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mardi 1 mars 2016

Méprise.

Méprise.

Un paysan, ne voulant pas aller voir le seigneur de son village sans lui porter quelque présent, fit rechercher les plus beaux fruits qui se purent trouver dans tout le lieu de la paroisse pour les lui offrir.
Or il faut remarquer que ce seigneur était nouvellement arrivé de la cour, pour prendre possession du village, et par conséquent inconnu de ses sujets. Ce paysan prit l'occasion un dimanche matin de lui porter une pannerée de poires, et le prier par la même moyen de tenir un de ses enfants sur les fonds du baptême.
Le paysan étant entré dans la cour ne feignit point de monter pour aller à la chambre: comme il fut au milieu de l'escalier, il rencontra deux singes habillés de petites jaquettes de velours vert, avec chacun une toque sur la tête, caparaçonnés de diverses plumes, qui se jetèrent incontinent sur le panier de poires, et en prirent une bonne partie. Le pauvre paysan n'avait jamais vu de tels visages, crut que c'était les enfants du seigneur; aussitôt il ôta son chapeau, et leur dit, avec beaucoup de respect: "Messeigneurs, je suis marri qu'elles ne soient plus belles."
Cependant les singes, ennemi du langage, firent plusieurs grimaces, et enfilèrent la venelle. Le paysan ayant vu que ces jeunes seigneurs lui avaient fait si mauvaise mine, et ne lui avait rien dit, jugea que ce présent était trop peu de chose pour un grand seigneur, néanmoins il se délibéra de poursuivre son dessein, il entra donc dans la chambre où monsieur achevait de s'habiller et fit une profonde révérence, disant:
"Monseigneur, j'ai voulu prendre l'effronterie de vous apporter ce panier de poires."
Lors le seigneur le prit et lui dit:
"Mon bon ami, je te remercie, mais tu devais l'apporter tout plein."
Incontinent le paysan répartit:
"Monseigneur, aussi avais-je fait, messieurs vos fils en ont pris une partie."
Lors le seigneur lui dit:
"Je n'ai point d'enfants, mon grand ami."
Aussitôt le seigneur s'éclata  de rire, et jugea qu'il avait pris ses singes pour ses enfants (1)

(1) On trouve à peu près la même histoire dans le Francion de Sorel.

                                                                                                                  ( Facétieux réveille-matin.)

Dictionnaire encyclopédique d'anecdotes, Edmond Guérard, librairie Firmin-Didot, 1876.

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