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mercredi 18 juin 2014

Pourquoi l'on divorce en Amérique.

Pourquoi l'on divorce en Amérique.

En France, deux romanciers justement à la mode, les frères Margueritte, mènent campagne en faveur du divorce par consentement mutuel des deux époux, tant nos contemporains se montrent avides de liberté. En Amérique, c'est pis encore. Le mariage devient, pour nombre de citoyens et citoyennes des Etats-Unis, chose aussi futile qu'une partie de croquet. Quand on a assez de son partenaire, on le quitte pour en prendre un autre immédiatement.
Ecoutez comme de bons Américains ont d'excellente raisons de divorcer. Prenez garde aux savants!
Une dame de Baltimore, épouse du docteur Bestolius, demandait l'an dernier, au juge, de la délivrer de son savant.
- Monsieur, dit-elle, mon mari me rend la fable de toute la ville. Quand il revient de ses excursions, les enfants du quartier me l'annoncent par des huées. Le pauvre homme a la manie de fixer sur son feutre, à l'aide d'épingles, toutes les bêtes étranges rencontrées sur son chemin. 



Il rentre à la maison auréolé de mille-pattes, de guêpes, d'araignées, d'insectes hideux! Et je trouve dans ses poches des reptiles variés, même de jeunes crocodiles.
- En épousant un naturaliste, madame, vous deviez prévoir ces désagréments.
- Sans doute, monsieur le juge, mais je n'imaginais pas que le docteur préférerait les bêtes à sa femme. Il m'arrive de découvrir des larves de ver à soie jusque dans mes chemises de nuit. Et, là semaine dernière, il introduisit chez nous tout un essaim d'abeilles qui me piquèrent cruellement au nez et à la main.
- Peut être voulaient-elles chasser la reine du logis! observa galamment le magistrat.
- Je vous en prie, continua la plaignante, délivrez-moi d'une existence odieuse. Je meurs d'effroi. Si vous n'y mettez pas bon ordre, mon mari finira par réchauffer des vipères dans notre lit.
Le juge, s'adressant à Bestolius:
- Les plaintes de madame ne sont-elles pas exagérées, docteur?
Pour toute réponse, le naturaliste fit un signe de tête négatif. Il avait hâte de retourner à ses études sur les animaux autres que les femmes acariâtres.

Une ennemie du tabac.

A Boston, c'est un autre... ange du foyer qui ne peut supporter la fumée, l'odeur du tabac, et demande à fuir son époux, qui toujours "grille" cigares ou cigarettes.
- Monsieur, dit-elle au juge, vous voyez en moi une victime de la plante à Nicot! Lors d'un premier mariage j'épousai un capitaine de vaisseau qui ne fumait pas. Je fus heureuse à peine quarante huit heures. Le monstre chiquait comme le dernier de ses matelots!
"Au temps des fiançailles, mon mari présent me jura de ne plus toucher à une cigarette. Le lendemain de nos noces, je le surpris tirant des bouffées d'une pipe énorme.




Je veux être délivrée de cette odeur affreuse que dégagent les fumeurs. Je ne veux pas mourir empoisonnée!
- Soit, madame, consentit le juge. Mais défiez-vous des priseurs."

Une ennemie du militarisme.

Sous des dehors puérils, plus graves sont les dissentiments qui amènent mistress Rampson et son mari devant le tribunal libérateur.
- Ma femme, explique le plaignant, a suivi des cours depuis notre mariage. Elle est aujourd'hui avocat! Quel avocat! Elle préside le club féministe de notre ville. Et je ne puis me plaindre de la cuisinière sans entendre une conférence fort longue sur les droits civils et politiques de la femme. Dans mon salon, à ma barbe, toutes les agitées du pays crient: "A bas les hommes! A bas les tyrans! Plus d'esclavage!" Je supporterais aisément ces five o'clock ridicules, si mistress Rampson n'abusait de son éloquence pour vilipender l'armée en ma personne. Je suis officier de la milice, et...
- Officier, riposte l'épouse, plaisant officier!... J'estime que pour appartenir à une troupe aussi peu sérieusement armée et disciplinée que l'est votre milice, vous n'avez pas le droit d'afficher des airs de bravache et de conquérant...
- Je précise, interrompt à son tour M. Rampson, vous me traitez chaque jour de capon, de tire-guêtres, de soldat de carton. Et vous ajoutez qu'à la distance d'un mètre cinquante, la balle de mon fusil n'atteindrait pas un éléphant...
Le débat continue devant le magistrat qui, célibataire, écoute complaisamment les ripostes de l'avocate, jeune et jolie. Le malheureux juge ne songe pas que, s'il épouse la divorcée, il lui faudra recourir à son tour aux bons soins de quelque confrère.

