La destruction des criquets en Algérie.
L'Algérie a été aux prises, cette année encore, avec ses pires ennemis, et la lutte contre les sauterelles, ce terrible fléau, a du y être poursuivie plus vive, plus ardente que jamais.
La commission d'études qui y fonctionne régulièrement depuis le mois d'août dernier sous l'intelligente direction de M. Künckel d'Herculais, a proposé tout un système de défense qui, appliqué au cours de la dernière campagne, s'est montré d'une réelle efficacité.
Ce sont des méthodes qu'il nous a paru intéressant de mettre sous les yeux de nos lecteurs.
Les premières reconnaissances avaient permis à M. Künckel de faire une constatation capitale dans la lutte. On s'était, jusqu'alors, mépris sur la nature de l'ennemi à combattre; les incursions des années précédentes n'étaient nullement dues, ainsi qu'on le supposait, aux bandes nomades du grand criquet pèlerin, qui viennent de loin en loin, du fin fond de l'Afrique centrale, visiter le littoral; on avait affaire bel et bien à une espèce indigène, dont le voisinage encombrant était une perpétuelle menace. Mais cette proximité même permettait d'atteindre le mal à ses sources, et, disons le mot, d'étouffer l'ennemi dans son berceau. A la destruction des insectes jeunes, non ailés, on pouvait dès lors joindre une autre mesure préventive consistant à ramasser les œufs.
Pour opérer avec plus de sûreté, la commission fit faire un relevé exact des localités où les bandes ailées de criquets s'étaient abattues pour pondre, et des cartes furent dressées de ces gisements d’œufs. puis on réquisitionna des goums arabes entiers et on les lança à la recherche des œufs. On jugera de l'importance de cette récolte, qui se fit sans interruption d'août en décembre, par la somme qui fut payée en primes aux indigènes, à raison de 1,50 fr. le double-décalitre: 578.340 francs!
Nos dessins reproduisent très exactement un des côtés de ces récoltes d'un genre particulier. Rien de plus curieux que ces campements d'Arabes allant à la recherche des œufs sous la direction sous la direction de trois administrateurs.
Au premier plan, on voit un monceau d’œufs de sauterelles, le produit d'une expédition antérieure. L'attitude théâtrale des personnage et le pittoresque de la scène se trouvent renforcés par l'aridité du paysage, situé sur les confins du Tell, où sont les lieux d'élection entre tous pour la ponte. L'une de nos gravures montrent les administrateurs mesurant les œufs que viennent d'apporter les indigènes.
En dépit de cette mesure préventive, les criquets sont revenus cette année, moins nombreux, mais aussi voraces que précédemment. Contre leurs armées formidables qui se ruent sur les cultures, ravageant, engloutissant tout sur leur passage, il faudrait dresser d'autres armées de combattants, opposer le nombre au nombre. Mais toute la population de l'Algérie n'y suffirait pas. Il fallait donc trouver un procédé qui suppléât à l'insuffisance numérique de l'homme. On n'eut pas à créer, fort heureusement, il a suffi de jeter un regard chez les voisins et de profiter de l'expérience acquise ailleurs.
On emprunta aux population de Chypre les appareils qu'ils emploient dans le même but depuis des années et qui sont d'une simplicité élémentaire: de simples bandes de toiles tendues sur des piquets pour barrer la route aux colonnes d'insectes en marche, et, en avant de ces enceintes, des fossés où les insectes retombent pèle-mêle dans de vains efforts pour franchir la barrière.
Bien élevés alors, ces barrages? 60 centimètres environ. C'est que nous avons omis la partie essentielle, celle sans laquelle tous ce dispositif ne servirait absolument à rien. Remarquez que l'extrémité supérieure de la bande de calicot est doublée sur sa face interne, celle qui fait face aux criquets en marche d'une bordure de toile cirée large de 8 à 10 centimètres environ, que tous les matins on huile soigneusement. Les insectes, qui cheminent très aisément sur les surfaces quelque peu garnies d'aspérités, n'ont plus aucune prise sur ce plan poli et retombent lourdement, comme ces jeune néophytes qui tentent de grimper au mât de cocagne sans s'être pourvu d'une ample provision de sable. Nous ne savons pas, en vérité, pourquoi Salomon, qui passe cependant pour expert en la matière, accordait la sagesse aux sauterelles. Nous ne sachons rien de plus sot que ces insectes qui marchent toujours tout droit devant eux, faisant tranquillement leur deux mètres par minute, uniquement guidé par leur voracité et jamais ne songeant à contourner l'obstacle. Ils auraient d'ailleurs fort à faire, certains de ces appareils se développant sur un ou deux kilomètres d'étendue.
