Problèmes plaisants et délectables.
qui se font par les nombres.
Par Claude-Gaspard Bachet, sieur de Méziriac.
(ouvrage très rare, 3 e édit., revue, simplifiée et augmentée par A. Laborne, professeur. -Paris, Gauthier-Villars.)
qui se font par les nombres.
Par Claude-Gaspard Bachet, sieur de Méziriac.
(ouvrage très rare, 3 e édit., revue, simplifiée et augmentée par A. Laborne, professeur. -Paris, Gauthier-Villars.)
Les quinze Turcs et les quarante soldats de Josèphe.
On a accoutumé de proposer ce problème en cette façon:
Quinze chrétiens et quinze turcs se trouvent sur mer dans un même navire, et s'étant élevée une terrible tourmente, le pilote dit qu'il est nécessaire de jeter à la mer la moitié des personnes qui sont sur la nef pour sauver le reste.
Or, cela ne peut se faire que par tirage au sort; partant, on est d'accord que, se rangeant tous par ordre, et comptant de 9 en 9, on jette chaque neuvième dans la mer jusqu'à ce que de 30 qu'ils sont, il n'en demeure que 15.
On demande comment il faudrait les disposer pour faire que le sort tombât sur les 15 Turcs, sans perdre aucun des chrétiens?
En comptant de 9 en 9 une suite de 30 objets placés les uns à la suite des autres, 30 zéros par exemple, on tombe sur les objets dont les rangs sont, 9, 18, 27.
Qu'on supprime ces objets, puis que l'on continue de compter de 9 en 9, en prenant d'abord les trois objets qui suivent le vingt-septième, et en revenant au commencement de la série qui ne comporte plus que 27 objets, on tombera sur ceux dont les rang sont 6, 15, 24, dans la nouvelle série. Ces objets étant supprimés, si l'on opère de même pour la nouvelle série de 24 objets, on tombera sur les objets dont les rangs sont 6, 15, 24 dans cette série.
En les supprimant, on aura une nouvelle série de 21 objets dont on sera conduit à supprimer ceux dont les rangs sont 9 et 18, ce qui la réduira à 19 objets, dont on supprimera ensuite, par le même calcul, ceux dont les rangs sont 6 et 15. Enfin, la série était réduite à 17 objets, on y supprimera les objets placés aux rands 5 et 14, et il restera 15 objets. Si l'on examine alors quels rangs les objets restants occupaient dans la première série, on trouve que ce sont les suivants:
1, 2, 3, 4, ..., 10, 11, ..., 13, 14, 15, ..., 17, ..., 20, 21, ..., 25, ..., 28, 29.
De là, la solution donnée par Bachet.
Pour faire ceci promptement, remarque ces deux vers:
Mort, tu ne failliras pas,
En me livrant le trépas!
Et prends garde seulement aux voyelles, a, e, i, o, u, t'imaginant que la première a, vaut 1; la seconde, e, vaut 2; la troisième, i, vaut trois; la quatrième, o, vaut 4; et la cinquième, u, vaut 5. Et d'autant qu'il faut commencer par les chrétiens, en la première syllabe mort, la voyelle o te montre qu'il faut en premier lieu mettre 4 chrétiens; en la seconde syllabe tu, la voyelle u te montre qu'il faut après ranger 5 Turcs; ensuite ne signifie 2 chrétiens, fal un Turc, li 3 chrétiens, ras un Turc, pas un chrétien, en 2 Turcs, me 2 chrétiens, li 3 Turcs, vrant un chrétien, le 2 Turcs, tré 2 chrétiens, pas un Turc.
Avertissement.- Il est aisé à voir que ce jeu se peut pratiquer fort diversement. Car, premièrement, le nombre des unités peut être tel qu'on veut; par exemple, au lieu de 30, on en pourrait mettre 40, 50, 60, ou plus ou moins. Secondement, au lieu de rejeter toujours la neuvième, on peut rejeter la sixième, la dixième, ou la tantième que l'on voudra.
Finalement, au lieu d'en rejeter autant qu'il en demeure, on peut n'en rejeter que tant peu que l'on voudra; tellement qu'il en demeure davantage, ou bien en rejeter si grand nombre qu'il en demeure beaucoup moins. La solution se trouverait toujours comme il a été précédemment expliqué.
Or, c'est par cette invention que Josèphe se sauva très-subtilement dans Jotapata, ainsi qu'il résulte évidemment des paroles d'Hégesippus touchant ce fait, au livre III de la Guerre de Hierusalem.
Voici l'histoire:
Josèphe, qui nous a laissé par écrit la même guerre des juifs, était gouverneur dans la ville de Jotapata, lorsqu'elle fut assiégée et peu après emportée d'assaut par Vespasien. Il fut contraint de se retirer dans une citerne, suivi d'une troupe de soldats, pour éviter la première fureur des armes victorieuses des Romains; mais il courut plus de fortune de perdre la vie parmi les siens que parmi les ennemis: car, comme il eut arrêter de s'aller rendre à la merci du vainqueur, ne pouvant imaginer aucun autre moyen de se garantir de la mort, il trouva ses soldats saisis d'une telle frénésie qu'ils voulaient tous mourir et s'entre-tuer les uns les autres plutôt que de prendre ce parti. Josèphe s'efforça bien de les détourner d'une si malheureuse entreprise, mais ce fut en vain; car, rejetant tout ce qu'il put leur alléguer au contraire, et persistant dans leur opinion, ils en vinrent jusque-là que de le menacer, s'il ne s'y portait volontairement, de l'y contraindre par force, et de commencer par lui-même l'exécution de leur tragique dessein. Alors, sans doute, c'était fait de sa vie s'il n'eût eu l'esprit de se défaire de ces hommes furieux par l'artifice de mon problème. Car, feignant d'adhérer à leur volonté, il se conserva l'autorité qu'il avait sur eux, et, par ce moyen, leur persuada rapidement que pour éviter le désordre et la confusion qui pourrait survenir en tel acte, s'ils s'entre-tuaient à la foule, il valait mieux se ranger par ordre en quelque façon, et, commençant à compter par un bout, massacrer toujours le tantième (l'auteur n'exprime pas le tantième), jusqu'à ce qu'il n'en demeurât qu'un seul, lequel serait obligé de se tuer lui-même. Tous étant de cet accord, Josèphe les disposa de sorte, et choisit pour lui une si bonne place que, la tuerie étant continuée jusqu'à la fin, il se trouva seul en vie, ou peut être encore qu'il sauva quelques-uns de ses plus affidés, et de ceux desquels il se pouvait promettre une entière et parfaite obéissance.