Pour un rhume de cerveau.

Ah! le charmant époux que Master Palmer, de New-Jersey! Ecoutez le réquisitoire de Madame:
- M. Palmer n'est pas un homme, c'est un appareil hydraulique. Dans la conversation, il déverse sur son entourage une pluie fine et tiède. Est-il en colère, sa bouche laisse échapper des trombes d'eau! J'ai dû ne l'approcher que sous le couvert d'un "en-cas de salon" fabriqué spécialement pour moi, par le marchand de parapluies du quartier.
- Ce seul fait, madame, dit le mari, prouvera à monsieur le juge que vous êtes oublieuse de toutes convenances.
J'étais lasse d'éponger les choses et les êtres autour de vous. Dix mouchoirs n'y suffisaient pas dans une journée!
Le magistrat fait observer à la plaignante:
- Réfléchissez, madame,  Que deviendrait la société moderne si toutes les épouses, pour recouvrir leur liberté, invoquaient des motifs aussi puérils?
- Puérils! puérils, monsieur le juge! On voit bien que vous n'étudiez pas la médecine. J'assiste depuis deux ans aux cours de la Faculté et mes maîtres m'ont appris ce que peut receler de microbes la salive d'un homme aussi peu valide que mon mari. J'ai souffert qu'il salît mes robes et l'ameublement de mon intérieur, je ne tolérerai pas qu'il attente au plus cher de mes biens, à ma santé. D'ailleurs, monsieur le magistrat, vous allez juger avant peu tous les inconvénients qui résultent de l'infirmité de mon mari. M. Palmer souffre actuellement d'un rhume de cerveau, que Dieu le bénisse!
- A propos de microbes, riposte le malheureux époux, vous n'avez point confié au tribunal que vous avez voulu m'obliger à souffrir sur ma face une... muselière... antimicrobienne. Oui! monsieur le juge! Madame désirait m'affubler de cet ustensile ridicule et incompatible avec ma profession. Je suis introducteur au Temple. Je vais devant les cercueils, mais je reçois aussi les jeunes mariés. Il me faut sourire au bonheur des jeunes gens. Comment l'aurai-je fait a... a... (ici éternuement formidable qui asperge le tribunal), avec une muselière!
- Tournez-nous le dos, ordonna sévèrement le magistrat.
Et les époux Palmer furent disjoints.

Une femme incomplète.

A Cincinnati, autre guitare! c'est un homme qui se plaint des imperfections de sa femme. Il est vrai que  Charles Krauss a bien raison d'accuser la nature qui fut vraiment trop inclémente à sa moitié, si j'ose dire.
- Je ne veux plus de ma femme, affirme Krauss. Elle m'a trompé sur la qualité et la quantité de sa personne. Non seulement elle est pourvue d'une jambe de bois, mais il lui manque un œil, des dents et des centaines de milliers de cheveux. Au temps de nos fiançailles, mistress Krauss m'a filouté indignement. Je croyais avoir en l'épousant, une femme complète... je suis volé d'un quart... au moins.
A la barre, la pauvre femme sanglote. Et le juge, un vieux philosophe, essaye de calmer le plaignant.
- Cher monsieur Krauss, dit-il en substance, laissez-moi vous faire remarquer que vous avez été vous-même un observateur bien imparfait durant votre joli manège de cour à votre fiancée. Comment vous n'avez rien découvert d'anormal en la personne de celle que vous aimiez! Cela prouve que les irrégularités de nature dont vous vous plaignez ne sont pas aussi graves que vous les voyez présentement. Toute la ville ignore les imperfections de madame.
"Pensez-vous que les qualités d'intelligence et de cœur dont fit toujours preuve mistress Krauss ne vous feraient pas oublier ses défauts physiques?"
"Ah! j'en connais, moi, des femmes plus incomplètes que la vôtre. A New-York comme à Cincinnati, on rencontre de très belles femmes qui ne pensent pas, qui ne parlent que pour calomnier leur prochain, qui n'aiment point leur mari et leurs enfants, qui vivent dans la perpétuelle adoration de leur joli petit corps voué à la pourriture. Je préférerais, moi, à ces poupées si bien pourvues de grâces, une malheureuse infirme ayant deux jambes de bois, deux bras articulés et un cœur battant toujours pour moi un même rythme de tendresse.
Krauss, brave homme, embrassa ses ... trois quarts de femme et renonça à ses desseins.

Mon Dimanche, 27 mars 1903.


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