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dimanche 29 juin 2014

Le carnet de Madame Elise.

Ruptures de fiançailles.

La période des fiançailles a été établie pour permettre aux futurs époux de s'étudier sans contrainte, et cependant ils oublient trop souvent cette enquête qui leur permettrait d'entrer dans leur nouvelle condition avec moins d'incertitude.
Aujourd'hui les fiancés ne sont plus considérés comme des individus indépendants, occupés à s'examiner sincèrement, mais comme des êtres liés déjà.
L'opinion publique professe des principes enfantins à cet égard; elle couvre de blâme les fiancés qui se séparent volontairement, au lieu de louer la sage résolution qu'ils ont prise, à la suite d'une connaissance plus approfondie de leurs caractères.
Le résultat moral de ce préjugé est déplorable: on n'ose pas rompre des fiançailles déclarées officiellement, on arrive même, dans la crainte des critiques, à se marier malgré les plus légitimes appréhensions.
C'est une folie, un manque d'équilibre de l'esprit; le respect humain, quand il s'agit d'actes aussi graves ne doit pas entrer en ligne de compte; qu'est-ce donc que l'ennui passager causé par les paroles malveillantes, les bavardages indiscrets de quelques amis, à côté du morne désespoir et du découragement qui accablent les êtres mal assortis?
Avant d'autoriser les fiançailles, les parents doivent avoir pris soin de prendre tous les renseignements nécessaires sur la moralité, le passé, la position, la fortune de la famille; de ce fait on écarte bien des causes de rupture et on se trouve à l'abri de ces révélations désastreuses qui viennent, après coup, séparer ceux qui s'aiment déjà tendrement.
Les deux jeunes gens, fiancés d'hier, savent donc que toutes les raisons de convenance sont satisfaites; mais ils ne se connaissent point encore intimement, ils ne sauraient affirmer qu'une sympathie invincible les lie pour toujours; c'est à ce genre d'étude qu'il faut consacrer la période des fiançailles avant de se lier irrévocablement.
Si l'un des deux reconnaît de sang froid, sans mauvaise humeur ni dépit, qu'il existe entre eux une réelle incompatibilité de caractères, pourquoi persévérerait-il dans cette voie? Il faut rompre sans hésitation et ne point s'aventurer plus loin.
La rupture doit être faite d'un commun accord et très courtoisement, pas de scènes, de reproches indignés; celui qui la provoque doit la motiver suffisamment pour qu'il ne subsiste aucun doute injurieux pour personne.
Cette précaution étant prise, les deux familles choisissent ensemble le prétexte à invoquer pour expliquer la rupture; il convient, pour sauver la réputation de la jeune fille, d'en établir nettement le motif; les réticences, les commérages seront, par ce procédé, moins puissants à lui nuire.
Maints cadeaux ont été échangés, il faut les rendre de part et d'autre avec une scrupuleuse honnêteté; les lettres sont rendues de même; parfois le jeune homme seul renvoie la correspondance qu'il a reçue de la jeune fille, celle-ci brûle le tout, lettres écrites par elle et lettres écrites par son fiancé.
En vue de ces séparations possibles, les parents feront bien de conseiller à leur fille une grande retenue dans l'expression de sa tendresse; beaucoup de jeunes filles exaltées écrivent à leurs fiancés dans des termes trop affectueux et qu'elles regrettent vivement d'avoir employés lorsqu'elles sentent leur correspondance entre les mains d'un homme devenu indifférent, quelquefois même hostile.
Après la rupture, si les relations ne sont pas suspendues entre les deux familles, elles doivent être au moins, très espacées.
On observe, à l'égard de l'ex-fiancé, un silence bienveillant; et jamais on ne profitera des révélations que l'intimité a fournies, pour lui nuire dans sa situation ou dans l'intimité de ses amis.

                                                                                                               Mme Elise.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 21 juin 1903.

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