Réflexions sur le rire.
Il y a le rire niais, le rire des sots, le rire purement joyeux, le rire malin, le méchant, le chagrin, le rire amer, celui du désespoir, et combien d'autres encore?
Mais chacun de nous rit toujours très-exactement à sa mode et comme il convient qu'il rie; il n'y a pas de phénomènes mieux motivé, bien qu'il naisse et passe comme l'éclair; seulement les causes n'en sont pas toujours faciles à démêler.
Le rire doit se distinguer de la gaieté; la gaieté est une disposition dans laquelle on rit volontiers; elle vient à la suite de circonstances très-diverses; Mme de Sévigné trouve que le prochain est très-amusant quand on a bien dîné.
Il y a une certaine gaieté qui n'est que le rayonnement d'une âme pure, d'une âme contente; c'est le bonheur à l'état de plénitude exubérante; c'est elle qui est douce par excellence, digne d'être enviée, estimée, aimée.
Gratiolet constate que les hommes rient ordinairement en ha, ha! et ho, ho! et les femmes et les enfants en hé, hé! et hi, hi !
Il y a un rire qui est celui de l'intelligence, et un autre qui intéresse plus particulièrement la sensibilité.
Ce qu'il faut considérer, ce n'est pas l'âge ou le sexe de la personne qui rit, mais la nature de son rire.
On se rappelle la gaieté de Nicole en voyant comment M. Jourdain est affublé; elle ne peut s'empêcher de rire et s'excuse sur ce qu'il est trop plaisant, elle demande à être battue plutôt que de ne pouvoir pas rire tout son soûl, car elle craint de crever si elle ne rit. D'un bout à l'autre, et sans manquer, ce sont de joyeux trilles en hi, hi, hi ! Mais lorsque Zerbinette raconte à Géronte, qu'elle ne connaît pas, le bon tour qu'on vient de lui jouer, son récit, qui explique si bien à la dupe l'adresse du stratagème, et qui analyse avec tant de finesse toutes les circonstances du ridicule, est scandé par de perpétuels ha, ha, ha !
Le rire est le propre de l'homme: on surprend bien chez certains animaux des signes de gaieté, des cris joyeux, des mouvements qui expriment le plus vif plaisir; mais le vrai rire ne peut partir que d'un être raisonnable; car il suppose toujours la perception d'une erreur, un jugement, une abstraction dépassant ce que l'instinct saisit.
On peut citer l'exemple suivant d'un rire placé sur les limites du rire intellectuel et du rire de satisfaction purement animale. Durant la retraite de la campagne de Russie, un pauvre officier français, mourant de besoin et de froid, dormant en marche, trouve un ami qui le reçoit dans sa maison. On lui fait un grand feu, on le fait bien dîner, on lui donne un bon lit; la sensation de sa trouver dans des draps, ayant chaud et n'ayant plus faim, le fait partir d'un éclat de rire qui retarde quelque temps son sommeil: il se réveille de lui même au bout de trente-six heures.
La joie profonde, intime, parfaite, est sérieuse; si elle a commencé par la gaieté, elle ne tarde pas à arriver au recueillement; le sourire peut l'éclairer, mais un sourire discret, contenu; l'âme ne trouverait pas de signe convenable pour témoigner son bonheur; dans cet état, elle est moins près du rire que des larmes.
La perfection intellectuelle et morale proscrirait le rire, parce qu'elle ne pourrait éprouver que de la commisération pour l'erreur et les faiblesses; pour elle, l'esprit serait seulement tromperie, et le comique infirmité. Lamennais a très-justement remarqué qu'on ne pourrait se représenter le Christ riant. Que les dieux de l'Olympe rient, à la bonne heure! car ce sont des hommes ayant nos passions. Les simples humains se livrent souvent au rire; et il peut être très intéressant de les étudier, au moment même qu'on surprend dans leurs yeux cet éclair.
Chez l'enfant, le rire est la pure manifestation de l'étonnement et du plaisir de sentir et de comprendre.
L'homme intelligent voit et discerne; il ne rit que de ce qui est risible; On a dit très-bien d'un homme dont l'esprit était à propos mis en doute: Regardez-le rire! Il n'y a pas de meilleure épreuve ni de meilleure preuve.
La justesse du rire ou du sourire, sa nuance, le mot, la syllabe qui le fait poindre, les sujets qui l'excitent; toutes ces remarques disent bien des choses sur l'intelligence, sa promptitude et sa culture, sur les habitudes de la pensée, le caractère et les mœurs.
L'homme du monde excelle à saisir la limite du badinage permis; il n'y a pas de règle à poser; on peut dire seulement que chacun se permet sur son propre chapitre plus de moquerie qu'il n'en supporterait de la part des autres. "On se dit ces choses-là à soi-même", mais on ne se les dit que parce qu'on ne les croit pas, et pour qu'un autre ne vous les dise pas.