C'est plaisir de les voir s'acharner à passer le mur de toile qui les sépare de la terre promise, où ils devinent de riches provendes, derrière eux la nudité d'un désert où l’œil ne voit plus au loin que de maigres chardons, et retombent lourdement dans un emmêlement confus qu'augmentent encore les nouveaux arrivants. Quand ils ne s'échouent pas d'eux-mêmes dans un des fossés qui ont été creusées de distance en distance en avant de la toile, les surveillants ont soins de les y pousser. Ces cavités rectangulaires, dont on établit deux, environ par hectare, mesurent deux mètres de largeur et un mètre de profondeur. Elles sont bordées de feuilles de zinc qui jouent là le même rôle que les bandes de toiles cirées, faisant glisser les insectes et les empêchant de remonter. En vingt-cinq minutes, la fosse est pleine. Il s'agit de la vider rapidement tout en assurant la destruction du monde grouillant qui l'emplit. Oh! c'est bien simple. Vous avez vu écraser du raisin pendant les vendanges. l'on ne procède pas autrement avec les criquets. Un Arabe descend dans le fossé, et bravement piétine dans le tas, s'aidant d'un morceau de bois, jusqu'à ce que, convertie en charnier, la fosse ne contienne plus qu'une bouillie infecte.
On se doute de ce que peut faire un appareil de ce genre avec l'aide de quelques surveillants. Si on savait quelle oeuvre de destruction ont dû faire les 6.000 appareils de ce genre qui ont été achetés par les soins de l'administration coloniale! Et, puisque nous citons des chiffres, ajoutons que pour les divers accessoires de ces traquenards, le service des forêts a fourni 100.000 piquets de chêne, l'industrie privée a livré 6.000 masses d'acier pour enfoncer les pieux, 40.000 mètres de corde et 6.000 feuilles de zinc pour garnir les fossés.
Et, si nous ajoutons que 850 chantiers ont été organisés où les indigènes disponibles, au nombre de 96.113, ont été employés, que l'autorité militaire a accordé le concours des troupes, on aura une idée du prodigieux effort tenté ces mois derniers contre les acridiens. On a évalué la masse des insectes détruits à 40.000 mètres cubes.
Nous le répétons, les résultats obtenus sont des plus heureux. Mais que l'on ne s'en tienne pas là. La lutte doit être continuée d'une façon méthodique, et sûrement, dans dix ans, les criquets néfastes, s'ils n'ont pas disparu, seront du moins revenu à des proportions qui écarterons pour longtemps la possibilité de désastres comme nous l'avons vu s'en produire ces dernières années.
L. Wertheimer.
Journal des Voyages, dimanche 11 août 1889.
Ce sont des méthodes qu'il nous a paru intéressant de mettre sous les yeux de nos lecteurs.
Les premières reconnaissances avaient permis à M. Künckel de faire une constatation capitale dans la lutte. On s'était, jusqu'alors, mépris sur la nature de l'ennemi à combattre; les incursions des années précédentes n'étaient nullement dues, ainsi qu'on le supposait, aux bandes nomades du grand criquet pèlerin, qui viennent de loin en loin, du fin fond de l'Afrique centrale, visiter le littoral; on avait affaire bel et bien à une espèce indigène, dont le voisinage encombrant était une perpétuelle menace. Mais cette proximité même permettait d'atteindre le mal à ses sources, et, disons le mot, d'étouffer l'ennemi dans son berceau. A la destruction des insectes jeunes, non ailés, on pouvait dès lors joindre une autre mesure préventive consistant à ramasser les œufs.
Pour opérer avec plus de sûreté, la commission fit faire un relevé exact des localités où les bandes ailées de criquets s'étaient abattues pour pondre, et des cartes furent dressées de ces gisements d’œufs. puis on réquisitionna des goums arabes entiers et on les lança à la recherche des œufs. On jugera de l'importance de cette récolte, qui se fit sans interruption d'août en décembre, par la somme qui fut payée en primes aux indigènes, à raison de 1,50 fr. le double-décalitre: 578.340 francs!
Nos dessins reproduisent très exactement un des côtés de ces récoltes d'un genre particulier. Rien de plus curieux que ces campements d'Arabes allant à la recherche des œufs sous la direction sous la direction de trois administrateurs.
Au premier plan, on voit un monceau d’œufs de sauterelles, le produit d'une expédition antérieure. L'attitude théâtrale des personnage et le pittoresque de la scène se trouvent renforcés par l'aridité du paysage, situé sur les confins du Tell, où sont les lieux d'élection entre tous pour la ponte. L'une de nos gravures montrent les administrateurs mesurant les œufs que viennent d'apporter les indigènes.
