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mardi 8 mars 2016

Hivers rigoureux.

Hivers rigoureux.*


Avant l'ère vulgaire.

396.- L'an de Rome 358 (396 avant J-C), l'Italie et surtout le Latium souffrirent d'un hiver très long et très rigoureux. Tite-Live raconte que la neige fut très abondante, et que le froid fut si vif que les communications des routes et la navigation du Tibre furent interceptés.
270.- L'an 484 de Rome, la neige resta quarante jours sur la terre, à une prodigieuse hauteur, dans la place de Rome, et le Tibre fut glacé à une grande profondeur.
177.-Tacite rapporte que l'an 577 toute l'armée resta campée du côté de l'Arménie. Plusieurs soldats eurent des membres gelés, et l'on trouva des sentinelles mortes de froid. On remarqua surtout un soldat qui portait des fascines, et dont les mains se crispèrent si violemment qu'elles restèrent collées au bois, s'étant détachées des bras qu'elles laissèrent mutilés. Le général Corbulon, vêtu légèrement, la tête nue, se trouvait de toutes les marches et de tous les travaux. Il donnait des éloges aux braves, des consolations aux faibles, l'exemple à tous.
66.-A l'embouchure des Palus-Méotides (mer de Zabache), un des généraux de Mithridate défit sur la glace la cavalerie des Barbares précisément à l'endroit où, en été, ils furent vaincus dans un combat naval.

Depuis l'ère vulgaire.