Rire ensemble est une grande marque de familiarité ou de faveur: c'est accepter la communauté d'un moment de folie et prendre son interlocuteur pour son compère.
Le rire étant tout de premier mouvement, il est très-difficile de le retenir, d'en modifier même l'expression et plus difficile encore de bien rire sans envie; c'est parce qu'il est si spontané et si vrai qu'il est si utile pour le diagnostic.
Aussi est-ce l'imposture la plus subtile et la plus hardie, que de feindre la gaieté pour cacher son trouble et prouver sa liberté d'esprit; mais il faut être comédien consommé pour avoir bonne grâce à ce jeu.
Le rire est souvent le meilleur remède contre la peur qui se dissipe par enchantement, ou contre la colère qui désarme aussitôt. Du moment que la plaisanterie est goûtée par celui dont l'imagination est frappée ou le cœur ému, c'est qu'il a senti le ridicule de sa première impression; il la méprise et montre par sa gaieté qu'il est complètement guéri.
Ajoutons que rien n'est plus cruel que de contraindre quelqu'un à rire malgré lui; cette situation est fréquente à la scène et toujours fort comique; elle est commune aussi dans la vie, et les expressions ne manquent pas pour qualifier ce rire: rire du bout des dents, rire qui ne dépasse pas le nœud de la gorge, rire forcé, rire jaune; le rire sardonique est tout différent. (1)
(1) De l'esprit, du comique et du rire, par Louis Philibert. 1876.
Magasin Pittoresque, 1877.
La joie profonde, intime, parfaite, est sérieuse; si elle a commencé par la gaieté, elle ne tarde pas à arriver au recueillement; le sourire peut l'éclairer, mais un sourire discret, contenu; l'âme ne trouverait pas de signe convenable pour témoigner son bonheur; dans cet état, elle est moins près du rire que des larmes.
La perfection intellectuelle et morale proscrirait le rire, parce qu'elle ne pourrait éprouver que de la commisération pour l'erreur et les faiblesses; pour elle, l'esprit serait seulement tromperie, et le comique infirmité. Lamennais a très-justement remarqué qu'on ne pourrait se représenter le Christ riant. Que les dieux de l'Olympe rient, à la bonne heure! car ce sont des hommes ayant nos passions. Les simples humains se livrent souvent au rire; et il peut être très intéressant de les étudier, au moment même qu'on surprend dans leurs yeux cet éclair.
Chez l'enfant, le rire est la pure manifestation de l'étonnement et du plaisir de sentir et de comprendre.
L'homme intelligent voit et discerne; il ne rit que de ce qui est risible; On a dit très-bien d'un homme dont l'esprit était à propos mis en doute: Regardez-le rire! Il n'y a pas de meilleure épreuve ni de meilleure preuve.
La justesse du rire ou du sourire, sa nuance, le mot, la syllabe qui le fait poindre, les sujets qui l'excitent; toutes ces remarques disent bien des choses sur l'intelligence, sa promptitude et sa culture, sur les habitudes de la pensée, le caractère et les mœurs.
L'homme du monde excelle à saisir la limite du badinage permis; il n'y a pas de règle à poser; on peut dire seulement que chacun se permet sur son propre chapitre plus de moquerie qu'il n'en supporterait de la part des autres. "On se dit ces choses-là à soi-même", mais on ne se les dit que parce qu'on ne les croit pas, et pour qu'un autre ne vous les dise pas.
Rire ensemble est une grande marque de familiarité ou de faveur: c'est accepter la communauté d'un moment de folie et prendre son interlocuteur pour son compère.
Le rire étant tout de premier mouvement, il est très-difficile de le retenir, d'en modifier même l'expression et plus difficile encore de bien rire sans envie; c'est parce qu'il est si spontané et si vrai qu'il est si utile pour le diagnostic.
Aussi est-ce l'imposture la plus subtile et la plus hardie, que de feindre la gaieté pour cacher son trouble et prouver sa liberté d'esprit; mais il faut être comédien consommé pour avoir bonne grâce à ce jeu.
Le rire est souvent le meilleur remède contre la peur qui se dissipe par enchantement, ou contre la colère qui désarme aussitôt. Du moment que la plaisanterie est goûtée par celui dont l'imagination est frappée ou le cœur ému, c'est qu'il a senti le ridicule de sa première impression; il la méprise et montre par sa gaieté qu'il est complètement guéri.
Ajoutons que rien n'est plus cruel que de contraindre quelqu'un à rire malgré lui; cette situation est fréquente à la scène et toujours fort comique; elle est commune aussi dans la vie, et les expressions ne manquent pas pour qualifier ce rire: rire du bout des dents, rire qui ne dépasse pas le nœud de la gorge, rire forcé, rire jaune; le rire sardonique est tout différent. (1)
(1) De l'esprit, du comique et du rire, par Louis Philibert. 1876.
Magasin Pittoresque, 1877.
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