Les écoles de nègres.
Dans la Nouvelle-Angleterre, malgré les préventions qui leur rendent encore toutes les carrières difficiles, quelques nègres, à force d'énergie, sont devenus instruits et riches: ils plaident au barreau, enseignent dans les églises, et exercent avec succès d'autre professions libérales. L'intelligence déployée en mainte occasion par ces hommes, que l'on prétendait rabaisser au niveau de la brute, est vraiment remarquable, et rien ne prouve mieux combien ils sont susceptibles de développement que la manière dont ils ont accueilli la création des écoles à leur usage.
L'armée fédérale avait déjà établi, sur différents points où elle avait stationné, des écoles pour l'éducation des soldats de couleur. Ces établissements furent maintenus et ouverts à toute la population nègre; un plus grand nombre encore furent crées par les sociétés de bienfaisance du Nord. Même, quelques Etats du Sud, animés d'un généreux esprit de conciliation, en instituèrent plusieurs.
Les noirs se prêtèrent admirablement à cette innovation; ils comprirent, avec une promptitude d'intelligence qui eût fait honneur à des blancs civilisés, combien il était important pour eux de s'instruire; et l'on vit ces pauvres gens s'imposer les plus grands sacrifices pour contribuer à la fondation des écoles. Ainsi, dans le Texas, la population de couleur créa par ses seuls efforts et avec ses seules ressources vingt-six écoles du jour au soir; ce fut elle encore qui, en Georgie, prit l'initiative des premiers établissements d'instruction publique destinés à ses enfants.
Nulle part les résultats ne furent aussi remarquables que dans la Louisiane. L'autorité militaire avait organisé sur une vaste échelle l'enseignement public. On avait déclaré solennellement que l'Etat serait tenu de mettre l'instruction à la portée des noirs, et des impôts avaient été levé à cet effet. Mais une réaction violente éclata. Il fallut supprimer les taxes en faveur des nègres.
La nouvelle de cette mesure causa parmi les affranchis une véritable consternation. Pendant le court intervalle où l'accès des écoles leur avait été ouvert, 50.000 d'entre eux avaient appris à lire; des milliers d'autres se disposaient à suivre leur exemple. Ces germes féconds allaient-ils être étouffés? L'avenir et le développement intellectuel de la race seraient-ils compromis? Les noirs se réunirent, et, quoiqu'ils n'eussent presque tous d'autre ressource pour vivre que leur travail, ils prirent la noble résolution de demander à fournir une contribution spéciale pour l'éducation de leurs enfants, sans être déchargés néanmoins de l'impôt commun. Une multitude de pétitions, couvertes de croix, représentant la signature des parents qui ne savaient pas écrire, sollicitèrent le bienfait de l'instruction pour la caste déshéritée; les postulants ajoutaient qu'ils supporteraient eux-même la dépense. On ne pouvait rester sourd à cet appel; des écoles furent ouvertes aux élèves de couleur, et les nègres, employés à différents travaux par le Bureau des affranchis, prirent sur leur modeste salaire de chaque jour la somme nécessaire pour la location du local et le traitement des professeurs.
Partout une soif ardente d'instruction se manifeste chez les esclaves émancipés; au seuil des plus pauvres demeures, on rencontre des petits enfants feuilletant leur abécédaire; des hommes que l'âge a déjà courbés s'efforcent de suppléer par l'énergie de la volonté aux facilités de la jeunesse.
Suivez ces nègres qui, le soir, parcourent d'un pas rapide les rues des grandes villes; les uns se dirigent vers de misérables mansardes, les autres vers des sous-sols malsains: c'est là que sont établies les écoles, car l'argent est rare et les besoins sont nombreux; quelques bancs, des tables, un petit nombre de livres, voilà tout l'ameublement.
M. Alvord, inspecteur général de l'enseignement public dans le Sud, estime à un million au moins, sur les cinq millions d'affranchis, le nombre de nègres, enfants et adultes, prêts à entrer dans les écoles.
Un voyageur anglais, M. le docteur Zincke, quoique peu disposé à croire que les nègres puissent jamais s'élever dans la civilisation au même degré que les blancs, a écrit les lignes suivantes, à la suite d'une visite qu'il avait faite à une école de petits nègres:
" En raison de mes opinions, je me regarde comme obligé de tenir compte de tous les faits qui semblent les contredire. J'avouerai donc mon étonnement extrême à la vue de la vivacité d'esprit de ces quatre cents enfants de couleur. En fort peu de temps, ils avaient acquis une somme de connaissances véritablement remarquable. Jamais, dans une école d'Angleterre, et j'en ai visité beaucoup, je n'ai trouvé chez les élèves autant de promptitude à comprendre le sens des leçons lues devant eux; jamais je n'ai entendu de réponses aussi judicieuses et montrant une aussi claire compréhension du texte."
A l'Université d'Oberlin, dans l'Ohio, les nègres concourent avec les blancs pour les mathématiques, l'astronomie et les sciences naturelles.
Les fils du général Lee se sont faits maîtres d'écoles de nègres pour combattre les préjugés d'une partie de leurs compatriotes; plusieurs jeunes gens, appartenant aux familles les plus riches, ont suivi cet exemple.
Quels progrès l'instruction ne ferait-elle pas en France si nous étions animés d'autant de zèle! N'est-il pas étrange de voir que, tandis que les Américains des Etats-Unis parviennent à vaincre leurs préjugés contre les noirs jusqu'à se dévouer à leur instruction, une partie de la population française reste encore tout au moins indifférente à l'ignorance d'un si grand nombre de ses concitoyens! Cependant, que l'on y songe bien! l'ignorance du peuple est une cause d'infériorité pour la nation toute entière.
Magasin Pittoresque, 1870.
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