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dimanche 6 mars 2016

La Manécanterie des Petits Chanteurs à la Croix de bois.

La Manécanterie des Petits Chanteurs à la Croix de bois.



A sa dernière séance solennelle, l'Académie française a décerné un prix de mille francs à la "Manécanterie des Petits Chanteurs à la Croix de Bois". Nous ne saurions trouver de meilleurs occasions de faire connaître à nos lecteurs cette oeuvre, aussi utile que belle, et trop ignorée encore.
Vous assistez à un office, dans l'une de ces cathédrales qui, depuis des siècles, prient: "agenouillées dans leurs robes de pierre"; la majesté des invocations latines, que l'arc des voûtes accompagne dans leur essor vers le ciel, pénètre votre âme d'un recueillement profond. Et voici qu'une musique divine s'épand en larges ondes qui emplissent d'harmonie le vaisseau tout vivant: c'est le Sanctus de Vittoria,



ou cet Agnus de Palestrina,



qui résonna dans la Sixtine, devant Paul IV extasié, ou c'est quelque motet ancien, moins célèbre, mais aussi sublime. Vous cherchez d'abord d'où descend cette harmonie céleste, et vous voyez, dans une tribune, une troupe de moinillons, portant la longue aube blanche tombant sur les talons, serrée par un cordon à la ceinture, et l'amict rabattu sur les épaules; sur la poitrine est une petite croix de bois retenue par une cordelette. c'est la Manécanterie des Petits Chanteurs à la Croix de Bois, qui, cet âge ne doute de rien!, ressuscite tout simplement le chant grégorien et la polyphonie palestrinienne.
Car c'est bien d'une résurrection qu'il s'agit. Petit à petit, par suite de diverses causes dont la considération excéderait de beaucoup le cadre de cette modeste étude, l'envahissement de la musique moderne, la difficulté d'interprétation et l'aspect un peu barbare de la musique sacrée en sont les principales, les huit tons d'église de Grégoire le Grand étaient tombés dans un abandon aussi fâcheux pour l'art que pour la liturgie. Il appartenait à Pie X, par son Motu proprio du 21 novembre 1903, de proclamer que, pour l'oeuvre de saint Grégoire, l'ère de l'oubli était close.
Comment la parole pontificale fut entendue, c'est ce que nous apprend l'exécution merveilleuse, par la Manécanterie, du Christus vincit, l'admirable litanie grégorienne du VIIIe siècle,



ou du Factus est repente, le célèbre motet et palestrinien d'Aichinger.