Voilà une histoire bien remarquable, et qui nous apprend assez qu'on ne doit point mépriser ces petites subtilités, qui aiguisent l'esprit, habilitent l'homme à de plus grandes choses, et apportent quelquefois une utilité non prévue.
Ailleurs le sieur de Méziriac précise encore mieux son explication du stratagème de Josèphe:
Il y eut, dit-il, quarante soldats qui se sauvèrent avec Josèphe dans la caverne, si bien qu'à compter ledit Josèphe, ils étaient en tout 41. Partant, supposons qu'il ordonna que comptant de 3 en 3 on tuerait toujours le troisième, il est certain que, procédant de la sorte, on trouvera qu'il fallut que Josèphe se mit le trente-et-unième après celui par lequel on commençait à compter, au cas qu'il visât à demeurer en vie lui tout seul. Mais s'il voulut sauver un de ses compagnons, il le mit en seizième place, et s'il en voulut sauver encore un autre, il le mit à la trente-cinquième place.
Magasin Pittoresque, 1877.
Finalement, au lieu d'en rejeter autant qu'il en demeure, on peut n'en rejeter que tant peu que l'on voudra; tellement qu'il en demeure davantage, ou bien en rejeter si grand nombre qu'il en demeure beaucoup moins. La solution se trouverait toujours comme il a été précédemment expliqué.
Or, c'est par cette invention que Josèphe se sauva très-subtilement dans Jotapata, ainsi qu'il résulte évidemment des paroles d'Hégesippus touchant ce fait, au livre III de la Guerre de Hierusalem.
Voici l'histoire:
Josèphe, qui nous a laissé par écrit la même guerre des juifs, était gouverneur dans la ville de Jotapata, lorsqu'elle fut assiégée et peu après emportée d'assaut par Vespasien. Il fut contraint de se retirer dans une citerne, suivi d'une troupe de soldats, pour éviter la première fureur des armes victorieuses des Romains; mais il courut plus de fortune de perdre la vie parmi les siens que parmi les ennemis: car, comme il eut arrêter de s'aller rendre à la merci du vainqueur, ne pouvant imaginer aucun autre moyen de se garantir de la mort, il trouva ses soldats saisis d'une telle frénésie qu'ils voulaient tous mourir et s'entre-tuer les uns les autres plutôt que de prendre ce parti. Josèphe s'efforça bien de les détourner d'une si malheureuse entreprise, mais ce fut en vain; car, rejetant tout ce qu'il put leur alléguer au contraire, et persistant dans leur opinion, ils en vinrent jusque-là que de le menacer, s'il ne s'y portait volontairement, de l'y contraindre par force, et de commencer par lui-même l'exécution de leur tragique dessein. Alors, sans doute, c'était fait de sa vie s'il n'eût eu l'esprit de se défaire de ces hommes furieux par l'artifice de mon problème. Car, feignant d'adhérer à leur volonté, il se conserva l'autorité qu'il avait sur eux, et, par ce moyen, leur persuada rapidement que pour éviter le désordre et la confusion qui pourrait survenir en tel acte, s'ils s'entre-tuaient à la foule, il valait mieux se ranger par ordre en quelque façon, et, commençant à compter par un bout, massacrer toujours le tantième (l'auteur n'exprime pas le tantième), jusqu'à ce qu'il n'en demeurât qu'un seul, lequel serait obligé de se tuer lui-même. Tous étant de cet accord, Josèphe les disposa de sorte, et choisit pour lui une si bonne place que, la tuerie étant continuée jusqu'à la fin, il se trouva seul en vie, ou peut être encore qu'il sauva quelques-uns de ses plus affidés, et de ceux desquels il se pouvait promettre une entière et parfaite obéissance.
Voilà une histoire bien remarquable, et qui nous apprend assez qu'on ne doit point mépriser ces petites subtilités, qui aiguisent l'esprit, habilitent l'homme à de plus grandes choses, et apportent quelquefois une utilité non prévue.
Ailleurs le sieur de Méziriac précise encore mieux son explication du stratagème de Josèphe:
Il y eut, dit-il, quarante soldats qui se sauvèrent avec Josèphe dans la caverne, si bien qu'à compter ledit Josèphe, ils étaient en tout 41. Partant, supposons qu'il ordonna que comptant de 3 en 3 on tuerait toujours le troisième, il est certain que, procédant de la sorte, on trouvera qu'il fallut que Josèphe se mit le trente-et-unième après celui par lequel on commençait à compter, au cas qu'il visât à demeurer en vie lui tout seul. Mais s'il voulut sauver un de ses compagnons, il le mit en seizième place, et s'il en voulut sauver encore un autre, il le mit à la trente-cinquième place.
Magasin Pittoresque, 1877.
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