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vendredi 27 juin 2014

En Corée.

En Corée.


Le Japon est en guerre avec la Chine depuis quelques semaines. Les origines de ce conflit, dont il est difficile de prévoir la durée, sont dues à des raisons complexes d'ordre politique qu'il serait trop long de vous exposer ici, et qui ne vous intéresserez d'ailleurs probablement pas. Il vous suffira de savoir qu'en réalité la Chine et le Japon se disputent la suprématie de l'influence en Corée.
La Corée est une longue presqu'île de la côte orientale de l'Asie, bornée au nord par la grande montagne Blanche de la Mandchourie, à l'est par la mer du Japon, au sud par le détroit de Corée et à l'ouest par la mer Jaune. Au point de vue de l'étendue et de la configuration du terrain, on a comparé la Corée à l'Italie.
Autrefois le territoire de la Corée était absolument fermé aux étrangers. En dehors des ambassades que l'empereur de Chine envoyait annuellement au roi de Corée, personne ne pouvait y entrer sous peine de mort. Ce furent les Pères missionnaires qui bravèrent les premiers cette défense; ils franchissaient la frontière pendant la nuit malgré les douaniers nombreux qui faisaient bonne garde; mais ils durent bientôt renoncer à ce passage, car le gouvernement coréen, ayant eu connaissance de cette violation de frontière, fit dresser des chiens à la poursuite des étrangers. C'est alors que les missionnaires se risquèrent à entrer en Corée montés sur des jonques conduites par des chrétiens chinois qui les déguisaient en orphelins coréens dont le costume particulier et le grand chapeau cachant entièrement le visage, les garantissaient contre toute question indiscrète. De nos jours, il suffit d'un simple passeport pour entrer dans ce pays.



Les Coréens sont sous la domination d'un roi qui est le maître absolu de ses sujets. "C'est un crime de lèse-majesté, dit M. Elysée Reclus, de prononcer le nom que le souverain a reçu de son prédécesseur; c'est au autre crime de l'effleurer, et même après sa mort, les courtisans doivent prendre soin de l'ensevelir sans qu'il y ait contact direct entre leurs mains et son corps. L'honneur d'avoir été touché par lui est inestimable; ceux auxquels ce grand privilège a été conféré ornent d'un ruban de soie la partie de leurs vêtements sanctifiés par la main du maître."
Le roi qui règne actuellement en Corée est, paraît-il, un esprit assez distingué et largement ouvert aux idées de progrès. Lorsqu'il parvint à sa majorité, affranchi de  la tutelle d'un régent à l'intelligence médiocre, aux préjugés antiques et hostile aux étrangers, il contracta de nombreux traités d'amitiés, de paix et de commerce avec les pays étrangers, dont les nationaux purent dès lors pénétrer à leur guise en Corée. 



