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vendredi 11 mars 2016

Les tablettes de Pierre Mathieu.

Les tablettes de Pierre Mathieu.

Lisez-moi comme il faut, au lieu de ces sornettes,
Les quatrains de Pybrac, ou les doctes tablettes
 Du conseiller Mathieu. L'ouvrage est de valeur,
Et plein de beaux dictons à réciter par cœur.

                                                 Molière.

Les Tablettes de Mathieu ont rarement été citées ailleurs que dans ces vers du premier de nos poëtes comiques. Il s'en faut cependant de beaucoup qu'elle méritent l'oubli où elles sont tombées, et même nous oserions presque les préférer aux quatrains de Pybrac qui sont restés plus célèbres.
Le véritable titre du recueil de Mathieu est: Quatrains de la vanité du monde, ou Tablettes de la vie et de la mort. Il se compose de 274 quatrains, divisés en trois centuries. Long-temps ils ont servi à la première instruction de l'enfance. On les a traduit dans la plupart des langues de l'Europe. Nous en citerons quelques-uns, où l'on pourra remarquer certains vers d'une vigueur peu commune. Les fautes de versification que l'on rencontre en plus d'un endroit ne doivent pas être jugées d'après la rigueur des temps de Louis XIV. Les meilleurs poëtes contemporains de Mathieu n'étaient pas plus sévères que lui.

La mort enfante la vie.

D'un éternel repos la fatigue est suivie;
Ta servitude aura une ample liberté:
Où se couche la Mort, là se lève la Vie;
Et où le Temps n'est plus, là est l’Éternité.

Ces deux derniers vers sont assurément très beaux. Il est très fâcheux qu'on ne puisse, sans détruire la concision, corriger les hiatus qui blessent aujourd'hui les oreilles les moins familiarisées avec la langue poétique.

La Mort est comme un Tisserand.

La Vie est une toile; aux uns elle est d'étoupe,
Aux autres de fin lin, et dure plus ou moins.
La Mort, quand il lui plaît, sur le métier la coupe;
Et l'Heur et le Malheur comme les fils sont joints.

La Vie est une tragi-comédie.

La Vie que tu vois n'est qu'une comédie
Où l'un fait le César, l'autre l'Arlequin:
Mais la Mort la finit toujours en tragédie,
Et ne distingue point l'empereur du faquin.

Avant Corneille, la distinction de la tragédie et de la comédie n'était pas encore définitivement établie. Dans des pièces où les plus illustres héros du paganisme ou du christianisme jouent un rôle, on voit des personnages ridicules empruntés aux farces italiennes venir suspendre l'intérêt et égayer le public par leurs lazzis. Dans la tragédie de Samson, par Romagnesi, jouée après les perfectionnements de notre scène, en 1717, Arlequin est valet de Samson. Il se bat contre un coq d'Inde tandis que son maître enlève  les portes de Gaza.

La Navigation de la vie.

Le monde est une mer; la galère est la vie; 
Le Temps est le nocher; l'espérance le nort,
La Fortune, le vent; les orages, l'Envie; 
Et l'homme, le forçat qui n'a port que la mort.

Le nort pour le nord, le point que l'aiguille aimantée indique.

Le Monde comparé au Parlement.

Volontiers je compare au parlement le monde,
Où souvent l'équité succombe sous le tort,
Où son pied de mouche un incident on fonde,
Et où l'on ne peut rien contre un arrêt de mort.

Portrait de la Chicane.

La Chicane aujourd'hui met le peuple en chemise;
La ruse est son bouclier; son idole, l'argent:
Le taon perce la toile, et la mouche y est prise;
Le coupable on absout, pour punir l'innocent.

Bouclier doit être ici prononcé en deux syllabes, ce qui sans doute était plus facile à nos pères qu'à nous. La moralité de ce quatrain a bien vieilli, grâce à la supériorité actuelle de la législation.

Portrait de la fausse Amitié.

L'Amitié aujourd'hui au son du gain s'éveille.
Comme l'on voit aller au froment les fourmis,
Les vautours à la proie, aux fleurettes l'abeille, 
On voit vite courir au profit les amis.

Juger l'Homme par lui-même.

Par les honneurs que l'or ou la fortune donne, 
Ni par les dignités qui vont de main en main,
Il ne faut estimer le prix d'une personne:
Au plus haut d'une tour le nain est toujours nain.

Il faudra répéter encore long-temps cette vérité avant qu'elle devienne inutile. Autrefois on estimait les hommes surtout d'après leur généalogie et leurs titres, aujourd'hui c'est surtout d'après leurs richesses. Il y a plus d'égoïsme que de faux jugement dans cette coutume vicieuse: on témoigne de l'estime aux gens en proportion de l'utilité qu'on espère pouvoir tirer d'eux. Le préjugé n'est plus que sur les lèvres, il ne va pas au fond du cœur.

Comparaison de la Vie à un cabaret.

Ainsi qu'au cabaret l'homme demeure au monde. 
Le plaisir et le vin se laisse avaler. 
Le temps y dure peu, tant que la joie abonde;
Et puis il faut compter, payer et s'en aller.

Les cabarets étaient fréquentés par les nobles et les poëtes du temps de Mathieu; c'est dans le dernier siècle seulement que la mode des cafés a enlevé aux marchands de vin la pratique des hommes d'une éducation cultivée.
Pierre Mathieu ou Matthieu était né, en 1563, à Pesme, en franche-Comté. Avant d'être entièrement sorti de l'enfance, il avait fait des études très fortes en hébreu, en grec et en latin. Il fut d'abord principal du collège de Vercel; puis il embrassa la profession d'avocat. Ses poésies et son éloquence le rendirent bientôt célèbre. Après avoir embrassé quelque temps le parti des Guise, il se soumit à l'autorité royale, et il devint tour à tour l'historiographe de Henri IV et de Louis XIII. Outre ses Mémoires historiques et ses Quatrains, Mathieu a composé plusieurs tragédies, entre autre "la Guisiade", tragédie nouvelle, en laquelle, au "vrai et sans passion, est représenté le massacre du duc de Guise". Lyon, 1589; in-8°

Le Magasin pittoresque, juillet 1838.

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