En dépit de cette mesure préventive, les criquets sont revenus cette année, moins nombreux, mais aussi voraces que précédemment. Contre leurs armées formidables qui se ruent sur les cultures, ravageant, engloutissant tout sur leur passage, il faudrait dresser d'autres armées de combattants, opposer le nombre au nombre. Mais toute la population de l'Algérie n'y suffirait pas. Il fallait donc trouver un procédé qui suppléât à l'insuffisance numérique de l'homme. On n'eut pas à créer, fort heureusement, il a suffi de jeter un regard chez les voisins et de profiter de l'expérience acquise ailleurs.
On emprunta aux population de Chypre les appareils qu'ils emploient dans le même but depuis des années et qui sont d'une simplicité élémentaire: de simples bandes de toiles tendues sur des piquets pour barrer la route aux colonnes d'insectes en marche, et, en avant de ces enceintes, des fossés où les insectes retombent pèle-mêle dans de vains efforts pour franchir la barrière.
Bien élevés alors, ces barrages? 60 centimètres environ. C'est que nous avons omis la partie essentielle, celle sans laquelle tous ce dispositif ne servirait absolument à rien. Remarquez que l'extrémité supérieure de la bande de calicot est doublée sur sa face interne, celle qui fait face aux criquets en marche d'une bordure de toile cirée large de 8 à 10 centimètres environ, que tous les matins on huile soigneusement. Les insectes, qui cheminent très aisément sur les surfaces quelque peu garnies d'aspérités, n'ont plus aucune prise sur ce plan poli et retombent lourdement, comme ces jeune néophytes qui tentent de grimper au mât de cocagne sans s'être pourvu d'une ample provision de sable. Nous ne savons pas, en vérité, pourquoi Salomon, qui passe cependant pour expert en la matière, accordait la sagesse aux sauterelles. Nous ne sachons rien de plus sot que ces insectes qui marchent toujours tout droit devant eux, faisant tranquillement leur deux mètres par minute, uniquement guidé par leur voracité et jamais ne songeant à contourner l'obstacle. Ils auraient d'ailleurs fort à faire, certains de ces appareils se développant sur un ou deux kilomètres d'étendue.
C'est plaisir de les voir s'acharner à passer le mur de toile qui les sépare de la terre promise, où ils devinent de riches provendes, derrière eux la nudité d'un désert où l’œil ne voit plus au loin que de maigres chardons, et retombent lourdement dans un emmêlement confus qu'augmentent encore les nouveaux arrivants. Quand ils ne s'échouent pas d'eux-mêmes dans un des fossés qui ont été creusées de distance en distance en avant de la toile, les surveillants ont soins de les y pousser. Ces cavités rectangulaires, dont on établit deux, environ par hectare, mesurent deux mètres de largeur et un mètre de profondeur. Elles sont bordées de feuilles de zinc qui jouent là le même rôle que les bandes de toiles cirées, faisant glisser les insectes et les empêchant de remonter. En vingt-cinq minutes, la fosse est pleine. Il s'agit de la vider rapidement tout en assurant la destruction du monde grouillant qui l'emplit. Oh! c'est bien simple. Vous avez vu écraser du raisin pendant les vendanges. l'on ne procède pas autrement avec les criquets. Un Arabe descend dans le fossé, et bravement piétine dans le tas, s'aidant d'un morceau de bois, jusqu'à ce que, convertie en charnier, la fosse ne contienne plus qu'une bouillie infecte.
On se doute de ce que peut faire un appareil de ce genre avec l'aide de quelques surveillants. Si on savait quelle oeuvre de destruction ont dû faire les 6.000 appareils de ce genre qui ont été achetés par les soins de l'administration coloniale! Et, puisque nous citons des chiffres, ajoutons que pour les divers accessoires de ces traquenards, le service des forêts a fourni 100.000 piquets de chêne, l'industrie privée a livré 6.000 masses d'acier pour enfoncer les pieux, 40.000 mètres de corde et 6.000 feuilles de zinc pour garnir les fossés.
Et, si nous ajoutons que 850 chantiers ont été organisés où les indigènes disponibles, au nombre de 96.113, ont été employés, que l'autorité militaire a accordé le concours des troupes, on aura une idée du prodigieux effort tenté ces mois derniers contre les acridiens. On a évalué la masse des insectes détruits à 40.000 mètres cubes.
Nous le répétons, les résultats obtenus sont des plus heureux. Mais que l'on ne s'en tienne pas là. La lutte doit être continuée d'une façon méthodique, et sûrement, dans dix ans, les criquets néfastes, s'ils n'ont pas disparu, seront du moins revenu à des proportions qui écarterons pour longtemps la possibilité de désastres comme nous l'avons vu s'en produire ces dernières années.
L. Wertheimer.
Journal des Voyages, dimanche 11 août 1889.
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