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mardi 3 juin 2014

Calendrier gastronomique.

Calendrier gastronomique de Grimod de la Reynière.


Grimod de la Reynière est né en 1758. Fils ou petit-fils d'un fermier général dont le père était charcutier, il avait eu, dans son enfance, les mains à demi dévorées par un porc. Cet accident n'avait point altéré sa bonne humeur naturelle: il avait imaginé, pour son usage, une forme de chapeau orné de deux espèces d'anses qu'il faisait mouvoir avec ses poignets. Caractère léger, jurisconsulte ordinaire, écrivain spirituel, ils s'abandonna librement aux penchants qui le portaient vers le théâtre et la gastronomie. Il se fit une réputation dans les lettres par quelques brochures d'un tour original et pas le Censeur dramatique, qu'il rédigea de 1797 à 1798, et qui souleva contre lui l'irritation d'un grand nombre d'auteurs et d'acteurs. Sous l'empire, il rechercha et obtint la singulière réputation d'égaler en gastronomie Cambacérès et d'Aigrefeuille. De 1803 à 1812, il publia un Almanach des gourmands dont la collection forme 8 volumes in-18. Il est mort en 1834. Voici quelques extraits de son Calendrier gastronomique:


"Janvier.

Ce mois commence glorieusement l'année. Il est signalé par l'extinction des haines, le rapprochement des familles. C'est un temps d'amnistie et de jubilation; il partage avec l'automne l'avantage de rassembler les productions faites pour exciter et pour satisfaire notre gourmande sensualité.

Février.

Février est le crescendo de son prédécesseur: c'est le temps du carnaval, des indigestions, ou, pour parler plus poliment, des fausses digestions... La viande de boucherie et la charcuterie sont aussi recherchées que dans le mois de janvier; le gibier, plus rare, ne manque pas encore. Les malles des courriers plient sous le poids des dindes aux truffes, des pâtés de foie gras, des terrines, qui du nord, du midi, accourent vers la capitale pour devancer le carême: Nérac, Strasbourg, Troyes, Lyon, Cahors, Périgueux, rivalisent de zèle et d'activité pour nous combler de délices. Du Périgord à Paris les truffes embaument de leur succulent parfum la dépêche toute entière.

Mars.

En ce mois abondent les poissons de mer et d'eau douce: ils appartiennent aussi aux deux mois précédents; mais pendant celui-ci la marée est dans toute sa gloire, elle abonde à la Halle. On y voit arriver en foule l'esturgeon, le saumon, le cabillaud, la barbue, le turbot, le turbotin, les soles, les carrelets, les limandes, les truites de mer, les huîtres vertes et blanches de Dieppe et de Cancale, etc. Les légumes de ce mois sont à peu près ceux des deux précédents, pourtant ils deviennent plus rares et manquent un peu de qualité; les farineux n'ont point la permission de se montrer en entier parmi les entremets d'une bonne table: le haricot de Soissons y est seul toléré; les lentilles et les pois n'y paraissent que sous forme de purée.

Avril.

Ce mois, sans être des plus stériles pour la bonne chère, ne sourient pas, à beaucoup près, la réputation de ses trois aînés; et l'on peut répéter, avec un auteur célèbre: Si cette partie de l'année est la plus agréable, elles est aussi la plus ingrate en volaille, gibier, légumes et fruits.

Mai.

Béni soit cet heureux mois, qui ouvre la porte aux petits pois, aux maquereaux et aux aimables pigeonneaux! C'est un mois cher aux gourmands. Avec les herbes dans leur primeur, le beurre est en mai dans toute sa bonté.

Juin.

A chaque pas que nous faisons vers l'été, le cercles de nos jouissances alimentaires se rétrécit, celui de nos jouissances solides s'entend; car les jouissances végétales sont, au contraire, fort multipliées dans cette saison. Peut être serait-il sage de suivre les indications de la Providence; mais l'estomac civilisé reste sourd à cette voix*. La viande de boucherie continue d'être la base du régime; le bœuf est moins bon. Ce mois nous offre les jeunes poulets, la poularde nouvelle, le dindonneau, le caneton de Rouen, les coqs-vierges et les pigeons. Si les poissons sont moins bons, en compensation les légumes de choix arrivent abondants sur nos tables avides de verdure. C'est pour les cuisiniers le temps de paraître dans tout leur éclat: les meilleurs légumes ont besoin d'un artiste habile; c'est un tableau médiocre qui ne vaut que par la richesse du cadre.

