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samedi 12 mars 2016

Le cimetière du père La Chaise.

Le cimetière du père La Chaise.


Au moyen âge,, les notions d'ordre et de prévoyance en matière de police et d'administration publique étaient inconnues ou excessivement grossières; et les cimetières, placés pour la plupart à l'intérieur des villes, auprès des églises, au lieu d'être un asile respecté, étaient chaque jour le théâtre de désordres et de profanation scandaleuses. Nulle mesure, nulle précaution n'étaient prises pour prévenir les funestes effets que devaient produire les émanations pestilentielles de tant de corps en putréfaction, agglomérés par suite des temps dans un étroit espace. Ces dépôts repoussants, ces dégoûtants charniers, situés fort souvent dans des quartiers populeux et déjà malsains, finirent par former d'insupportables foyers de maladies de toute espèce...
La révolution française vint mettre un terme à cet ordre de choses aussi contraire à la salubrité publique qu'à la vénération que l'on doit aux morts. En 1790, l'Assemblée nationale ordonna qu'à l'avenir on cesserait d'enterrer les morts dans les églises, et que des cimetières seraient disposés hors des villes pour les recevoir. C'est par suite de cette décision que le cimetière du père La Chaise fut ouvert le 21 mai 1804.
Ce terrain, situé sur une hauteur d'où l'on découvre Paris dans presque toute son étendue, a changé bien des fois de nom, de propriétaire et de destination. Une partie du sol que renferme aujourd'hui le cimetière porta  d'abord le nom de Champ-l’Évêque. A une époque plus rapprochée de nous, un riche épicier nommé Regnaud y fit construire une maison de plaisance qu'on appela  la Folie Regnaud. Les jésuites en devinrent ensuite possesseurs. On rapporte qu'en 1652, Louis XIV, encore jeune, fut témoin, du haut de cette colline, de la célèbre bataille livrée dans le faubourg Saint-Antoine, entre le prince de Condé et le maréchal de Turenne. C'est à cette occasion qu'elle reçut, dit-on, la désignation de Mont-Louis, sous laquelle elle fut long-temps connue. Plus tard, en 1675, le roi en fit don au Père de La Chaise, son confesseur, jésuite fameux qui lui laissa le nom qu'elle conserve encore aujourd'hui. Ce prêtre y fit construire une somptueuse villa entourée d'un jardin des plus élégants. Ce lieu de délices, qui, deux siècles plus tard, devait être un cimetière, était alors une sorte de petite cour où les plus hauts personnages allaient visiter celui qui dirigeait la conscience du roi. 
Après la mort du confesseur, la propriété rentra dans les mains des jésuites. Puis, lorsqu'en 1763, cette société fut dissoute et que ses biens furent vendus pour payer ses nombreux créanciers, elle échut à un particulier. Enfin, en 1804, le Conseil municipal du département de la Seine en fit l'acquisition pour l'affecter à la destination qu'elle remplit de nos jours. Les jardins furent donc convertis en cimetière, et la maison de plaisance fut remplacée, en 1820, par une chapelle.




Depuis cette époque, le cimetière du père La Chaise, ou cimetière de l'Est, a déjà reçu un grand nombre de sépultures. Soit que la vogue, cette frivole passion qui nous sert de mobile même dans les déterminations les plus graves et les plus sérieuses, montre encore ici sa puissance; soit vanité secrète qui fait ambitionner de partager la couche où reposent tant de personnes illustres; soit enfin à cause de la majesté naturelle de cette colline, d'où l'on peut comparer et parcourir successivement des regards la ville des morts et celle des vivants, et qui semble vous disposer elle-même à de douloureuses méditations, on a remarqué que le cimetière du père La Chaise est l'objet d'une préférence sensible de la part des Parisiens. Aussi, pour éviter les inconvénients d'un encombrement inévitable, l'administration se montre-t-elle de plus en plus sévère pour le maintien de la répartition établie pour les inhumations entre les différents cimetières de la capitale.
Ce cimetière renferme, comme nous l'avons dit, les cendres d'une foule de personnages éminents, qui reposent maintenant sous des monuments plus ou moins somptueux. Nous citerons, parmi les hommes politiques, Camille Périer, le duc Decrès, Tallien, Camille Jordan, Manuel, Benjamin Constant, le général Foy; les généraux Masséna, Lefèvre, Serrurier, Kellermann; le maréchal Ney, le colonel Labédoyère; parmi les philosophes, Saint-Simon, Volney; parmi les savants, artistes et hommes célèbres, Monge, Fourcroy, Louis David, Grétry, Méhul, mesdames Raucourt, Duchesnois, Barilli, Cottin; Dellile, Parny, Joseph Chénier, Elisa Mercoeur; le poëte Manoel Nascimento, Portugais, mort indigent sur la terre étrangère; l'abbé Sicard; Chappe, inventeur des télégraphes. On y remarque aussi les sépultures de La Fontaine et de Molière, exhumées dans le commencement de ce siècle, et enfin le gracieux tombeau gothique qui contient les restes d'Héloïse et d'Abelard. Ce monument a été conservé aux arts et à la postérité par M. Alexandre Lenoir, et placé par ses soins dans le cimetière du père La Chaise.

Le Magasin pittoresque, août 1838.

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