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jeudi 10 mars 2016

La coupe de Ptolémée.

La coupe de Ptolémée.


Le vase nommé coupe de Ptolémée, vase de Mithridate, vase de Saint-Denis, est un canthare (nom donné à une forme particulière des coupes à deux anses) fait entièrement d'un seul morceau de sardonyx orientale (pierre de la même pâte que l'agate, mais composée de plusieurs couches).
C'est certainement le plus remarquable monument de ce genre qui soit parvenu jusqu'à nous. La beauté de la matière, la rareté d'aussi admirables morceaux d'agate orientale, l'intérêt des sujets qui sont sculptés autour, recommandent à l'attention ce vase comme l'un des plus précieux ornements du Cabinet des médailles de la Bibliothèque royale, où il est conservé aujourd'hui.
Ce vase fut donné à l'abbaye de Saint-Denis par Charles III, dit le Simple, du moins c'est ce qu'apprenait l'inscription du pied qu'on y avait adapté pour lui donner la forme d'un calice. Ce pied, en or, était chargé de grosses perles, de saphirs, d'émeraudes et de rubis, disposés selon le style de l'époque carlovingienne. L'inscription suivante était gravée profondément sur l'or; chaque lettre était remplie d'émail, de couleur d'acier bruni:

HOC VAS CHRISTIE TIBI MENTE DICAVIT
TERTIVE IN FRANCOS REGMINE KARLVS

O christ, Karl, troisième de ce nom sur le trône de France, t'a consacré ce vase.

Bien que Charles-le Chauve et Charles-le-Gros soient quelquefois appelés Charles III, il est plus probable que c'est Charles-le-Simple, troisième roi de France de ce nom, qui fit ce présent à l'abbaye de Saint-Denis. Ce vase resta dans le riche trésor de l'abbaye de Saint-Denis jusqu'à la révolution.
Comme l'indique l'inscription, on ne lui croyait pas une origine profane; aussi avait-on donné une destination solennelle. Les reines de France y buvaient l'ablution, après la communion, lors de leur couronnement, cérémonie qui se faisait toujours dans l'église de l'abbaye royale de Saint-Denis.
En 1790, il fut déposé au Cabinet des médailles. Le 16 février 1804, il fut volé ainsi que d'autres objets précieux, tels que le grand camée de la Sainte-Chapelle, le calice de l'abbé Suger, etc. Les voleurs ayant été arrêtés en Hollande, le grand camée et la coupe de Ptolémée furent restitués au Cabinet des médailles; mais la monture du camée et le pied du vase avaient disparu. On peut cependant se faire une idée de ce pied en consultant les anciens ouvrages où il a été reproduit avant sa destruction. Dom Félibien dans son Histoire de l'abbaye de Saint-Denis, dom Montfaucon dans son Antiquité expliquée, enfin Jean Tristan, écuyer, sieur de Saint-Amant et du Puy-d'Amour, dans ses Commentaires historiques, donnent la figure du vase de la grandeur réelle. Ce dernier consacre quarante-cinq pages in-folio  à la description et à l'explication de cette rareté.
Les sujets en relief qui ornent les deux faces du canthare sont empruntés au culte de Bacchus; c'est pour cela qu'il fut attribué anciennement à Ptolémée, surnommé Dionysios (en grec Bacchus); quant à son nom de vase de Mithridate, il le doit à la célébrité qu'avait chez les anciens la superbe collection de vases précieux et de camées de ce roi, collection que le grand Pompée consacra dans le Capitole.




Sur la face dont nous donnons le dessin, on remarque au milieu un trapézophore (sorte de crédences, de buffets, à quatre pieds, sur lesquels les anciens plaçaient des vases). On ne voit que deux des pieds; ils sont formés par des sphinx; sur le trapézophore sont placés deux pyrix, boîtes à couvercles, dont l'une est ornée d'une guirlande de fleur; puis deux canthares de la forme même que nous décrivons; l'un d'eux est renversé; un autre vase, et un vase de forme haute, appelé par les Romains prœfericulum, et enfin, une statuette ou gaîne. 
A droite, au pied du trapézophore, une grande ciste entr'ouverte d'où sort le serpent bachique. La ciste d'où sort un serpent est une allégorie des mystères de Bacchus et de Cérès, fort répandue dans l'antiquité. On la trouve sur un grand nombre de monuments. Une sorte particulière de monnaies des villes de Pergame, de Sardes, d'Ephèse, etc, a reçu le nom de monnaies cistophores, à cause de cette allégorie qu'elles portent au revers. Près de la ciste est une panthère, animal consacré à Bacchus, qui boit le vin resté au fond d'une coupe renversée. Les anciens prétendaient que cet animal aimait passionnément cette liqueur, et que les chasseurs, pour les prendre, plaçaient à leur portée un vase rempli de vin, dont elles ne manquaient pas de venir s'enivrer. Bacchus, qui avait été nourri par des panthères, n'excitait pas celles qui traînaient son char au moyen du fouet; il leur versait du vin sur le corps. A gauche est un chevreau accroupi; au milieu, sur le sol, un vase qui à la forme d'une tête humaine, fermé par un couvercle; à gauche, au fond, deux masques sur une gaîne; sur le sol, près de la gaîne, une tête de Pan, reconnaissable à ses cornes, et une tête laurée, qui peut être un bacchant, ou Baccus lui-même; c'est peut être aussi un vase à forme humaine. 
Le trapézophore est abrité par un grand voile attaché à deux arbres placés à chaque extrémité, et autours desquels s'enlacent une vigne et une plante dont la fleur est campanulée. Sur les branches de ces arbres sont des oiseaux et des masques expiatoires, appelés par les anciens oscilla, à cause du mouvement d'oscillation que le vent leur donnait. A l'arbre de gauche sont suspendus de plus une syrinx (flûte de Pan) et un sac.
L'autre face a une telle analogie avec celle que nous donnons, qu'il suffira de la décrire pour donner une idée complète de ce beau monument. Des arbres servent, comme de l'autre côté, à soutenir le voile au-dessus d'un trapézophore, dont on voit trois pieds; ces pieds sont cannelés et terminés par des griffes. Dessous sont placés une figure laurée, vêtue d'une longue robe, et tenant deux flambeaux, sans doute un prêtre de Bacchus, et cinq vases, dont l'un est un rhyton qui représente un centaure marin. Sur une tablette adaptée sur la principale table du trapézophore sont placés deux vases sans anses, dont l'un est entre deux griffons. Une guirlande de fleurs descend de l'arbre sur le trapézophore; auprès est un masque de Silène; à côté, un vase en forme de masque, avec un couvercle. A l'arbre de gauche est suspendu un masque (oscilla). A l'arbre de droite, contre lequel se dresse un chevreau, sont suspendus un tympanum (tambour presque semblable à ceux appelés tambours basques), des tintinnabula  (clochettes) et un masque de Pan. Sur le sol, un sac noué à un pedum, bâton pastoral d'une forme comparable à celle de la crosse de nos évêques. Au voile sont suspendus deux oscilla
On trouve un sujet très analogue à ceux de ce vase sur un vase d'argent du Cabinet des médailles, provenant de la belle découverte faite à Berthouville.
Ce travail précieux paraît avoir été exécuté dans l'Orient pendant le siècle d'Auguste. Sa perfection est d'autant plus remarquable que la dureté de la matière a dû le rendre fort long et fort difficile. D'après une tradition que nous ne pouvons garantir, il aurait été mis en gage chez les Juifs de Metz, par Henri III, pour la somme d'un million.

Le Magasin pittoresque, avril 1838.


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