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jeudi 17 mars 2016

Un ranch français au Dakota.

Un ranch français au Dakota.
           Les chevaux percherons.


Une des meilleures, parmi les races de chevaux de traits français est, sans contredit, la race percheronne; tout le monde connait ces superbes bêtes à la croupe énorme, au poitrail large, à la poitrine profonde, à l'encolure dénotant la force et la vigueur; c'est parmi elles que les compagnies d'omnibus et de chemin de fer français recrutent leur cavalerie, et, dans le Perche, de nombreux et riches fermiers se livrent à l'élevage des chevaux. Mais ce que l'on sait moins, c'est que depuis quelques années, on exporte en Amérique un nombre considérable d'étalons percherons et que, au moyen de croisement avec des races locales, on obtient d'excellents produits, et surtout des trotteurs merveilleux.
M. le baron de Mandat Grancey, vient de publier, sous le titre la Brèche aux buffles (1) un livre fort intéressant où il traite longuement ce sujet, avec d'autant plus de compétence, qu'il est le directeur d'un ranch dans le Dakota, aux Etats-Unis. C'est à son livre que nous empruntons les passages qui vont suivre.
"La vogue de nos percherons en Amérique, va toujours croissant. C'est dans le bassin du Mississipi qu'ils ont été introduits d'abord, et le croisement avec les races du pays a donné de tels résultats que les compagnies d'omnibus et de tramways de cette région ont adopté ce genre de chevaux à l'exclusion de tous les autres. Celles de New-York et des autres grandes villes de l'est, commencent même à venir recruter leur cavalerie dans l'Iowa et l'Illinois, malgré les quinze cents ou deux mille kilomètres qui séparent ces deux pays, uniquement pour avoir des demi-sangs percherons.
"Jusqu'à une époque toute récente, l'élevage de ces chevaux s'est faite dans les mêmes conditions que chez nous. Chaque fermier avait un nombre plus ou moins grand de juments poulinières qui prenaient part à tous les travaux de la ferme. Mais, depuis quelques années, on s'est avisé d'appliquer à l'élevage des chevaux, les principes qui avaient si bien réussi pour la production du bétail. On a reconnu qu'il était infiniment plus économique, au lieu de procéder comme par le passé, d'élever des chevaux à l'état à peu près sauvage, dans les grandes plaines désertes de l'Ouest où leur nourriture ne coûte rien sauf à les amener, par les chemins de fer, sur les marchés de l'Est, quand ils sont d'âge de travailler. 



On aurait pu craindre que les chevaux percherons ne puissent pas résister comme les chevaux du pays, à des froids de -30° à -35° sans jamais rentrer à l'écurie et sans jamais recevoir d'autre nourriture que l'herbe gelée (bufallo grass) qu'ils trouvent en grattant la neige: ils se sont tirés à leur honneur de cette épreuve, et ce fait est maintenant si bien établi que, de tous côtés, il s'établit des ranchs où l'on n'élève plus que des chevaux de race percheronne."
En ce qui concerne les trotteurs dont nous parlons plus haut, l'expérience est plus récente encore, et les résultats sont excellents.
Les Américains, grands amateurs de courses, témoignent une sorte de dédain pour les course au galop et ne s'intéressent qu'aux courses de trot:
"Rien d'étrange comme l'aspect de ces courses. Le parcours est toujours d'un mille juste. Le juge se tient dans une tribune de douze ou quinze pieds élevée au-dessus de la piste. Devant lui, un gros fil de fer étendu horizontalement, à peu près à la même hauteur au travers de la piste. Sur une tablette sont rangés des montres à secondes d'une construction particulière dont la trotteuse se dédouble à volonté, une partie demeurant fixe, et l'autre continuant sa course. Chaque concurrent part à peu près et comme bon lui semble. Au moment où le juge voit passer chaque jockey sous le fil de fer, il pousse le ressort de l'une des montres, et quand le cheval repasse, 2 minutes à peu près plus tard, on voit, d'un simple coup d’œil, le temps qu'il a mis à faire le parcours. Les chevaux ne sont jamais montés; ils sont attelés à ces voitures minuscules munies de roues énormes que tout le monde connaît. On les appelle ici des sulkys. L'homme, assis sur un tout petit siège, est si près de la croupe du cheval qu'il est obligé d'allonger ses deux jambes le long des brancards..."
Voyons maintenant les résultats obtenus comme vitesse:
..."Le parcours est toujours d'un mille (1.650 m.), je l'ai dit déjà. Le record d'un cheval, c'est le temps qu'il met pour faire le mille. Il y a cinquante ans, très peu de chevaux avaient un record de 3 minutes. Maintenant, un animal qui n'aurait pas au moins cette vitesse ne serait pas considéré comme méritant le titre de trotteur.
"Il a été constaté qu'à la fin de la campagne 1886-1887, il y avait aux Etats-Unis, 2847 chevaux ayant un record égal ou inférieur à 2 minutes  30 secondes; 200 en 2 minutes 20 secondes.
... On a fait encore mieux: l'année dernière, j'ai vu à Chicago, Olivier K... gagner avec un record de 2 minutes 17 secondes. A New-York, au début de la campagne 1887, plusieurs chevaux ont atteint le record de 2 minutes... C'est à se demander où l'on s'arrêtera."




