un peu de lourdeur, on doit reconnaître que ce meuble est véritablement une belle oeuvre, et savoir gré au fabricant de n'avoir pas reculé devant les avances considérables qu'a nécessitées ce travail d'art.
La composition est due à M. Hugues Protat, qui a exécuté tous les modèles, dirigé l'exécution en bois et retouché les principales parties. M. Protat est un jeune sculpteur qui s'était déjà fait apprécier du public français aux dernières expositions. Il a été chargé de restaurations importantes au Louvre, et il est l'auteur de l'une des statues de la façade de l'hôtel de ville de Paris.
Le beau groupe d'animaux morts a été exécuté par MM. Alexandre Guillonnet et Meaublanc. Les ornements et les trophées sont de MM. Jeancourt, Mettoyer, Tallon et Chevreau.
Le Magasin pittoresque, octobre 1851.
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