Par quels moyens ces résultats sont obtenus, c'est toute une histoire que je veux vous conter, parce qu'elle est un magnifique exemple de ce que peuvent faire le dévouement et la foi, ligués pour une oeuvre utile et bonne.
Au commencement de 1907, deux jeunes gens, MM. Pierre Martin et Charles Simon, qui depuis quelques temps s'intéressaient aux enfants de la maîtrise de Saint-François-Xavier, leur paroisse, résolurent de chercher des enfants qu'ils pourraient former entièrement d'eux-mêmes. Légers d'argent, mais forts de courage et d'espérance, ils se mirent à l'oeuvre: la première leçon fut donnée à cinq garçonnets, rue Blomet, le 10 janvier 1907, à cinq heures du soir. Il y avait quarante deux francs en caisse, et l'immeuble tombait en ruines.
Qu'à cela ne tienne! Les deux jeune apôtres, ils méritent vraiment ce nom, s'improvisant peintre et couvreur, réparèrent l'édifice. Entre temps, ils recrutaient des élèves, ce qui tout d'abord ne laissa pas d'être assez difficile, et enseignaient les premiers enfants accourus à leur appel.
Tant et si bien que la Manécanterie put offrir, dès le 18 juillet, aux personnes qui s'étaient intéressées à ses débuts, l'audition de quelques motets dans la salle des fêtes de l'Institut catholique. En octobre suivant, elle se révéla comme maîtrise à Saint-Germain-l'Auxerrois, et depuis lors ne cessa de remplir régulièrement sa mission tout ensemble pieuse et artistique.
Quelques chiffres diront, plus éloquemment que je ne saurais le faire, la prospérité de l'oeuvre des Petits Chanteurs à la Croix de Bois. Ils ont donné récemment leur 530e office, et continuent à raison d'une moyenne de deux par semaine. Vingt-cinq membres actifs, dispensent tous les jours, de quatre à sept heures, l'enseignement à plus de 130 garçonnets de 8 à 14 ans, dont 80 déjà sont en état de tenir leur partie au lutrin. Et, le nid devenant trop petit, par trois fois, toute la couvée a dû émigrer. Elle est actuellement au 9 de la rue Lecourbe, dans un vieil hôtel point luxueux, mais suffisamment confortable au fond d'une cour tranquille qu'emplit aux heures de classe, la sonorité grave d'un harmonium aux religieux accords.
La Manécanterie ne serait qu'une maîtrise supérieure, il est vrai, sans originalité spéciale, si elle n'avait la curieuse particularité d'être essentiellement mobile. Pour l'art et la foi, du sud au nord, les Petits Chanteurs s'en vont partout où on les appelle, sans réclamer aucun salaire, demandant seulement, puisqu'ils sont pauvres, le remboursement de leurs frais de voyage et d'entretien. Ils ont chantés à Auxerre, Bourges, Caen, Chambery, Grenoble, Lisieux, Salins, Senlis, Trouville, Versailles, j'en oublie. Dans la cathédrale d'Amiens, en novembre 1909, leurs voix joyeuses ont fêté le triduum de Jeanne d'Arc; elle ont pleuré, à Sens, le requiem de la Croix-Rouge. Hors de France même, ils vont porter l'évangile grégorien: en temps pascal, la Manécanterie s'est fait entendre à Mons, Malines, Bruxelles et Anvers.
Mais s'il est une page glorieuse entre toutes dans les annales des Petits Chanteurs, c'est celle de leur participation au Congrès grégorien des Sables-d'Olonne, en juillet 1909. Pendant trois jours, cinquante-deux des leurs interprétèrent les plus beaux chants de la musique sacrée, et de telle façon qu'il en reste un impérissable souvenir au cœur de ceux qui ont eu la bonne fortune de les entendre. Jamais la Manécanterie ne remplit plus admirablement son noble programme, jamais elle ne se montra plus digne de la bénédiction pontificale, dont elle s'honore à si juste titre.
Il ne faudrait cependant pas croire que les Petits Chanteurs se sentent écrasés par la lourdeur de leur tâche; en leurs yeux brillent toujours la sereine gaîté de l'enfance, et quand sonne l'heure de la récréation, ils ont vite fait de secouer la gravité nécessaire à des interprètes de la musique sacrée. Du reste, les directeurs de l'Oeuvre n'épargnent rien pour les enfants, à qui, tous les ans, d'agréables vacances sont offertes. Deux années consécutives leur colonie joyeuse anima le superbe cloître gothique de l'abbaye de Noirlac; puis c'est à Solesmes que les moinillons sont allés prendre des leçons de chant auprès des oiseaux des bois.





J'aurais aimé vous entretenir plus longtemps de cette Manécanterie si intéressante à tous égards. Un mot seulement encore, pour finir.




Nous avons vu l'importance croissante de cette oeuvre, signalons que l'augmentation du nombre des professeurs n'est point en proportion. Certes les dévouements sont infatigables, mais parfois la tâche est bien lourde, et les organisateurs du "patronage harmonieux", comme dit excellemment M. C. Trogan, dans le Correspondant, seraient reconnaissants si quelques éducateurs de bonne volonté venaient grossir leurs rangs, trop faibles maintenant.





Il suffit, en France, d'indiquer une oeuvre intéressante pour que les bonnes volontés affluent: cette constatation, que l'expérience a vérifiée à maintes reprises, se montrera exacte une fois de plus. Et, soutenus par des protecteurs toujours plus nombreux, les Petits Chanteurs à la Croix de Bois, prenant un essor plus grand de jour en jour, continueront de chanter, pour notre édification admirative, comme devaient chanter les anges des vieux Primitifs.

                                                                                                                   Jean Mauclère.

Le Magasin pittoresque, 15 janvier 1913.

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