A cette époque, l'armée fut également réorganisée à la façon européenne, mais aucune réforme ne vint modifier l'organisation administrative du pays, divisé en huit provinces à la tête de chacune desquelles se trouve un gouvernement nommé par le ministère des offices et emplois qui, au nom du roi, confère toutes les fonctions administratives aux hommes qui ont passé les examens nécessaires. Au- dessous des gouverneurs se trouvent placés les chefs de districts, dont le nombre s'élève à trois cent trente-deux, et qui ont eux-mêmes sous leurs ordres les mandarins administrant les villes importantes et les maires des villages et bourgades.
Il existe en Corée une hiérarchie de classes sociales dont voici l'ordre, en commençant par la plus élevée: lettrés, bonzes, mimes, cultivateurs, artisans, marchands, portefaix, sorciers, musiciens, danseuses, comédiens, mendiants, esclaves. Vient ensuite la classe, abjecte pour les Coréens, des tueurs de bœufs et des tanneurs.
Tout homme, en Corée, à moins qu'il ne fasse partie de l'une des plus basses classes sociales, peut se présenter aux concours imposés à ceux qui briguent les fonctions publiques; ces concours correspondent chez nous aux examens de bachelier, de licencié et de docteur.
Les Coréens, qui appartiennent à la race mongole, sont en général d'une taille un peu plus élevée que les Chinois et les japonais. Leurs costumes se rapprochent de ceux des Chinois; ils varient suivant les différentes classes qui composent la société. Dans la classe moyenne, les hommes, par-dessus une culotte et un veston, portent une sorte de longue redingote, se croisant sur la poitrine et fendue de chaque côté à partir de la ceinture. Les boutons et les agrafes étant d'un usage complètement inconnue en Corée, ce vêtement, presque toujours blanc ou de couleur claire, est fermé à l'aide de rubans noués de diverses manières. Le chapeau, qui se fait en feutre, papier, paille, crin, palmier, etc., qui est d'une grande perfection de forme et d'exécution et qui coûte fort cher, est posé sur le sommet de la tête et maintenu par deux rubans se nouant au-dessous du menton. "La Corée semble être le pays des chapeaux, dit M. Varat, l'un des derniers explorateurs qui aient visité ce pays; on en fait de toutes les manières, et nulle part je n'en ai vu de plus variés, depuis le diadème en carton doré du gouverneur de province jusqu'au plus modeste serre-tête du paysan."
Les Coréens sont généralement honnêtes, naïfs, bienveillants, confiants et hospitaliers, quoique tout d'abord pleins de réserves vis-à-vis des étrangers. L'une de leurs principales industrie est celle du papier, qui par sa souplesse, sa solidité et sa beauté, est considéré comme sans égal. Le papier coréen, fabriqué avec de l'écorce de mûrier, sert à tous les usages de la vie; on en fait des vêtements, des chapeaux, des chaussures, des lanternes, des vases, des portefeuilles, etc..., et il dépasse de beaucoup, dit-on, les plus beaux papiers de Chine et du Japon.
La Corée dont la population est évaluée à peu près à 11 millions d'habitants, a pour capitale Séoul, vaste ville entouré de murailles et dans laquelle on ne pénètre que par des portes monumentales d'un aspect des plus pittoresques. 



Séoul se subdivise en plusieurs quartiers, parmi lesquels le Palais royal et le quartier des nobles, composé de maisons élégantes et de jardins entourés de murs très bas. Aussi est-il rigoureusement défendu par une loi, et cela sous les peines les plus sévères, de regarder chez ses voisins. Cette interdiction s'applique à toute la ville, et lorsque la toiture d'une maison a besoin d'être réparée, il faut même indiquer aux propriétaires des habitations voisines le jour où les travaux doivent s'effectuer, afin qu'ils puissent prendre leurs dispositions pour soustraire aux yeux des ouvriers les détails de leur vie domestique.
Il y a au centre de Séoul un quartier où se sont groupés les Japonais qui font eux-mêmes leur police dans toute l'étendue de la ville où ils sont installés, et qui forme une cité dans la cité.
Les Chinois ont également leur quartier bien distinct. C'est là que résident presque toutes les légations européennes dont les fonctionnaires habitent, paraît-il, de très jolies villas aménagées à leurs usages.
Quant aux quartiers suburbains, ils ont un aspect misérable et sont habités par les classes les plus basses de la société.



D'autres villes coréennes, comme Kang-Hoa, Taï-Kou et Fou-San, port de commerce situé sur le détroit de Corée, ont une certaine importance, mais ne semblent pas devoir prendre un grand développement commercial et industriel. L'avenir de la Corée paraît, du reste, bien incertain, et nul ne peut prévoir les conséquences que pourront avoir, pour les destinées de ce pays, les rivalités de la Chine et du Japon, non plus que l'issue de la guerre actuellement engagée.

                                                                                                                  Ernest Laurent.

Mon Journal, recueil hebdomadaire illustré pour les enfants, 29 septembre 1894.

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