Le monsieur qui connaît la question d'Orient.
Il est généralement vieux, même quand il est jeune. Son front porte le poids de la grave question qui l'agite. L’œil a une tendance à se diriger vers l'Est. On sent que l'homme a été saisi un matin par l'inextricable problème et qu'il y patauge comme une mouche dans une toile d'araignée.
Dès l'heure fatale où le monsieur qui connait la question d'Orient s'est adonné à l'explication de la plus compliquée des charades, il n'a pas été bon à autre chose. Ne lui demandez rien qui soit étranger à la politique. Il ramène tout à sa chère question d'Orient. Il l'étudie sans cesse, il ne la comprend jamais.
Mais s'il ne la comprend pas, il l'explique. Son bonheur est d'être interrogé par un questionneur naïf, et quelle que soit la question posée, il vous montre le soleil levant et vous dit: " C'est là qu'est le point noir... la question d'Orient! monsieur, toujours la question d'Orient."
Il voit clair dans les agissements de la Russie, il connait le plan du roi de Milan, le rêve d'Alexandre III; il sait ce que ferons les Anglais, et il prévoit ce que répondront les Turcs.
En société il est monotone, parce qu'il est monomane. Songez donc que depuis l'âge de raison, supposez 1820, il n'a jamais goûté un instant de repos ou de répit avec la question d'Orient. Il a toujours couru après, comme derrière un papillon railleur, depuis Missolonghi jusqu'à nos jours. Il a voulu connaître les intentions de l'Autriche, sonder les machinations de l'Angleterre, scruter les malices de la Russie, deviner les combinaisons de la Suisse. Il a suivi les Serbes, traqué les Monténégrins, épié les Bulgares et pourchassé les Valaques.
Cette sempiternelle question a fini par se tasser dans son cerveau et y a former comme une pâte ferme, compacte et indigeste. peu à peu le monsieur qui connait la question d'Orient a fini par en confondre les époques et les diverses transformations. Il y a des jours où il vous dit: "Il faut surveiller le czar Nicolas".
Au fond le monsieur qui connait la question d'Orient n'est pas un méchant homme. Il ennuie ses amis, mais il s'ennuie encore plus lui-même.
Physiologies parisiennes, Albert Millaud, illustrations de Caran d'Ache, Job et Frick, à la Librairie illustrée, 1877.
Mais s'il ne la comprend pas, il l'explique. Son bonheur est d'être interrogé par un questionneur naïf, et quelle que soit la question posée, il vous montre le soleil levant et vous dit: " C'est là qu'est le point noir... la question d'Orient! monsieur, toujours la question d'Orient."
Il voit clair dans les agissements de la Russie, il connait le plan du roi de Milan, le rêve d'Alexandre III; il sait ce que ferons les Anglais, et il prévoit ce que répondront les Turcs.
En société il est monotone, parce qu'il est monomane. Songez donc que depuis l'âge de raison, supposez 1820, il n'a jamais goûté un instant de repos ou de répit avec la question d'Orient. Il a toujours couru après, comme derrière un papillon railleur, depuis Missolonghi jusqu'à nos jours. Il a voulu connaître les intentions de l'Autriche, sonder les machinations de l'Angleterre, scruter les malices de la Russie, deviner les combinaisons de la Suisse. Il a suivi les Serbes, traqué les Monténégrins, épié les Bulgares et pourchassé les Valaques.
Cette sempiternelle question a fini par se tasser dans son cerveau et y a former comme une pâte ferme, compacte et indigeste. peu à peu le monsieur qui connait la question d'Orient a fini par en confondre les époques et les diverses transformations. Il y a des jours où il vous dit: "Il faut surveiller le czar Nicolas".
Au fond le monsieur qui connait la question d'Orient n'est pas un méchant homme. Il ennuie ses amis, mais il s'ennuie encore plus lui-même.
Physiologies parisiennes, Albert Millaud, illustrations de Caran d'Ache, Job et Frick, à la Librairie illustrée, 1877.
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