400.- La mer noire fut entièrement gelée.
462.- Le Danube gela, et Théodonel le traversa sur la glace pour aller venger la mort de son frère en Souabe.
717.- L'hiver fut violent dans la Thrace et du côté de Constantinople; les chevaux et les chameaux de l'armée des Sarrasins périrent pour la plupart.
765.- La mer Noire et les Dardanelles furent gelées. Il y avait sur quelques points plus de cinquante pieds de neige.
821.- Des chariots pesamment chargés purent traverser le Danube, l'Elbe et la Seine sur la glace pendant plus d'un mois.
859.- La mer Adriatique gela de telle sorte qu'on pouvait aller à pied de la terre ferme à Venise.
874.- Depuis le commencement de septembre jusqu'à le fin de mars, il tomba de la neige: les forêts devinrent inaccessibles et le peuple ne put se procurer du bois.
1133.- Le Pô fut gelé depuis Crémone jusqu'à la mer: le vin gela dans les caves, et l'action du froid fit éclater les arbres avec grand bruit.
1234.- Des voitures chargées traversèrent l'Adriatique sur la glace en face de Venise.
1316.- Le froid fit périr toutes les semences dans la terre: la famine fit mourir beaucoup de monde.
1323.- Les voyageurs à pied ou à cheval allaient sur la glace du Danemarck à Lubeck et à Dantzick.
1325.- A Paris, les glaces au dégel firent écrouler tous les ponts.
1334.- Toutes les rivières d'Italie furent gelées.
1408.- L'hiver de cette année fut surnommé le grand hiver. Le greffier du parlement de Paris a rapporté sur ses registres que la saison était si rigoureuse qu'il ne lui fut pas possible d'enregistrer les arrêts, et que l'encre gelait dans sa plume de trois mots en trois mots, malgré le grand feu qu'on entretenait continuellement dans les chambres. Tous les moulins qui étaient sur des rivières furent arrêtés: il fallut obliger les habitants des campagnes voisines à voiturer sur des chariots du bois et des farines. Le temps commença à devenir plus doux le 27 janvier; mais le dégel causa des ravages affreux par le débordement des rivières. A Paris, lorsque la glace se rompit, on vit se mettre en mouvement et flotter un seul glaçon de trois cents pieds de long. Il y avait alors beaucoup de maisons construites sur les ponts, et les ponts furent tous violemment attaqués. Il y logeait quantité de marchands et d'ouvriers, comme teinturiers, écrivains, barbiers, couturiers, éperonniers, fourbisseurs, fripiers, tapissiers, brodeurs, luthiers, libraires, chaussetiers, etc. Le petit pont de bois joignant le Châtelet, et le pont Saint-Michel, appelé alors le Pont-Neuf, furent renversés. Heureusement il ne périt personne, parce que la chute des ponts et des maisons qu'on redoutait eut lieu pendant le jour.
1420.- Les pauvres pendant cet hiver furent réduits à dévorer les plus vils aliments. Les voix plaintives, dit un historien, répétaient dans l'horreur des ténèbres, ces effroyables exclamations: "Hélas! je meure de froid! j'expire de faim!" dans plusieurs quartiers de Paris, on ne voyait qu'édifices déserts ou tombant en ruine.
1422.- Cet hiver fut très rigoureux. Voici la description qu'en a donné un ancien auteur:
"MCCCCXXII, janvier, douzième jour, fist le plus aspre froit que homme eust vu faire; car il gela si terriblement qu'en moins de trois jours le vinaigre, le vergus geloient dedans les celliers, et pendoient les glaçons ès voultes des caves... Il faisoit si froit que personne ne faisoit quelque labour que soulter, crocer (sauter, crosser), jouer à pelote ou aultres jeux pour soy eschauffer; et vray est qu'elle fust si forte qu'elle dura en glaçons, en cours, en rues, près des fontaines, jusque la Nostre-Dame en mars. Et vray est que les coqs et gelines avoient les crestes gelées jusqu'à la teste."
1435.- Cet hiver, dit Félibien, fut précédé par un vent terrible qui s'éleva le 7 octobre et dura près de neuf heures. Des maisons sans nombre furent renversées dans Paris, et à la campagne une infinité d'arbres furent déracinés. On en compta plus de trois cents renversés dans le seul bois de Vincennes. La gelée commença le 31 décembre et continua pendant deux mois et vingt-et-un jours. Il neigea près de quarante jours consécutifs. Il fut ordonné d'enlever la neige des rues et de la porter à la place de Grève; mais on n'y pouvait suffire. On a remarqué comme une chose singulière que, dans le tronc d'un seul arbre, il se trouva plus de cent quarante oiseaux morts de froid.
1458.Æneas Sylvius et Marcel rapportent que le Danube s'étant glacé de l'un et l'autre bord, une armée de quarante mille hommes y campa sur la glace.
1468.- Philippe de Comines dit que, pendant cet hiver, les gens du duc de Bourgogne se rendant au delà de Liège, "il vit des choses incroyables de froid. Par trois fois fut départy (distribué) le vin qu'on donnoit chez le duc, pour les gens qui en demandoient, à coups de cognée; car, il étoit gelé dedans les pipes, et falloit rompre le glaçon qui étoit entier, et en faire des pièces que les gens mettoient dans un chapeau ou en un panier, ainsi qu'ils vouloient."
1608.- Cette année fut aussi long-temps appelée l'année du grand hiver. Mézeray, le journal de Henri IV, rapportent qu'il périt un grand nombre de personnes par le froid. Le 23 janvier, le pain qu'on servit à Henri IV fut gelé, et il ne voulut pas qu'on le dégelât.