M. de Mandat-Grancey nous décrit, plus loin,  l'opération de la marque, imposée à chaque animal lors de son arrivée au ranch, car cette marque constitue pour le ranchman un titre de propriété; elle se compose généralement d'initiales.
Mais, disons tout d'abord que les hommes chargés de veiller sur les animaux se nomment des cowboys, qu'il s'agisse de gardiens de chevaux ou de bestiaux.
... "On commence par les poulains. Il faut d'abord les séparer de leurs mères ce qui n'est pas commode. Enfin ils sont tous dans le corral. on ouvre la porte qui le fait communiquer avec celui où doit se faire la marque. Il a à peu près la forme et la grandeur de la piste d'un cirque. Au milieu se tient un des boys, à cheval, debout sur ses étriers; il fait tourner autour de sa tête le lasso en cuir tressé, dont l'extrémité est fixée au pommeau de sa selle. C'est une jolie petite pouliche noire qui est entrée la première en bondissant des quatre pieds comme un chevreuil. 



Aussitôt, la boucle du lasso est venue s'enrouler autour de son col. Elle saute en arrière, le nœud se serre, ses naseaux se gonflent, elle tombe comme une masse. On lui lie aussitôt les pieds, on lui applique le fer rouge sur l'épaule et on l'envoie rejoindre sa mère, qui, pendant l'opération, a deux ou trois fois essayé d'escalader les barrières pour venir le rejoindre..."
..." On a bien vite terminé la marque des poulains. On passe ensuite aux chevaux. Mais alors se présente une grande difficulté; d'ordinaire, quand on veut abattre un cheval, on le force à prendre le galop, puis on lui lance le lasso de telle sorte que la boucle arrive horizontalement et tout près de terre au moment où les deux pieds de devant sont en l'air. En retombant sur le sol, ils s'engagent dans le nœud, qu'on resserre brusquement; deux ou trois hommes s’attellent alors à la corde, l'animal fait des bonds énormes, interrompu quelquefois par une culbute, puis finit par tomber sur le flanc. Mais il est impossible d'opérer de la sorte avec des trotteurs qui n'ont jamais qu'une jambe en l'air à la fois.
"Heureusement, Raymond a dans ce moment un boy merveilleux; c'est un garçon d'une trentaine d'années nommé Harvey qui a la réputation d'être le meilleur roper (jeteur de lasso) du pays. C'est lui qui nous a tirés d'affaires. Il a été vraiment étonnant. On faisait enter chaque cheval qui, effrayé,  se mettait à trotter en rond autour du corral, cherchant une issue. Harvey, debout au centre ne le quittait pas de l’œil. Il suffisait que l'animal fit une simple foulée de galop pour qu'il fût pris. Plusieurs fois même, ne pouvant pas trouver une seule irrégularité dans leur trot, il eut recours à un autre moyen: il laçait un pied puis, sans faire force sur le lasso, il attendait. Au bout d'un instant, le cheval s'arrêtait. Alors, d'un coup sec du poignet, il faisait une boucle par terre, devant l'animal qui était pris du moment qu'il y mettait son second pied... Combien de malheureuses bêtes ainsi traitées ne se cassent-elles pas les jambes?... Voilà ce que je ne comprendrai jamais."
L'auteur termine par quelques considérations sur l'accroissement de l'importation en Amérique des chevaux percherons:
"... Un journal très intéressant, le Live stock journal estimait l'autre jour que la consommation annuelle des chevaux de trait aux Etats-Unis était d'environ seize cent mille chevaux. Il ajoutait que pour faire face à la production nécessaire il fallait environ 60.000 étalons... Je crois que ces chiffres sont beaucoup trop faibles; mais admettons qu'ils soient exacts: un étalon ne dure pas en moyenne plus de dix ans, il en faut donc au moins 6.000 chaque année. Le Perche en fournit 3.000, le Clydesdale doit en envoyer environ un millier, l'appoint serait composé de demi-sang. 
Nous pouvons donc, non seulement maintenir notre exportation, mais nous devons même l'augmenter d'année en année et cela dans une très notable mesure. Seulement il ne faudrait point que cette prospérité grisât nos éleveurs. Or, malheureusement, ils me paraissent se lancer dans une voie bien dangereuse en exagérant leurs prix d'une manière insensée. L'autre jour, au concours de Nogent-le-Rotrou, le même fermier a vendu trois poulains de 2 ans 62.000 francs; un autre s'est vanté à moi d'avoir acheté 4.000 francs un poulain à naître. L'émulation s'en mêlant, on en a acheté beaucoup dans les mêmes conditions: 3.000 et 3.500 francs. C'est de la folie... Qu'ils prennent garde que ces folies-là ne profitent à l'élevage anglais."

                                                                                                                        F. H.


(1) Un vol. in-12, illustré, prix: 4 fr. (Plon, Nourrit et Cie, éditeurs)

La Petite Revue, premier semestre 1889.

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