Juillet.

Le gourmand fait son temps d'épreuve et de pénitence dans ce mois; peu touché de la végétation des potagers et des vergers, dont les trésors ne sont pour lui que les moyens de s'écurer les dents et de se rafraîchir la bouche, il se soutient en voyant la croissance rapide des lapereaux, des perdreaux, des levrauts et d'autres succulents gibiers. La finesse excellente du veau de Pontoise en ce mois ne le laisse pas sans émotion; les cailles et les cailleteaux lui font parfois sentir les joies d'un autre temps.

 Août.

La bonne chère languit encore; les riches sont aux champs, les tables de Paris renversées, et les parasites à la diète. Cependant les gourmands pressés de vivre pourront déjà, dans ce mois, manger des lapereaux en terrine et à l'eau-de-vie; les levrauts à la Suisse, à la czarienne, etc.; les perdreaux en papillote, en tourte, et aussi les tourtereaux, les ramereaux. Ces conseils une fois donnés, je proteste contre une telle impatience, je condamne ces infanticides.

Septembre.

Le gibier est déjà bon, mais il sera meilleur dans les mois suivants. La grive de vigne est alors à son point, le guignard traverse les plaines de Beauce, et les gourmands prélèvent un succulent tribu sur ces oiseaux voyageurs. Il faut distinguer les artichauts parmi les légumes de ce mois: ils sont remarquables par leur bon goût et leur délicatesse; les meilleurs viennent de Laon. Dans ce mois, les œufs abondent à Paris, ils y sont bons et au plus bas prix.

Octobre.

Nos jouissances alimentaires commencent à redevenir abondantes et vives: le gibier et la volaille y contribuent à l'envi. Le bœuf a passé l'été à s'engraisser, nous nous en apercevons à cette époque; le mouton est aussi plus succulent; le veau, moins délicat qu'au printemps, n'est cependant pas à dédaigner. La marée ne redoute plus les chaleurs.

Novembre.

Les campagnes se dépeuplent, et, dès la Saint-Martin, tout ce qui appartient à la classe des gourmands se trouve réuni à la ville. Grand Saint-Martin, patron de la halle, et surtout de la Vallée, l'appétit se réveille à votre approche; les hommes bien portants se préparent à célébrer votre fête par un jeûne de trois jours. Inutile de répéter ici tout ce qui constitue la bonne chère dans le mois de novembre; le seul avis que nous devions aux amateurs friands a pour objet de leur annoncer l'arrivée à Paris des harengs frais à laitance.

Décembre.

En tout digne du mois qui le précède et de celui qui le suit, décembre se recommande par ses fines matelotes. La viande de boucherie, le gibier, le poisson et la volaille ont en décembre le même degré de bonté que dans les deux mois suivants. Mais la fin de l'année et les obligations qu'elle entraîne rendent les réunions gourmandes assez rares encore. Il faut se préparer aux jouissances qui viendront par les visites faites avec discernement, surtout par le soin de disposer son cœur comme il doit l'être pour les amphitryons. Ce serait un crime de lèse-gourmandise que de rester sans émotion et sans sympathie pour l'homme généreux qui vous offre une chère excellente et vous abreuve de ses meilleurs vins."

Ces conseils, sous une forme un peu ridicule, contiennent quelques faits qu'il n'est pas inutile de connaître, encore que l'on n'attache point grand intérêt à les suivre ou qu'on ne puisse en tirer aucun profit. On cite quelquefois des maximes gastronomiques de Grimod de la Reynière qui avait de la réputation avant celles de Brillat-Savarin. Parmi les saillies de cet original, nous remarquons celle-ci:
" Quelques personnes redoutent à table une salière renversée et le nombre treize. Ce nombre n'est à craindre qu'autant qu'il n'y aurait à manger que pour douze. Quant à la salière, l'essentiel est qu'elle ne répande pas dans un bon plat."




*Le gourmand n'estime progrès dans la civilisation que ce qui ajoute des satisfactions à son vice.

Magasin Pittoresque, 1851.


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