1638.- Dans cet hiver, l'eau du port de Marseille gela autour des galères; et l'année suivante, vers la fin de juin, la gelée détruisit toutes les récoltes de la Bourgogne.
1657 à 1658.- Sur la mer Baltique, dans un trajet de cinq à six lieues, Charles X, roi de Suède, fit passer de Fionie en Zélande, sur la glace, toute son armée, la cavalerie, l'artillerie, les caissons, les bagages, etc. A Paris, le pont Marie fut détruit ainsi que vingt-deux maisons construites dessus.
1709.- Duhamel et Buffon assurent que cet hiver eut des suites tellement désastreuses, qu'on en apercevait encore les effets vingt-cinq ans après. On trouva, tant à la ville qu'à la campagne, plusieurs personnes mortes de froid. Tous les blés périrent, et on fut contraint de labourer de nouveau les terres au printemps. On ne mangea à Paris que du pain bis pendant plusieurs mois. Plusieurs nobles familles, à Versailles même, se nourrirent d'avoine: madame de Maintenon en donna l'exemple. Que l'on se figure la misère du peuple, quand les grands, à la cour, étaient réduits à cette extrémité! Ce fut cette année que Louis XIV vendit pour quatre cent mille francs de vaisselle d'or (ce qui fait environ huit cent mille francs de notre monnaie actuelle); les plus grands seigneurs envoyèrent leur vaisselle d'argent à la Monnaie.
Jamerai-Duval raconte l'état déplorable où il s'est trouvé pendant cet affreux hiver. Il avait alors quinze ans. Pauvre mendiant, sans ressource, sans feu, attaqué de la petite vérole, il ne trouva d'abri que dans une étable où l'haleine des moutons et la chaleur du fumier lui sauvèrent la vie:
"Pendant que j'étais comme inhumé dans l'infection et la pourriture, dit Duval, l'hiver continuait à désoler la campagne par les plus terribles dévastations. Derrière la bergerie, il y avait plusieurs touffes de noyers et de chênes fort élevés, qui étendaient leurs branches sur le toit qui me couvrait. Je passais peu de nuits sans être éveillé par des bruits subits et imprévus pareils à ceux du tonnerre ou de l'artillerie; et quand, au matin, je m'informais de la cause d'un tel fracas, on m'apprenait que l'âpreté de la gelée avait été si véhémente, que des pierres d'une grosseur énorme en avaient été brisées  en pièces, et que plusieurs chênes, noyers et autres arbres, s'étaient éclatés et fendus jusqu'aux racines. Enfin, tout ce que la terre produit pour l'aliment de l'homme, sans même en excepter les arbres fruitiers de la plus solide consistance, avait été détruits par la force et la pénétrante activité de la gelée."
1716.- On vit à Londres beaucoup de boutiques établies sur la Tamise.
1740.- La Tamise fut totalement prise. Le peuple de Londres construisit, dit-on, sur la glace, une cuisine spacieuse, dans laquelle on fit rôtir un bœuf entier.
A Saint-Petersbourg, on construisit un palais de glace au-dessus duquel étaient six canons également de glace, chargés chacun d'un quarteron de poudre et d'un boulet. On les tira sans faire éclater la glace.
1776.- Louis XVI fit supprimer les sentinelles du château de Versailles; il en fit ouvrir toutes les cuisines aux pauvres. A Paris, on alluma de grands feux dans les rues. Plusieurs cloches se cassèrent en sonnant; les pendules s'arrêtèrent dans les appartements; le vin gela dans les caves. On vit des volées de perdrix s'abattre aux Tuileries. Au mois de mai, on trouva dans l'emplacement clos où l'on construisait la Comédie française, un lièvre qui s'y était réfugié pendant l'hiver.
1783 à 1784.- A Paris, on alluma encore cette année des feux publics dans différents quartiers pour chauffer les pauvres. A la barrière des Sergents, on éleva une statue de neige représentant Louis XVI, en reconnaissance des secours qu'il avait fait distribuer.
1788 à 1789.- Cet hiver fut très rigoureux à la fois par la durée et par l'intensité du froid. Le 31 décembre, le thermomètre de l'Observatoire de Paris marqua 18 degrés et demi. La classe indigente succombait à l'excès du froid et à l'excès de la misère. Il y eut famine. La détresse populaire ne fut pas sans influence sur les premiers soulèvements de la révolution.
1794 à 1795.- A la faveur des glaces, les Français s'emparèrent de la Hollande sous le commandement de Pichegru. Un détachement de cavalerie traversa le Texel, et fit la flotte hollandaise prisonnière.
1812.- La désastreuse retraite de Moscou rend cet hiver tristement célèbre.
1820.- Beaucoup de personnes furent trouvées mortes de froid sur les routes.
Dans la nuit du 19 au 20 janvier, une débâcle violente commença sur la Seine à Paris, et elle ne finit que le 29 au soir. Des milliers de spectateurs étaient rassemblés sur les quais de Paris. Le lendemain, on vit passer à cinq heures du matin, sous les ponts de Paris, un moulin de Melun que la force des eaux avait entraîné.
1829.- Les souffrances des classes pauvres, pendant cet hiver, sont encore présentes au souvenir de nos lecteurs. A Paris le thermomètre a marqué 16 degrés.
L'hiver de 1838 sera compté parmi les hivers rigoureux.

Ces notes sont en partie extraites d'un livre curieux publié en 1821 sous ce titre: Essai chronologique sur les hivers les plus rigoureux, depuis 396 ans av. J.-C. jusqu'en 1820 inclusivement, par G. P.

Le Magasin pittoresque, février 1838.

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